La fortification de l'Etat et la consolidation de sa sécurité passe par la construction d'un front national solide    Conseil de sécurité: M. Attaf préside une réunion ministérielle sur la question palestinienne    Enseignement supérieur: M. Baddari visite l'Ecole nationale polytechnique    Les avant-projets de code communal et de wilaya : des prérogatives plus larges aux élus et une gestion moderne des Collectivités locales    La CEAS-Sahara réitère son engagement à défendre les droits légitimes du peuple sahraoui    Les efforts de l'Etat en matière de prise en charge des personnes aux besoins spécifiques soulignés    M. Belmehdi reçoit les deux membres internationaux du jury du prix de récitation et de psalmodie du Saint Coran    Sport/Championnat national militaire de Cross-country : Large domination de la Direction d'Administration et les Services Communs du MDN    Bourse d'Alger: nouvelles dispositions pour la numérisation des transactions    Recouverte de neige, la station climatique de Tikjda draine de plus en plus de visiteurs    Foot/Coupe de la Confédération: "les quarts de finale promettent des affrontements palpitants", estime la CAF    Athlétisme/Championnats d'Afrique 2025 (U18 et U20): la ville d'Oran candidate à l'organisation de l'évènement    L'OPEP prévoit une croissance de la demande de pétrole en 2025 et en 2026    Chlef: lancement de travaux d'aménagement de monuments historiques et de cimetières de chouhada    Agrément du nouvel ambassadeur d'Algérie en Libye    Conseil de la nation: présentation de la nouvelle loi sur la gestion, le contrôle et l'élimination des déchets    "Nous n'épargnerons aucun effort pour soulager les énormes souffrances des Palestiniens"    Tous les symboles de la résistance et de la révolution doivent avoir leur juste part dans les œuvres cinématographiques    JSK : Mehdi Boudjemaâ signe pour deux ans et demi    Trois défaites, une élimination et des questions    MC Saïda : Omar Belkhira rejoint le club égyptien «Ceramica Cleopatra»    Le décryptage… (Partie 1)    Trump commencera à expulser les migrants des Etats-Unis après son investiture    Le Président sud-coréen a décidé de participer aux sessions de la Cour constitutionnelle    Une bande de cambrioleurs neutralisée    La sécurité routière en période d'intempéries    13 morts et 290 blessés en 48 heures    Derbal pose le bilan 2024 et poste les grandes attentes de l'année 2025    Des clusters pour répondre aux besoins du marché national    Le soutien à la femme rurale au centre des priorités    Comment faire pour lire plus de livres ?    Le Caftan coLe Caftan constantinoisnstantinois    Caravane de formation sur les opportunités d'investissement et d'entrepreneuriat au profit des jeunes    Comment faire pour lire plus de livres ?    Le ministre présente ses condoléances suite au décès du Moudjahid Mohamed Hadj Hamou,    Le Président Tebboune a reçu les responsables de médias        L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Les choses de la vie
Et si c'était à refaire, Ali ?
Publié dans Le Soir d'Algérie le 31 - 10 - 2013


Par Maâmar Farah
[email protected]
Ali nous reçoit avec son large sourire planté de belles dents, remarquablement alignées, comme les pins qui cavalent derrière lui, à l'orée de la forêt. Il est agité par une quinte de toux qui fait trembler tout son être. Une sale toux dont l'écho retentit au plus profond des bois mitoyens, envahis par un beau soleil d'été indien. La ferme d'Ali, composée de deux bergeries sommairement aménagées et d'une vaste maison de type traditionnel, c'est-à-dire aux murs extérieurs entièrement aveugles, mais ouverte sur une cour intérieur. Pour arriver chez Ali, on quitte la forêt pour s'engager sur une piste hasardeuse qui traverse un immense plateau dénudé au paysage tourmenté, un paysage à mi-chemin entre le Tell et la steppe. En engageant sa voiture dans cette route cahoteuse, mon compagnon me lance : «Bienvenue au territoire sioux !»
