Au pied du massif forestier de la majestueuse forêt de l'Akfadou, à la limite territoriale d'avec la wilaya de Béjaïa, est née, il y a 26 ans, Dalila, une fille de principes et de profondes convictions. Tels les félins qui écumaient il n'y a pas si longtemps les lieux et dont elle a hérité du courage et de la liberté, cette fille aux yeux de lynx a décidé qu'un jour elle sera journaliste. Pourquoi cette soudaine passion pour un métier, certes, passionnant mais extrêmement difficile de surcroît pour une fille appelée à activer dans une région où le ton n'est pas à l'ostentation, mais à la discrétion qui a toujours caractérisé la vie humble des habitants de la montagne qui préfèrent souffrir en silence que de se plaindre à l'autorité ? Rebelle au tempérament de feu, elle se souvient encore enfant de ces trajets de plusieurs kilomètres qu'elle et ses camarades de classe effectuaient aux aurores chaque jour pour rejoindre l'école, puis, plus tard, le collège, le lycée et l'université sur une route défoncée, embourbée et transformée en oued en hiver et en piste poussiéreuse percée d'ornières et de nids-de-poule en été. Tout cela à bord de véhicules de fortune, bus hauts-fourneaux en été et glacés en hiver, dans des camionnettes bâchées balayées par des vents glacials dans lesquelles il fallait se cramponner aux ridelles pour ne pas tomber quand ce n'est pas à bord de tracteurs fumant de partout et dont les secousses vous soulèvent les entrailles. Elle se rappelle aussi des sempiternelles pannes de courant hiver comme été pour cause de délestage ou d'effondrement de pylones plantés à la hussarde sur des pentes abruptes dont les éboulis font craindre le pire aux écoliers. Cela sans omettre les pénuries de gaz butane, les fosses septiques qui empestent l'air en été faute de réseaux d'assainissement, ou bien, ces manques d'infrastructures sportives et culturelles dans ces villages portant les stigmates de la misère justifiant ces mots d'un célèbre chanteur : «Montagnards de malheur entourés de désolation.» C'est pour dénoncer toute cette gabegie dont sont responsables au premier chef les pouvoirs publics, souvent sourds aux appels des villageois, que Dalila a décidé un jour d'être journaliste afin de porter haut et fort les revendications citoyennes auprès des décideurs et dénoncer les injustices, ce qu'elle fait avec courage et ténacité. Sa posture de journaliste lui a valu de connaître beaucoup de gens, de se faire des amis mais aussi et surtout de s'attirer bien des inimitiés. Armée de son seul courage, elle se rend compte que son métier est loin d'être une sinécure. Exercice périlleux que celui de journaliste de proximité, confrontée au quotidien aux problèmes de gens qu'elle rencontre matin et soir et d'événements dont elle est, malgré elle, impliquée en tant que citoyenne d'une localité qui transcende le fil ténu de la géographie ou de l'histoire. La passion pour le journalisme est un rêve d'enfance pour Dalila, très attirée par les animateurs et animatrices de la TV, notamment les journaux télévisés dont les informations sur la misère du monde l'émeuvent au plus haut point. Forte d'un diplôme universitaire en lettres, elle court proposer ses services à un quotidien qu'elle renfloue chaque jour d'informations liées au cadre de vie des citoyens, de leurs préoccupations et de leurs difficultés. Le courage de tenir en dépit de problèmes qu'elle rencontre dans l'exercice de son travail lui vient de son père qui l'exhorte à tenir bon, mais aussi de ses amis, de collègues et de citoyens qui apprécient son travail et le cœur qu'elle met pour donner l'information la plus juste en dépit de certaines retombées de ses articles. Elle est heureuse lorsque ses informations aboutissent au déblocage de situations tendues et contrariée quand ce n'est pas le cas. Au début, Dalila a eu affaire aux réticences de certains de ses proches et de gens qui l'ont dissuadée d'embrasser «ce métier d'hommes qui rebute même les hommes» dans certaines contrées qui n'aiment pas que leurs problèmes soient portés à la connaissance de l'opinion publique. Loin de la décourager, ces propos misogynes ont renforcé sa conviction de faire encore plus. Le fait d'habiter à l'orée de la forêt de l'Akfadou ne l'empêche pas de traiter de toutes les informations y compris sécuritaires. De fil en aiguille, elle se rappelle cette confession d'un confrère qui lui a avoué un jour avoir eu affaire à une famille qui lui a reproché d'avoir publié l'information de la mort d'une vieille cueilleuse d'olives après sa chute accidentelle d'un olivier, eux qui voulaient taire sa mort pour continuer à percevoir sa pension de France. Elle sait qu'elle n'est pas à l'abri de pareilles mésaventures et se souvient de bien des tentatives d'expéditions punitives contre des journalistes qui ont osé dire certaines vérités. Elle comprend ainsi ces appels anonymes empreints de mots menaçants qu'elle recevait au début de son entrée en fonction, ces réactions intempestives de personnes ciblées par une déclaration ou une requête de belligérants auxquels devraient être dirigés en principe ces violentes diatribes. Ou encore de ces reproches enrobés de mots doux visant à l'intimider. Elle se remémore les rebuffades essuyées dans ses quêtes d'information auprès des sources administratives et institutionnelles qui exigent d'en référer à leurs cellules de communication qui renvoient la balle à leur tour aux services concernés. Devant son intransigeance et son courage, ces menaces ont cessé, gagnant progressivement, en retour, en respect et en considération. Elle sourit à ces tentatives de récupération de gens qui l'approchent sournoisement pour gagner sa confiance dans l'optique de l'utiliser pour assouvir leurs ambitions politiques. Elle évoque aussi ce village qui l'accueille en tant que «Dalila», et non en tant que journaliste de son quotidien avec qui cette localité a eu maille à partir, cela alors que d'autres personnes se plaisent à la hêler du nom de son journal. La jeune journaliste ne regrette en rien son aventure journalistique qui lui a permis de connaître des gens exceptionnels qu'elle n'aurait jamais eu l'occasion de croiser, de visiter des lieux insoupçonnés et de vivre des moments inoubliables. Sûre d'elle, elle se met aujourd'hui dans la peau d'un homme, s'habille comme une aventurière, voyage en bus ou en fourgon lors de ses missions, arpente à pied des dizaines de kilomètres sur les pistes forestières, escalade les montagnes pour être au plus près de l'information et mange à même le sol. Ses sujets de prédilection étant le social et la politique, elle ne cache pas sa joie de couvrir les événements qui les mettent en valeur. L'on comprend dès lors son implication désintéressée dans des mouvements associatifs, notamment ceux encadrant les malades et les personnes victimes de handicaps qu'elle aide à se réinsérer dans la société et dans leur inclusion scolaire. Actuellement, Dalila est une fille épanouie qui a gagné en confiance et en maturité, elle qui a su imposer respect et considération autour d'elle après avoir longtemps souffert du regard de l'autre et de préjugés accablant la femme active en milieu rural. En ville, les gens la saluent, l'accostent dans la rue pour lui dire bonjour et lui confient leurs soucis quotidiens. Ceux de son village sont fiers de leur journaliste qu'ils citent en exemple et à laquelle ils vouent un respect sans bornes. Beaucoup en font leur confidente, comptant sur sa discrétion et sa réserve pour connaître le vrai sens de la vie sur laquelle Dalila mord à belles dents.