Par Djidjeli Nasserdine, Professeur de chirurgie pédiatrique J'ai lu avec attention la contribution de Mohamed Larbi Ould-Khelifa parue dans les colonnes de votre journal, et permettez-moi, si vous le voulez bien, de donner mon point de vue de citoyen. Que le troisième homme de l'Etat algérien en fonction s'adresse à notre presse nationale pour livrer ses pensées à ses concitoyens ne pouvait que nous réjouir. Nous l'en remercions et osons espérer que ceci devienne une tradition chez nous. Le titre «Leçons du passé et perspectives d'avenir», il faut le reconnaître, était très accrocheur, ceci d'autant plus que l'auteur de cette contribution n'est autre que le président de notre Assemblée populaire nationale. Mais grande fut ma déception quand, au fil des nombreuses pages, les leçons du passé se sont résumées encore une fois à glorifier les positions de l'Algérie vis-à-vis d'un certain nombre de dossiers internationaux, sans oublier d'agiter la sempiternelle menace étrangère et les dangers venant essentiellement de l'extérieur et qui guettent notre pays. Quant aux perspectives d'avenir, à part le changement de la capitale pour le Sud, l'exploration des gaz de schiste très discutable ou l'énigmatique demande de changement du nom des villes, en oubliant que cela a déjà été fait par le passé et que ce fut un échec très coûteux pour notre pays. A part cela, aucune proposition à même de nous laisser penser un instant qu'à un si haut sommet de l'Etat, on puisse être conscient des enjeux et défis qui se posent à notre pays et l'urgence d'y remédier. Monsieur Mohamed Larbi Ould- Khelifa, c'est vrai, à grand renfort de citations d'auteurs et de personnages illustres de tout bord, démontre si besoin est sa culture et son érudition, mais de leçons du passé et surtout de perspectives d'avenir, il n'y en a point. Cette contribution reste malheureusement confinée à des analyses géostratégiques très théoriques, et l'éternelle litanie de la peur du retour du colonisateur et de l'ennemi extérieur qui veut du mal à notre beau pays. Oui, cela ne fait aucun doute le colonialisme est abject, et il n'y a aucun bienfait du colonialisme, mais je crois, Monsieur le président, avec tout le respect que je vous dois, qu'effectivement, et comme vous semblez le redouter, votre manière de voir est restée figée dans les années soixante-dix. Les nations puissantes n'ont pas d'état d'âme, elles n'ont ni ami ni ennemi et ne sont guidées que par un seul déterminant : l'intérêt de leur pays et de leur peuple, quitte, il est vrai, à faire litière des grands principes universels de justice et d'équité dont elles se targuent. Il ne faut y voir ni un choc des civilisations, à la Samuel P. Huntington ni un retour du colonialisme, mais une lutte sans merci pour la suivie de leurs intérêts. C'est dommage, mais c'est ainsi. Personne ne peut nier ces velléités mais ceci ne doit en aucun cas devenir, à notre avis, l'arbre qui cache la forêt en nous faisant occulter nos véritables tares et insuffisances. Devrions-nous penser Monsieur le président, comme le disait si bien Nietzche, que «qui vit de combattre un ennemi à tout intérêt à le laisser en vie» ? Au lieu de passer notre temps à faire le constat que les puissances étrangères cherchent leurs intérêts bien compris sans s'embarrasser de scrupules, il aurait été plus intéressant pour nous de savoir pourquoi nous n'arrivons pas à défendre les nôtres. Dans votre tentative d'exégèse de la crise algérienne vous parlez beaucoup de la main étrangère et de l'esprit revanchard et néocolonialiste des puissances étrangères, notamment celui de la France... Vous occultez complètement le congrès de le Soummam, véritable acte fondateur de la nation algérienne, l'assassinat de Abbane Ramdane et ce véritable péché originel qu'est la primauté du militaire sur le politique qui s'en est suivi et qui perdure jusqu'à nos jours. C'est cela qui, à notre sens, fait que l'Algérie, cinquante ans après son indépendance, n'arrive toujours pas à avoir un président qui ne soit pas un militaire ou coopté par eux. Ceci nous semble être l'une des causes majeures du mauvais chemin qu'a pris l'Algérie après l'indépendance. Mettre dos à dos, si nous