Loin de la notoriété des grands militants de la cause nationale, Lucette Hadj Ali fait partie de ces militants très discrets mais très résolus. Peu de gens la connaissent bien qu'elle ait donné toute sa vie pour l'Algérie. L'histoire de cette vraie Algérienne d'origine française s'est arrêtée hier matin à l'aube. Lucette Hadj Ali, épouse de Bachir Hadj Ali, née Laribére en 1920, est décédée ce lundi 26 mai au matin à la Seyne-sur-Mer près de Toulon, dans le sud de la France. A voir son sourire, à quelques semaines de sa mort, on ne pouvait deviner ce qu'elle a enduré depuis les années 1945-1946 où elle prenait conscience du fait colonial. Depuis cette date elle s'était résolument engagée pour l'Algérie indépendante, puis pour l'Algérie moderne et démocratique. Dans son livre publié en juin 2011, elle décrit les conditions qui l'ont conduite à s'engager entièrement pour l'indépendance de l'Algérie. Combien de fois elle regrettait le fait de prendre conscience tardivement de cette réalité coloniale : «Mais j'étais aveuglée», disait-elle à chaque fois qu'on parlait de cette période. Très franche, elle le dit dans son livre, son environnement social à Oran où elle était, dont la majorité était européenne, ne permettait pas «d'avoir des contacts avec la population algérienne». Mais Lucette s'est rendu compte de cette situation quand elle s'était installée à Alger en 1942 où elle avait connu Robert Manarranche, qui est devenu son premier mari et avec qui elle a eu deux enfants, Pierre et Jean. Lucette dit qu'elle s'était complètement projetée dans une nouvelle vie en allant prendre le thé les soirs du Ramadhan à La Casbah. Ce contact avec la population algérienne lui a permis de prendre conscience de l'injustice coloniale. Elle nous racontait cela, il n'y a pas si longtemps, avec grande satisfaction. Après des premiers contacts avec le PPA et ayant des soucis de santé en pleine période de bombardements de l'aviation italienne sur Alger en 1942, elle était repartie à Oran rejoindre ses quatre sœurs et son père, gynécologue de formation et ayant ouvert la première clinique privée à Oran (la clinique existe jusqu'à aujourd'hui). À l'issue de ses études d'histoire et de géographie à l'Université d'Alger, Lucette a travaillé, à partir de 1942, à l'Agence France-Presse, puis à partir de 1943 à Liberté, journal hebdomadaire du PCA. C'est là, écrit-elle, qu'elle a appris les bases du métier, sous la houlette d'une journaliste de talent, Henriette Neveu, et qu'elle a été au contact réel des horreurs du système colonial en Algérie. Lucette a eu ensuite à s'engager pour les droits des femmes une fois qu'elle a adhéré à l'Union des femmes d'Algérie (UFA), première organisation féministe dans ce pays, créée en 1944, par le Parti communiste algérien. Elle a été rédactrice en chef du journal mensuel édité par cette organisation. S'engageant dans la clandestinité par la suite, sous le pseudonyme de Safia, elle a connu Bachir Hadj Ali, premier secrétaire du Parti communiste algérien avec lequel elle s'est mariée. Ce dernier a été emprisonné puis torturé à l'époque de Houari Boumediène. Lucette s'était toujours solidarisée avec son mari, elle l'a accompagné jusqu'à la fin de ses jours en 1991. D'ailleurs son hymne à l'amour, elle le déclare publiquement dans son livre : «Lettres à Lucette 1965-1966, Bachir lui a décrit ses journées carcérales loin d'elle et de leurs enfants». Une publication qui témoigne de son humanisme. Vivant à Hussein-Dey et avant les menaces de mort des groupes islamistes, elle enseignait l'histoire au lycée El Idrissi où l'on garde d'elle un grand souvenir. Mais Lucette ne s'était jamais arrêtée là, elle s'est engagée contre l'intégrisme islamiste par la suite en faisant partie du RAFD (Rassemblement algérien des femmes démocrates). Elle s'était par la suite installée à la Seyne-sur-Mer auprès de sa famille où elle est décédée. Comme disait un ami, Lucette était une Algérienne de naissance mais surtout de cœur.