Ici, tout le monde parle d'Ali. Ce n'était ni un patriote, ni un GLD, ni un garde communal, mais il a été obligé de prendre les armes, tout seul. Une histoire assez singulière, banale diront certains, mais qu'il faut raconter parce que l'étoffe des héros, ce n'est pas souvent ce que l'on pense, ce ne sont pas les histoires édulcorées revisitées par Hollywood. Celle d'Ali porte l'empreinte du nif et sent le baroud... Il fait partie des gens qui ont pris les armes pour défendre leur vie et montrer aux terroristes qu'ils ne sont pas les plus forts. Il a passé des nuits blanches dans la forêt et ça a laissé des traces. Aujourd'hui, il est malheureux parce que les terroristes, dont il croyait s'être débarrassé, le défient. L'un d'eux, un voisin, est revenu après dix années de maquis. Ali m'a dit que ce terroriste le narguait en lui disant des choses pas gentilles comme «tu es le collabo des gendarmes» ou «que t'a rapporté ton combat antiterroriste ?»
Ali est malade. Il a un poumon pourri. Et personne ne vient à son aide. Dire qu'il a veillé sur les siens pendant des années ! Pas seulement sur eux, mais sur la République ! Mais c'est quoi la République ? Vue d'ici, elle n'a l'air de rien, si ce n'est de quelque chose d'immense et de flou qui court sous les nuages pour s'arrêter devant la mer. Je suis malheureux pour Ali. Je vais faire une quête pour qu'il puisse se soigner, puisque la République ne l'écoute pas.
L'autre jour, autour d'un plat traditionnel bien chaud, Ali a décidé de me raconter ses aventures :
«Tu sais, je n'ai rien d'un patriote ! D'ailleurs, quand cette sale guerre a commencé, je m'en foutais royalement. Je voulais simplement avoir la paix ! Les souvenirs de l'autre guerre sont encore bien vivants pour que nous en voulions une autre ! Notre grande malchance est que notre douar est situé à la lisière d'une grande forêt qui donne sur toutes les régions limitrophes. C'est un lieu de passage obligé pour des gens qui choisissent le maquis. D'un côté, tu as le passage vers Ouenza et toute la région de Tébessa. De l'autre, tu peux joindre Sédrata, Aïn Beïda, Khenchela et tout l'Aurès. A l'est, tu te faufiles tranquillement vers la frontière tunisienne. Et, au milieu, c'est un chemin tout indiqué pour rentrer dans les montagnes de la région de Souk-Ahras, à travers Oued Chouk. Guelma est également accessible à partir d'ici. Voilà pourquoi, notre douar allait subir des pressions intenables. La nuit, c'étaient les moudjahidine. Moi, j'étais gosse et je n'y comprenais rien, mais mes parents leur donnaient à manger et ma mère passait son temps à cuire les galettes. De ce que j'ai entendu, j'ai cru comprendre que mes parents faisaient cela de leur propre gré et ils disaient que c'était leur devoir. Le jour, nous recevions la visite des soldats français qui voulaient tout savoir sur le mouvement des fidaïs. Ils étaient très méchants et je tremblais à la simple apparition de leur colonne motorisée derrière la butte menant à notre douar !
«Ce n'était pas la joie. Tant de privations, de sacrifices, de peurs allaient cependant connaître leur terme un certain 5 juillet 1962. Mais, rien ne changea depuis, si ce n'est qu'un gros engin est venu aménager la piste qui est redevenue comme avant au bout de quelques années. Si, si, quand même : il y a l'électricité et les gens du parti qui venaient à la veille de chaque élection. Mais, on était bien content de vivre en paix. Après la mort de mon père, j'ai agrandi la ferme et j'ai pu constituer un troupeau de moutons qui faisait des jaloux dans la région !
«Mais qui pouvait donc prévoir cette autre catastrophe qui allait nous tomber sur la tête : le terrorisme ? Comme je vous l'avais expliqué plus tôt, quiconque monte au maquis et circule d'est en ouest et du nord au sud, passe par chez nous. La densité de la forêt et son prolongement vers toutes les directions lui offrent la meilleure des sécurités.