avons bien compris, les groupes en kaki, l'armée des frontières et GPRA avec à sa tête Benkhedda, ou Ferhat Abbas, et l'institution qu'il représentait dans la crise de l'été 1962 est pour le moins une vision tronquée de l'histoire et des conséquences désastreuses qui s'ensuivirent. Retenons de l'histoire ses leçons, mais évitons de l'écrire nous- mêmes, laissons cela aux historiens. Ce véritable hold-up de la souveraineté du peuple continue malheureusement jusqu'à nos jours. Il y a sûrement des velléités étrangères à reprendre pied économiquement en Algérie, et c'est à la limite de bonne guerre, mais l'ennemi est à l'intérieur, parmi nous, il est en nous Monsieur le président. Avec tout le respect que l'on vous doit Monsieur le président, cette propension à tenir le bâton par la moitié, comme le dit un adage bien de chez nous, on la retrouve chez vous aussi quand vous parlez de la réconciliation nationale et du référendum qui s'en est suivi. Et à vouloir être du milieu, on finit souvent par ne pas avoir d'avis. Même constat quand vous parlez de projet de société et de religion. Et là, je pense, Monsieur le président, qu'effectivement, la décennie noire avec son lot de morts et de destruction nous a appris une chose, en l'occurrence la nécessitée absolue de ne pas utiliser la religion à des fins politiques. Ne restons pas au stade du constat et inscrivons cette nécessité dans la nouvelle Constitution. Celle-ci doit être sécularisée. Evitons le mot laïcité, trop souvent mal compris et à charge historique et émotionnelle trop importante, mais inscrivons clairement cette interdiction dans ce texte fondamental. Nous avons trop souffert pour ne pas le faire et rater cette opportunité. Oui, il faut le faire tout en expliquant à nos concitoyens que ceci n'est pas dirigé contre la religion mais au contraire est fait pour la préserver. Nous pensons que notre vécu et le contexte international, notamment ce qui se passe en Egypte, Libye et Tunisie entres autres, nous offre l'occasion historique pour le faire. Ne la ratons pas. Osons Monsieur le président. Et là, je ne peux m'empêcher d'ouvrir une parenthèse concernant la montée au créneau, si vous me permettez l'expression, de nos hommes de culte et à leur tête le ministre pour dire que l'Algérie est un pays sunnite et malékite et dénoncer les autres rites. Même si on peut comprendre les motivations de cet engagement, on ne peut s'empêcher de penser que cela peut être dangereux et reviendrait à utiliser ce qu'on interdit aux autres, c'est-à-dire l'utilisation de la religion à des fins politiques et vice- versa. Nous ne pensons pas que c'est en imposant par la force un rite par rapport aux autres que les problèmes du salafisme, takfirisme, hanbalisme ou chiisme vont être réglés et ceci dans la durée. Car, comme le disait Nietzche, quand on lutte contre des monstres, il faut éviter de devenir monstre soi-même. Et là aussi, seuls le dialogue et l'acceptation par tout le monde de règles claires de séparation du politique et du religieux, et de respect des fondements de la République et d'un régime démocratique seront à même de nous permettre de vivre tous ensemble dans l'acceptation de nos différences. Vous parlez du rôle de la religion aux Etats-Unis. Oui, c'est une société profondément religieuse et souvent fondamentaliste. Oui, le président des Etats-Unis prête serment sur la bible. Ceci n'empêche pas que leurs institutions, et à leur tête le département de la Justice, restent profondément attachées aux principes de sécularisation édictés par les pères fondateurs de leur nation qui étaient laïcs et pour la plupart athées. La Constitution des Etats-Unis, ratifiée en 1788, est laïque, elle ne mentionne ni Dieu, ni la bible, ni une quelconque religion. La Cour suprême reste le véritable gardien de cette laïcité refusant toute intrusion du religieux dans le politique. Le serment du président sur la bible, de même que la devise «In God we trust» ne figurent pas dans la Constitution. Le premier est une coutume empruntée aux parlementaires anglais et le deuxième a été conçu par un directeur de la monnaie pendant la guerre de Sécession. J'aurais aimé Monsieur le président que vous nous