Après deux années d'exercice de la politique publique française en matière d'asile et d'immigration, un bilan et état des lieux exhaustif viennent d'être produits et publiés par la Cimade (service œcuménique de solidarité en faveur des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile). Quel constat sur le traitement par le pouvoir Hollande de cette question ? Si les promesses de campagne du candidat socialiste ont été nombreuses et les espoirs colossaux lorsque l'actuel Président évoquait «une rupture avec la politique brutale et injuste portée par son prédécesseur», force est de constater, au regard de l'état des lieux de la Cimade, que du changement attendu «on ne peut que constater, au mieux, une lenteur coupable face à l'urgence, et au pire, une volte-face et une politique qui s'inscrit en définitive dans la continuité». Dès leur introduction du rapport, les auteurs constatent certains faits de 2014 qui ne trompent pas : une circulaire de 2014 enjoint «dans des termes d'une rare violence, les préfets à expulser massivement les personnes étrangères» en situation irrégulière ou relève encore «le durcissement constaté des procédures d'octroi ou de renouvellement des titres de séjour pour raisons médicales». Outre ces mesures, le discours lui-même sur l'immigration que la Cimade espérait «de clairvoyance, réaffirmant les valeurs de solidarité et de vivre-ensemble, déconstruisant les idées reçues et les représentations fantasmées à l'égard de l'étranger», n'a pas été porté par le pouvoir socialiste. En lieu et place, il y a eu soit le silence, soit, plus grave encore, des propos inadmissibles comme le chapelet proféré par le ministre de l'Intérieur (Manuel Valls) qui a remis en question le droit au regroupement familial ; qui s'est interrogé sur «la compatibilité de l'Islam avec la démocratie» ou qui qualifie de menace, l'évolution démographique africaine ou enfin l'impossible vocation des Roms à s'intégrer en France. Le point fait dans le rapport, concernant les demandes de visa, retient particulièrement l'attention. Des deux millions six cents mille demandes de visas enregistrés en 2012, 88,5% ont reçu un avis favorable, note le rapport. Est-ce à dire que c'est là un bon résultat ? Sûrement pas car ce que relève la Cimade, c'est d'abord la disparité que ne révèle pas ce chiffre entre les différents consulats. «Entre les demandes de visa déposées à Saint-Pétersbourg, qui concernent principalement des hommes d'affaires et celles déposées au consulat de France à Casablanca, qui touchent plutôt les membres de famille, le taux de délivrance varie considérablement». Près de 250 000 refus de visa, soit une hausse de 11,8% par rapport à 2011, ont été enregistrés en 2012. Ce sont surtout les conditions d'accueil des demandeurs de visa qui sont pour le moins mauvaises dans beaucoup de consulats. L'externalisation (par des entreprises privées) du traitement des demandes de visa tend à se généraliser ce qui n'est pas, note le rapport, sans conséquences sur les tarifs exorbitants des visas. Aussi, la Cimade propose de «stopper le processus d'externalisation et de doter les services consulaires de moyens leur permettant de traiter correctement les personnes qui sollicitent un visa et l'instruction de leurs demandes». Dans les préfectures en France, l'accueil n'est pas meilleur, pour ne pas dire pire. Conditions toujours dégradées, affirme le rapport qui dévoile que 5 millions de passages de personnes étrangères sont passées en préfecture en 2011. Sur ce nombre, note le rapport, 290 000 passages en préfecture pourraient être évités si la moitié des titres de séjour étaient des titres pluriannuels valables 3 ans, d'autant que 61% des titres de séjour délivrés en 2011 étaient des documents de séjour provisoire. Sur le titre de séjour, la Cimade note que la Cour des comptes, dans son rapport public annuel de février 2013, avait qualifié des conditions d'accueil dans les préfectures de «toujours pas convenables», évoquant notamment «les longues files d'attente, de halls non adaptés et de recours fréquents au renfort de police». De plus, avait noté cette institution, des pièces justificatives différentes selon les départements sont exigées. C'est pourquoi la Cimade propose «d'établir au niveau national des listes de pièces justificatives exigibles pour le dépôt des demandes de titre de séjour, applicables de manière homogène». Quant au dossier de régularisation, il est fait mention d'une grande déception car, expliquent les auteurs, «le premier texte de l'actuel gouvernement sur le droit au séjour des personnes étrangères en France, la circulaire du ministère de l'Intérieur publiée le 28 novembre 2012» n'a apporté «aucune réforme d'ampleur». Les estimations donnent de 300 000 à 400 000 personnes étrangères en situation irrégulière alors que le nombre d'étrangers en situation régulière s'élève à 2 millions six cents mille. Notons toutefois que le nombre de régularisés en 2013 s'élève à 46 000 alors qu'il était de 36 000 en 2012. Dans ce volet, la Cimade fait plusieurs propositions dont : l'adaptation législative pour le droit au séjour et ne pas le lier aux seuls intérêts économiques de la France ; aller vers un titre de séjour unique pluriannuel dès la première délivrance ; dès un séjour régulier de 3 ans, rétablir la carte de résident et enfin, assortir tous les titres de séjour d'une autorisation de travail. L'obtention de titre de séjour pour raison médicale est devenue très problématique. La loi du 16 juin 2011 en a considérablement durci l'octroi. A ce propos, il est notamment souligné que «malgré les promesses électorales de François Hollande, le gouvernement n'a pas modifié cette loi et au niveau des pratiques administratives la situation ne cesse de se dégrader». Ainsi, moins de 18% de titres de séjour ont été délivrés à des étrangers malades en 2011. Les étrangers malades, pour 73% d'entre eux, obtiennent des titres de séjour de 6 mois maximum. Ainsi, il est proposé le retour à la loi votée en 1998 pour garantir un titre de séjour aux étrangers gravement malades privés d'un accès effectif à un traitement approprié dans leur pays d'origine et de mettre fin aux ingérences et pressions des préfectures et enfin de protéger contre les expulsions des malades vivant en France. Comme un SOS, le secrétaire général de la Cimade rappelle que la politique d'immigration appelle des changements profonds, d'ampleur et surtout, dit-il, «une révolution de la pensée, face aux impasses dans lesquelles les politiques de fermeture, françaises comme européennes, nous conduisent depuis des dizaines d'années».