Que faire de ces vieux immigrés, des Algériens en majorité, qui ont retroussé leurs manches des années durant, à assembler des Renault 5, à construire des routes nationales ou à balayer les rues de Paris ? Que faire d'eux une fois que leur employeur les a licenciés ou que leur force de travail les a abandonnés ? Cette question taraude les pouvoirs publics français depuis une décennie, voire plus, depuis que ces hommes et ces femmes arrivés en France dans les années 1950, 1960 et 1970 ont atteint l'âge de la retraite. Sans que ne soient apportées de réponses concrètes, comme si l'Etat s'accommodait de leur invisibilité. A l'initiative de Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale française, une mission d'information sur les immigrés âgés a été créée le 20 novembre 2012 par la Conférence des présidents afin de faire en sorte que ces personnes puissent vieillir dignement. La mission a auditionné des dizaines de personnalités. Avant de remettre son rapport en juin, elle s'est rendue du 12 au 15 mai en Algérie et au Maroc pour rencontrer notamment des responsables des caisses de Sécurité sociale et des ministères sociaux ainsi que des services consulaires français. Les ministres français concernés, santé, personnes âgées, intérieur et logement, seront entendus fin mai et début juin. Mais le rapporteur de la mission, un député socialiste des Hauts-de- Seine (92) a déjà une idée précise des enjeux et des réformes à mener. Il explique la démarche de la mission et dévoile ses intentions. Connu, l'état des lieux n'en est pas moins effarant. «La situation était indigne il y a vingt-cinq ans ; aujourd'hui, c'est carrément scandaleux, ça ne peut plus durer, certains vieux messieurs vivent toujours dans la chambre de 7 mètres carrés qu'ils occupent depuis leur jeunesse, avec une douche sur le palier et une cuisine commune», indique l'élu d'une circonscription dans laquelle sont implantés six foyers, dont ceux de Gennevilliers. «Vu l'état de délabrement de certains logements, on peut parler de maltraitance », poursuit-il. La mission a décidé de centrer ses travaux sur les 850 000 immigrés (dont certains ont acquis la nationalité française) âgés de plus de 55 ans. Parmi eux, 350 000 ont plus 65 ans et 40 000 vivent encore en foyers. Débarqués en France au début des Trente Glorieuses (après la Seconde Guerre mondiale), les Maghrébins sont les plus nombreux (70%), les Africains subsahariens, des Maliens et des Sénégalais surtout, les ont rejoints, de vieux Chinois aussi. Beaucoup touchent le minimum vieillesse, qu'ils perçoivent sous la forme de l'Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), car ils ont enchaîné les petits boulots, mal payés, à temps partiel, mal ou non déclarés parfois à leur insu. Les discriminations subies au moment du recrutement et dans l'évolution de leur carrière se sont traduites par des inégalités salariales jamais rattrapées. «... Les chibanis vivent en moyenne dix ans de moins que les autres...» Cantonnés dans les emplois les plus durs, les plus dangereux et les moins qualifiés, ils ont été les premiers mis à la porte lors des restructurations industrielles des années 1980. «Les chibanis vivent en moyenne dix ans de moins que les autres. C'est comme les ouvriers mais en pire», indique le rapporteur de la mission parlementaire, qui souligne que cette population qui parle un peu le français mais ne sait pas forcément l'écrire connaît mal ses droits et n'ose pas toujours les exercer. «Certains attendent le dernier moment pour se soigner, ce qui complique les traitements ou les rend inefficaces», observe-t-il. «Leur reprocher de venir en France profiter du système comme le font des responsables politiques est purement et simplement indécent quand on connaît la réalité», insiste-t-il. Les pouvoirs publics ont été embarrassés dès que ces personnes ont été considérées comme improductives. Qu'allaient-ils pouvoir faire de ces ex-travailleurs dont ils s'étaient convaincus qu'ils repartiraient chez eux une fois la tâche accomplie ? Beaucoup auraient de fait aimé retourner dans le pays de leurs ancêtres s'ils n'avaient été contraints de rester en France. Pour deux raisons principales : le coup de frein à l'immigration professionnelle décidé en 1974 à la suite de la crise pétrolière s'est accompagné de durcissements législatifs successifs pour entrer sur le territoire, ce qui a rendu difficile, voire impossible les allers retours. De peur de ne plus pouvoir revenir en France, certains ont préféré ne pas en partir. La nature de l'immigration a changé, les hommes célibataires laissant la place aux épouses. A