parliez des grandes inquiétudes de nos concitoyens, et que vous soyez plus disert et surtout plus incisif, quand vous traitez de la corruption ce fléau qui gangrène notre pays. La seule qui plus est laconique réflexion, que vous faites au sujet du procès Khelifa, a été de regretter que la sanction et le contrôle se soient faits à l'encontre des responsables du secteur public sans atteindre le secteur privé. Le procès Khelifa, Monsieur le président, a été le tournant qui aurait pu réconcilier les Algériens avec leur justice et peut-être même avec la politique. Vous conviendrez que c'est raté, pas parce que le privé n'a pas été jugé comme vous le suggérez, mais parce qu'on s'est contenté de faire payer les lampistes. Aucun ministre, aucun haut responsable, y compris des proches du président de la République ou le secrétaire général de l'UGTA, cités dans cette affaire, ne sont passés devant les magistrats malgré les promesses des différents ministres de la Justice qui se sont succédé depuis ce procès. Dans une contribution à propos du procès Khelifa, faite en juin 2011, nous avions, écrit : «L'affaire Khelifa, à notre sens, a été un véritable tournant que le pouvoir politique a lamentablement raté pour essayer de retisser un tant soit ce lien rompu entre le peuple et ses gouvernants. En effet, où sont les promesses faites à l'époque pour que tous les hauts responsables cités dans cette affaire soient jugés ? Gageons que ces hauts responsables ne seront jamais inquiétés et que Moumen Khelifa ne sera jamais extradé ou entendu en Algérie car ce serait dangereux pour beaucoup de monde.» Nous aurions aimé être démentis mais ça n'a malheureusement pas été le cas, et ces paroles sont encore plus que jamais d'actualité et continueront à s'appliquer pour Chakib Khelil par exemple, et tant d'autres. Sans préjuger de la culpabilité ou de l'innocence des uns et des autres, nous aurions aimé être éclairés en vue de savoir pourquoi des accusations de corruption avec moult détails touchant des ministres, des hauts fonctionnaires, des proches du président de la République ont fait les choux gras d'un certain nombre de journaux sur des pages et pendant des jours sans que rien se passe. Excusez-moi Monsieur le président de simplifier mais l'équation reste très basique. Ou ces allégations très graves sont vraies et la justice, le Parlement, les instances chargées de la lutte contre la corruption auraient dû tout faire pour que les personnes soient jugées en toute équité, certes, mais, avec célérité. Ou ce sont des assertions graves mais fausses et là aussi, on attendait des mis en cause tout, sauf qu'ils se murent dans un silence inexplicable. Et surtout s'ils n'avaient rien à se reprocher pourquoi n'ont-ils pas saisi la justice de leur pays pour diffamation et laver ainsi leur honneur ? Des ministres de la République en fonction, des hauts représentants de l'Etat, des proches du président de la République se font traiter publiquement de corrompus, insulte suprême dans un pays qui se respecte, sans que rien se passe. Ceci est, pour le moins que l'on puisse dire, tout simplement hallucinant. Et pour paraphraser Lavoisier, nous dirons que rien ne se créera, tout se perdra et aucune transformation positive ne verra le jour chez nous si les détenteurs du pouvoir continuent de faire semblant de lutter contre ce fléau en ne faisant payer que les lampistes car les Algériens ne sont pas dupes. On aurait aimé que vous nous parliez Monsieur le président de la catastrophique vulnérabilité de notre économie et de son entière dépendance vis-à-vis des hydrocarbures. Malgré les énormes investissements pour développer d'autres secteurs, 50 années après l'indépendance, peu de choses ont changé. Le gouverneur de la Banque d'Algérie, dans sa dernière note concernant les tendances monétaires et financières du premier trimestre 2013, réitère ce constat et alerte les membres du gouvernement quant à l'urgence de prendre des mesures pour éviter les conséquences. Les importations utiles à la croissance, selon les experts, seront multipliées par quatre au minimum dans les années à venir. Par contre, les exportations basées sur les hydrocarbures, qui, elles, suivent