Par Hassane Zerrouky Le spectacle où pouvoir et opposition se disputent le soutien des ex-dirigeants de l'ex-FIS – c'est à celui qui en attirera le plus grand nombre – me met mal à l'aise. Dix-neuf ans après Sant' Egidio, que voit-on ? Ahmed Ouyahia menant des consultations sur la révision constitutionnelle ouvertes à des «personnalités nationales» parmi lesquelles l'ex-chef de l'AIS Madani Mezrag ou l'ex-mentor des Afghans de la mosquée «Kaboul» de Belouizdad, ex-fondateur du FIS dissous, Hachemi Sahnouni. Histoire sans doute de couper l'herbe sous le pied de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) qui a organisé, mardi à Zéralda, une conférence pour la transition démocratique. Et à laquelle ont pris part quelque 400 personnes dont d'ex-dirigeants de l'ex-FIS comme Ali Djeddi, Abdelkader Boukhemkham, Kamel Guemazi (Ali Benhadj absent s'étant fait excuser), participant côte à côte avec Saïd Sadi, Mokrane Aït Larbi, Ali Benflis, Mouloud Hamrouche, Ahmed Benbitour, Sid-Ahmed Ghozali, Ali Yahia Abdenour et des dirigeants du FFS. A Zéralda, les participants semblaient mus par une volonté de faire bouger les lignes face à un pouvoir autiste dont la politique est en train de conduire le pays vers le mur. Aussi, dans cette perspective, ont-ils choisi d'emblée de mettre de côté les sujets qui les séparent fondamentalement, afin, affirme le document portant «Projet de plateforme», d'opérer un changement pacifique, et partant, de sauver le pays. Et de ce point de vue, le dialogue conduit par Ahmed Ouyahia, visant à maintenir un système politique défaillant, semble bien poussiéreux. Reste que la plateforme de la CNLTD, qui va sans doute servir de document de travail aux groupes de réflexion, qui vont être mis en place, comporte quelques non-dits et oublis. La décennie noire par exemple. Comment ne pas l'aborder pour situer les responsabilités des uns et des autres et, partant, crever une fois pour toutes l'abcès. Dans le paragraphe intitulé «les objectifs», certains oublis comme la consécration des droits des femmes, la suppression du code de la famille, la liberté de conscience ou l'interdiction d'instrumentaliser le religieux à des fins politiques, sont autant de principes qui auraient mérité d'y figurer et d'être débattus. Le fait qu'ils ne soient pas mentionnés montre que les islamistes (toutes tendances confondues) n'ont pas du tout évolué sur ces sujets. Et que s'il y a évolution, ou plutôt inflexion, elle est le fait des partis démocrates qui ont choisi de renoncer à certains de leurs principes. Autre aspect, les auteurs de la plateforme évoquent bien la déclaration du 1er Novembre 1954 mais pas le Congrès de la Soummam ! Je veux bien croire Monsieur Mokri quand il nous dit que «tout le monde a évolué». Si évolution il y a, à quoi ont renoncé les partis islamistes et les dirigeants de l'ex-FIS pour que les choses changent ? A l'Etat islamique et à la Charia ? Si cela est le cas pourquoi ne pas l'affirmer publiquement ? A la polygamie et au code de la famille réduisant la femme à un statut de non-citoyenne ? Si c'est le cas, qu'ils l'affichent publiquement ? Bien plus, que signifie une Constitution «consensuelle» ? Autre point : les auteurs du document font une fixation sur l'armée. Soit. Il faut en effet la soustraire aux politiques, qu'elle ne soit plus instrumentalisée à des fins de pouvoir. Mais, j'avoue que ce qui me préoccupe, c'est qu'on n'applique pas la même règle aux religieux, à savoir soustraire l'islam aux politiques afin qu'il ne soit pas instrumentalisé à des fins de pouvoir et à des fins sociétales ? Certes, dira-t-on, la rencontre de Zéralda, qui n'est qu'une étape en appelant d'autres, ne peut aborder tous les sujets dès le premier jour. Mais pour la suite, il serait préférable de prendre son temps, de clarifier d'emblée les choses afin d'éviter les surprises désagréables et de se fixer pour objectif un projet de Constitution avec des lignes rouges à ne pas franchir clairement définies. Pour l'heure, il semble que ce ne soit pas le cas. Pour terminer, dans cette affaire où pouvoir et opposition rivalisent pour gagner le soutien des dirigeants de l'ex-FIS à leurs projets respectifs, la question est de savoir si, au final, c'est la démocratie et les libertés qui en sortiront vainqueurs. Je crains que ce ne soit l'ex-FIS remis en selle sans en avoir fait la demande, sans qu'on lui demande le moindre compte et sans faire la moindre concession, qui tire les marrons du feu. En se partageant les tâches – Madani Mezrag et Sahnouni chez Ouyahia et Boukhemkham et ses amis à Zéralda – les anciens dirigeants du FIS dissous jouent sur les deux tableaux. L'ex-FIS est de fait au centre de la scène politique... comme à la fin des années 80 et au début des années 90.