«Au début, je m'en foutais. Mais, un jour, la gendarmerie est venue arrêter un voisin qui s'est avéré être un dangereux terroriste. Convaincus que j'ai vendu leur copain aux autorités, ses amis décidèrent de me trancher la gorge et c'est ainsi que je suis devenu leur ennemi. Moi, je n'ai vendu personne. Certes, je ne suis pas un héros, mais je n'aime pas ça ! Mais allez leur faire comprendre que je n'ai rien à voir avec tout ça !
«Il ne me restait plus qu'à fuir. Mais pour aller où ? Dans la forêt pardi ! J'étais comme eux, près d'eux, suivant les mêmes chemins, fréquentant les mêmes abris. Je les fuyais mais je suis allé dans leur propre fief ! Pour me protéger, j'avais pris mon fusil. Parfois, la nuit, et après maintes précautions, j'allais chez moi pour me ravitailler et voir les enfants. Je devais faire très attention, car ils risquaient de me surprendre. Ils avaient des yeux partout...»
Ali souffle un peu, ramasse une grande cuillerée de couscous, et poursuit, la bouche pleine :
«Les gens me prenaient pour un héros. Combattre les terroristes tout seul, tu parles ! En fait, j'avais très peur. Ainsi j'ai vécu jusqu'à la fin de ce qu'ils appellent maintenant la tragédie nationale et qui fut un véritable cauchemar pour moi et ma famille ! Ce que j'ai gagné, c'est cette terrible souffrance au niveau du poumon. Les veillées, les conditions de vie dans la forêt, les rigueurs du froid, ça ne pardonne pas ! Mais comme j'ai tout perdu durant ces années, je n'ai plus de ressources pour me soigner convenablement.
«Dis, tu penses que j'ai un problème de santé sérieux ?»
Je tente de le rassurer. Nous sommes au dessert. Il savoure une belle salade de fruits, en montrant sa dentition parfaite. Puis, on nous sert le thé. Il allume une cigarette sans filtre et je saute sur l'occasion :
«Dis Ali, tu ne penses pas plutôt que tes ennuis de santé, tu les dois à cette saloperie que tu avales !
- La cigarette ? Peut-être ! Mais la montagne aussi ne pardonne pas ! Dieu seul sait ce que j'ai enduré, mais ce n'est rien par rapport à l'enfer vécu par les moudjahidine. Je trouve qu'on ne parle pas assez de ces souffrances ! C'est atroce ! Marcher sous une pluie battante et ne pas pouvoir se changer. Marcher et marcher encore avec ses vêtements mouillés, trempés de fond en comble ! Et par des froids sibériens ! Non, ça aussi, ça laisse des traces sur les poumons...
- Et maintenant, comment ça se passe ?
- A part ce poumon pourri, je suis harcelé par les terroristes libérés. Ils me lancent des mots pas très gentils, du style : «Qu'est-ce que tu as gagné ?» ou encore «ton tour viendra», ou «va, cours à la gendarmerie dire à tes maîtres que nous sommes là !» Ali baisse la tête. Il murmure à peine ces quelques mots que j'ai des difficultés à saisir : «L'un d'eux m'a même dit : Ali, tu viendras à la banque le jour où ils me donneront le magot...»
J'essaye d'expliquer à Ali que ce sont des ragots, qu'il ne faut pas y attacher de l'importance et que le gouvernement n'est pas tombé sur la tête pour payer les terroristes ! Non, il faut qu'il cesse de penser à ces choses-là.
Et, pour lui semer quelques brins d'espoir dans sa tête de désabusé, je lui promets de l'aider. Il pense qu'un journaliste est un type important qui a des connaissances et des entrées partout. Si tu savais, frère Ali... Mon unique fils est chômeur. Les enfants des généraux possèdent tout et investissent dans tout. Moi, je n'ai pas des grades sur mes épaules pour impressionner le banquier !
Il se fait tard. C'est l'heure de partir. Ali nous salue avec le même sourire planté de belles dents, remarquablement alignées comme les pins qui cavalent derrière lui, à l'orée de la forêt. Il est agité par une quinte de toux qui fait trembler tout son être. Une sale toux dont l'écho retentit au plus profond des bois mitoyens, parcourus par les premières ombres de l'obscurité envahissante.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.