ces effets de la politique migratoire s'ajoutent les dysfonctionnements propres à l'administration empêchant ces hommes et ces femmes âgés de bénéficier de leurs droits acquis en cas de retour au pays. Le principal problème réside dans le fait que partir signifie renoncer à leur seule ressource, dans la mesure où le versement du minimum vieillesse, dont le montant s'établit actuellement à 787,26 euros par mois, est conditionné à une obligation de résidence en France (plus de six mois par an, pas forcément d'affilée). Une demande de remboursement d'un montant de plusieurs dizaines de milliers d'euros échelonnés sur... 120 ans ! Les tracasseries sont de tout ordre. Lors des auditions, le rapporteur de la mission assure avoir pointé du doigt les pratiques «inacceptables » du service de l'Aspa de la Caisse des dépôts et consignations, chargé des versements quand la personne ne relève d'aucun régime d'assurance- vieillesse. «Nous avons mis sous le nez du responsable de ce service des courriers émanant de son administration visant à contrôler la situation des personnes. Des courriers simples sont envoyés, sans recommandé, exigeant une réponse dans un délai d'un mois sous peine de suspension», indique le député qui évoque le cas d'une personne de plus de 80 ans qui a dépassé le temps imparti hors des frontières et qui s'est vu infliger une demande de remboursement d'un montant de plusieurs dizaines de milliers d'euros échelonnés sur... 120 ans. «C'est kafka, s'énerve l'élu, se référant au rapport récent qu'un conseiller d'Etat a consacré à la faillite des politiques d'intégration. L'administration doit arrêter de les harceler, ils ne sont pas des fraudeurs. Sans compter qu'ils n'ont pas de recours.» L'«exportabilité » du minimum vieillesse, c'est-à-dire la possibilité pour les bénéficiaires de le percevoir dans le pays d'origine, devrait faire partie des recommandations de la mission parlementaire. Ce n'est pas révolutionnaire, puisqu'un ancien ministre de l'Emploi, avait prévu un dispositif de ce type dans la loi Dalo du 5 mars 2007 aux articles 58 et 59. Mais les décrets mettant en œuvre cette «aide à la réinsertion familiale et sociale» à la charge de l'Etat n'ont jamais vu le jour en raison du blocage de l'administration et de l'absence de volonté politique, alors même que cette mesure n'aurait rien coûté puisqu'elle devait avoir pour conséquence la suppression de la plupart des autres prestations sociales (aide au logement, sécurité sociale, sauf en cas d'urgence médicale). De leur côté, les associations françaises regroupées dans le «Collectif justice et dignité pour les chibani-a-s» exigent un accès aux soins et aux droits politiques et sociaux sans restrictions en France et dans le pays d'origine pour garantir un réel droit d'aller et venir. «Comment concilier leur liberté de circulation et l'usage de leurs droits» Comme la majorité des vieux migrants souhaitent, malgré tout, finir leurs jours en France, la mission devrait essayer de favoriser l'accès au logement social de ceux vivant en foyers en demandant aux mairies d'arrêter de mettre systématiquement leur dossier en bas de la pile. Elle voudrait aussi voir se développer les colocations permettant à ceux qui le veulent de faire la navette avec leur pays d'origine sans perdre leur logement. «La plupart des droits sociaux sont liés à la présence sur le territoire. La question à laquelle nous devons répondre est donc comment concilier leur liberté de circulation et l'usage de leurs droits», résume le rapporteur de la mission qui considère que des accords bilatéraux entre sécurités sociales devraient être signés. Tout en reconnaissant que des efforts ont été faits en matière de rénovation des foyers, l'élu juge insuffisant le rythme des travaux. «Adoma, l'ex-Sonacotra (société qui gérait les foyers des émigrés), avait promis que tout serait fini en 2012. On n'en est qu'à la moitié», regrette-t-il. Parmi les autres requêtes se trouve la nécessité de faciliter l'accès à la naturalisation pour les immigrés installés depuis plus de vingt ans ou vingt-cinq ans en France. «C'est aberrant de demander aux personnes les actes de naissance de leurs parents quand ceux-ci étaient des paysans sénégalais dans les années 1930», remarque-t-il. Lors du lancement des travaux, Claude Bartolone, le président de l'Assemblée nationale française, avait promis de ne pas oublier les femmes immigrées âgées, qui pour certaines, une fois leur mari décédé, vivent dans un dénuement extrême. La création de carrés musulmans dans les cimetières et l'abaissement du coût du rapatriement des corps sont aussi