le rythme des extractions, ne suffiront plus, et en 2014 ou 2015, si rien n'est fait, le solde de la balance commerciale du pays sera négatif car on importera plus qu'on exportera. Le 17 mai 2013, le Premier ministre reconnaissait que la somme faramineuse de mille milliards de dinars a été dépensée pour mettre les entreprises publiques à niveau. Cette perfusion d'entreprises, souvent moribondes, tout le monde en conviendra, n'a pas servi à grand-chose à part à préserver cette sacro-sainte paix sociale qui coûte tant à l'Algérie. Nos dirigeants auront-ils le courage de cesser cette fuite en avant qui nous mène droit au mur et a fait de l'Algérie un pays rentier où l'assistanat sous toutes ses formes a remplacé des valeurs comme l'effort, le travail et nous a fait oublier que tout salaire mérite travail ? On en doute fort quand on voit comment on continue à dilapider les deniers publics sans contrôle, sans débat, sans contre-partie et sans évaluation. Effacement de la dette des pays africains, distribution de milliards de dinars à chaque déplacement dans une wilaya du président et, depuis peu, de son Premier ministre, Ansej, scandales des subventions tous azimuts de certains produits et denrées... Jusqu'à quand continuera-t-on à subventionner à coups de milliards de dinars des produits qui profitent aux millionnaires comme aux démunis, sans distinction ? Le Premier ministre vient de déclarer tout récemment que l'Algérie est immunisée contre les turbulences. Nous lui disons oui, mais jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'argent à distribuer comme vous le faites pour continuer à acheter coûte que coûte la paix sociale. Et là, le réveil sera très dur car toutes ces mesures populistes et démagogiques, qui plus est défiant toute logique économique, n'auront suffi qu'à aggraver notre marasme et tout au plus retarder ce que vous redoutez tant : l'ire de nos concitoyens. «Les gouvernements ont l'âge de leurs finances», disait Châteaubriand, phrase que nos gouvernants devraient méditer avant qu'ils ne soit trop tard. Vous dénoncez avec courage et à juste titre ces coquilles vides que sont devenues la Ligue arabe et l'Organisation de la coopération islamique. Mais en même temps nous acceptons que notre pays continue à contribuer au financement de ces deux organisations fantoches : n'est-ce pas là encore une contradiction ? Vous en appelez à Darwin et sa théorie de l'évolution pour essayer de prévoir la question de la mutation sociale et le changement politique au centre du débat dans notre pays. Savoir que vous faites appel à Darwin et l'évolution et pas au créationnisme dans votre analyse ne peut que nous réjouir, mais vous ne pouvez ignorer, Monsieur le président, que les mutations, dont parle cet auteur, concernent les phénomènes du vivant et que les processus sont lents, étalés, graduels, que la nature ne fait jamais de sauts, ce qui explique, selon l'auteur de cette théorie, que les enfants ressemblent beaucoup à leurs parents et on le voit avec ce qu'on appelle chez nous la famille révolutionnaire, alors que pour notre pays, le changement ne peut plus et ne doit plus attendre. J'aurais aimé, Monsieur le président, que vous nous parliez de la nécessité de cette bonne gouvernance qui manque tant chez nous et qui conditionne tout développement économique durable. La bonne gouvernance est définie par la Banque mondiale comme étant la manière dont le pouvoir est exercé pour gérer les ressources nationales économiques et sociales consacrées au développement. L'aspect essentiel de cette bonne gouvernance réside dans une action gouvernementale prévisible, transparente, éclairée avec un exécutif comptable de ses actions. La démocratie et la bonne gouvernance, comme préalables au développent, est un postulat qui apparaît comme la doctrine dominante et une évidence aujourd'hui. Les tenants de ce courant érigent la liberté et partant la démocratie, au rang de valeur cardinale dont le sacrifice ne peut en rien être justifié. Ils arguent par conséquent que non seulement l'autoritarisme n'est en rien une condition du développement, mais en plus sans démocratie (entendue comme obligation pour les gouvernants de rendre