au programme. La mission devrait par ailleurs exiger davantage de moyens pour le Haut- Conseil à l'intégration (HCI) afin de combler le déficit de recherche et de données statistiques et évoquer les aspects mémoriels au travers de la valorisation dans les manuels scolaires de la contribution de l'immigration à l'histoire du pays. La mission a une portée «symbolique pour les générations suivantes qui pourront voir comment la République traite leurs parents et grands-parents», a souligné le président de l'Assemblée nationale. La volonté politique y sera-t-elle cette fois-ci ? Les membres de la mission sont convaincus que les propositions des parlementaires ne resteront pas lettre morte, qu'elles prennent la forme d'une loi ou de textes réglementaires. Pourtant les rapports s'empilent depuis dix ans, comme celui de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) en 2002 et celui du HCI en 2005, sans être suivis d'effets notables. Le président français ne s'est pas engagé sur le sort des vieux immigrés lors de la campagne présidentielle, à ceci près qu'une de ses promesses, celle accordant le droit de vote aux étrangers extra-communautaires aux élections locales, les auraient concernés. Mais elle a été enterrée, pour l'instant tout du moins. Nous reviendrons sur les conclusions de cette mission parlementaire dès la publication du rapport de cette dernière le mois prochain. Affaire à suivre. LSR Difficultés lors de la liquidation des retraites et difficultés pour les étrangers retournés au pays Les retraités étrangers en France font face à certaines difficultés spécifiques dès lors qu'il s'agit de percevoir leurs retraites. Certains se voient contester leur date de naissance. La date reconnue sur leurs papiers de sécurité sociale ne coïncide en effet pas toujours avec leur date de naissance réelle. Sans incidence durant les années de travail, ces erreurs se révèlent problématiques à l'âge de partir à la retraite. On peut ainsi leur contester leur âge et leur refuser un départ à la retraite (vous n'avez pas 60 ans) ou refuser de reconnaître qu'ils ont 65 ans au moment de la liquidation (âge qui permet d'avoir un taux dit plein pour la retraite du régime général). Théoriquement et en droit, il est possible de s'appuyer sur l'article 47 du code civil français qui permet de faire prévaloir des papiers d'état civil du pays d'origine sur les documents français. Mais peu de retraités le savent ou peuvent effectuer des recours devant un tribunal français, a fortiori quand ils ne résident déjà plus en France. Depuis la loi Chevènement de 1998, il est théoriquement possible de liquider sa retraite depuis le pays d'origine (c'était déjà possible auparavant pour les ressortissants de certains pays ayant conclu avec la France des conventions bilatérales de sécurité sociale prévoyant cette possibilité). Mais très souvent, pour l'étranger retourné au pays avant l'âge de la retraite, il est difficile de réunir sur place toutes les pièces et de rechercher toutes les preuves des périodes d'activité manquantes sur le relevé de carrière envoyé par la caisse de retraite. Le futur retraité aurait besoin de revenir en France pour faire valoir ses droits, retrouver des preuves pour certaines périodes d'activité oubliées et ne pas se voir spolier. Mais il se heurte à de nombreux obstacles à commencer par la difficulté, voire l'impossibilité dans certains pays d'obtenir un visa auprès du consulat. A l'occasion de l'examen de la loi Pasqua de 1993, le Conseil constitutionnel français avait pourtant explicitement exigé qu'un visa soit fourni aux personnes désirant aller en France pour entreprendre des démarches de liquidation des retraites. Mais depuis, le Conseil d'Etat est venu valider les pratiques de refus de visa, au motif qu'il est possible désormais (depuis 1998) de liquider la retraite depuis le pays d'origine... Une fois liquidée, la retraite contributive peut être virée dans la banque du choix du retraité, en France ou à l'étranger, pour les étrangers comme pour les Français. Les difficultés rencontrées viennent parfois de tracasseries ou malveillances éventuelles d'agents de sécurité sociale, mais surtout des frais prélevés par les intermédiaires, de la malhonnêteté des banques ou des administrations de certains pays d'origine qui se servent sur les retraites transférées, ou qui retardent le versement effectif à la personne. C'est pourquoi beaucoup de retraités hésitent d'ailleurs à repartir au pays ou encore reviennent périodiquement en France — quand ils le peuvent — pour percevoir leur retraite sur leur compte bancaire ou postal français.