compte aux gouvernés), il ne peut y avoir de réel développement. En 2003, l'Unesco, par la voix de Boutros Ghali, dans un rapport de synthèse, concluait que «pour se consolider, la démocratie politique doit trouver son prolongement dans des mesures économiques et sociales qui favorisent le développement, de même que toute stratégie de développement a besoin, pour être mise en œuvre, d'être validée et renforcée par la participation démocratique.» Les démocraties sont mieux à même de gérer les conflits que les régimes autoritaires. Des études empiriques démontrent ainsi que les agitations sociales et politiques, le changement de majorité au pouvoir sont plus fréquents dans les démocraties que dans les dictatures. Cependant, ils ne perturbent pas le développement alors que c'est le cas des dictatures et des régimes autoritaires (Henry Diemer). Le temps du dictateur éclairé, plus personne n'y croit et c'est donc uniquement dans la liberté que l'homme peut être et prospérer. La création de richesses, condition d'un véritable développement, n'est guère possible dans un système oppressif ou autoritaire (Lamitos). Qu'en est-il chez nous, Monsieur le président ? La veille de l'élection présidentielle de 1999, à la question que feriez-vous si le score de votre élection n'est pas à la hauteur de vos attentes, posée par un journaliste, le candidat A. Bouteflika eut cette réponse sidérante : «Si le peuple veut rester dans sa médiocrité, je rentrerai chez moi. Je ne suis pas censé faire son bonheur malgré lui.» Réponse hallucinante et ô combien caricaturale de l'état d'esprit et des sentiments de mépris et de condescendance qu'ont nos dirigeants vis-à-vis de leurs concitoyens. Vous qui disiez, à juste titre d'ailleurs, dans votre contribution, ne pas croire au zaïmisme et au messie sauveur, n'êtes-vous pas choqué, Monsieur le président, par de tels propos ? N'avez-vous pas été gêné, Monsieur le président, quand ce même candidat qui, pour je pense continuer à faire notre bonheur malgré nous, n'a pas hésité à changer la Constitution qui limitait les mandats présidentiels à deux comme dans la majorité des pays pour qui l'alternance au pouvoir est indissociable d'une bonne gouvernance ? Qui ne se rappelle de ce véritable cas d'école qu'a été le limogeage humiliant en direct à la télévision du gouverneur d'Alger de l'époque par le président A. Bouteflika et de son retour, toute honte bue, quelques jours après et cette fois-ci comme ministre ? Tout cela, évidemment, sans aucune explication au petit peuple que nous sommes. Ce haut personnage de l'Etat, qui, faut-il le rappeler, a été lui aussi cité dans plusieurs affaires de corruption est, plus d'une décennie après, toujours ministre. Et après avoir fait du pays une décharge à ciel ouvert, et de nos villes des cités où il ne fait pas bon vivre, il s'est vu récemment confier le portefeuille, ô combien stratégique, de ministre de l'Industrie, de la Petite et Moyenne entreprises et de la Promotion de l'investissement. C'est vrai que le pouvoir a l'habitude chez nous de recycler son personnel dévoué, et d'ailleurs, la cohorte de ministres qui ont sévi récemment pendant plus d'une décennie avec le résultat que l'on sait et qui ont été nommés aux postes de sénateurs, après avoir mis fin à leur fonction ministérielle tout dernièrement, n'est pas pour nous contredire. En dehors du fait que les chemins du pouvoir sont impénétrables, ces quelques exemples parmi tant d'autres de la manière de gouverner opaque, imprévisible défiant le bons sens, sont tout sauf de la bonne gouvernance, comme nous l'avons défini plus haut. Pourquoi, Monsieur le président, les enfants de ce pays jeunes ou moins jeunes, avec ou sans diplôme n'ont qu'une idée en tête : partir vivre ailleurs même si c'est au péril de leur vie ? Pourquoi le pouvoir n'y voit qu'une infraction à la loi et sa réponse réflexe a été d'en faire un délit passible des tribunaux ? C'est une véritable hémorragie. Quelque 71 500 diplômés universitaires ont quitté l'Algérie entre 1994 et 2006 et cela est loin de s'arrêter (Ahmed Guessoum). Cette fuite des cerveaux a causé à l'Algérie des pertes estimées à quelque 40 milliards de dollars et, selon ce même chercheur qui se base sur un rapport du Conseil économique et social (CNES), plus de 10 000 médecins ont quitté l'Algérie durant cette période pour s'établir essentiellement en France. La dégradation de la situation sécuritaire, les conditions socioprofessionnelles, l'absence d'un climat propice à la recherche et à la formation des élites, les entraves à la liberté d'initiative et l'absence de débouchés sont les principales causes du départ massif des diplômés, a-t-il relevé. La motivation n'est plus seulement économique et le chômage ne semble plus la raison essentielle de cette saignée. Les gens partent pour donner un sens à leur vie, en quête de liberté, d'espoir et de dignité (Belhimer). Méditons ce jour où les présidents Chirac et Bouteflika visitèrent Bab El Oued après les terribles inondations qu'a connues ce quartier et où tous les jeunes scandaient à l'intention du chef de l'Etat français : «Aatina el visa !» (donnez-nous le visa). Seraient-ce les prémices de ce qu'appelait, dans une de ses chroniques récentes, M . Belhimer, la «repentance inverse» ou le fait d'arriver à regretter le départ du colonialiste ? Connaissant le prix que nous avons payé pour arracher notre indépendance, ce serait la pire des choses qui puisse nous arriver, vous en conviendrez. Déformation professionnelle oblige, je ne terminerai pas cette contribution sans dénoncer le problème de ces scandaleuses prises en charge pour soins à l'étranger qui font que le droit à la santé et l'égalité des chances devant la maladie pour toutes les populations quels que soient le sexe, l'âge ou le niveau social, est devenu une chimère chez nous. Peut-on accepter alors que sur les 28 000 cancéreux nécessitant une radiothérapie chaque année, seuls 8 000 peuvent en bénéficier faute de structures pour les accueillir et qu'en même temps des prises en charge pour soins à l'étranger continuent à se faire dans l'opacité et l'iniquité les plus totales ? Les militaires ont leur caisse de sécurité sociale où ils établissent en toute discrétion les prises en charge pour leurs assurés sociaux. La presse a révélé que «le groupe pétrolier public Sonatrach a attribué dernièrement un contrat de prestation de transfert, de prise en charge médicale et d'assistance des patients à l'étranger pour ses salariés au Centre méditerranéen de diagnostic (CMD) pour 41 millions d'euros». Ce contrat permet aux salariés de Sonatrach de se faire traiter dans les meilleurs cliniques et hôpitaux européens. En 2011, les services consulaires françaix ont délivré 1000 visas pour soins à l'étranger pris en charge par la CNAS, la caisse militaire et la caisse de sécurité de Sonatrach. Dans la même période 430 malades ont eu le fameux sésame délivré par la commission médicale nationale pour se soigner à l'étranger. Par un calcul très simple, il apparaît que près de 60% des accords de prises en charge pour soins à l'étranger acceptés concernent donc les militaires et les employés de Sonatrach (El Watan). Il faut que cette injustice cesse. Le débat doit être ouvert, et si ces prises en charge pour soins à l'étranger doivent continuer, ce qui est discutable, nous devons impérativement leur trouver un cadre plus juste et plus transparent afin d'assurer l'égalité de tous les citoyens devant la maladie. L'Algérie, ce pays de jeunes gouverné par des vieux, donne l'impression d'être dans une éternelle phase de transition, avec une population léthargique confinée dans une immense salle d'attente et dont la vie est rythmée uniquement par les heures de repas. Et cela ne peut nous empêcher de penser à Gramsci, cet homme politique et philosophe italien qui disait que «quand l'ancien se meurt et que le nouveau ne parvient pas à voir le jour, c'est dans ce clair-obscur que naissent les monstres». Devrions-nous pour cela nous résigner à cette situation ? Non, car contrairement à d'autres, nous n'avons ni pour nous ni pour nos enfants de patrie de rechange, nous sommes condamnés à réussir et ici. Cinquante ans, l'âge de la maturité pour notre nation ? J'ose l'espérer et je terminerai en citant encore une fois Gramsci qui disait : «Il faut avoir le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté.».