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LES MALADIES RARES ET ORPHELINES
Un calvaire et une inégalité dans la prise en charge des malades
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 06 - 2014

«Il est extrêmement rare que la montagne soit abrupte de tous côtés.»
(André Gide 1869-1951, écrivain)
Une maladie est considérée comme rare lorsqu'elle touche moins d'une personne sur 2 000, soit 0,2% de la population. Pour un pays de la taille de l'Algérie, cela équivaut à moins de 20 000 personnes atteintes d'une même maladie. Or, comme on compte aujourd'hui près de 8 000 maladies rares identifiées, on peut affirmer que même si ces maladies sont rares, les malades, eux, sont donc nombreux. Un chiffre appelé à s'accroître, puisque la littérature médicale décrit chaque semaine 5 nouvelles maladies rares. Environ 80 % de ces pathologies sont d'origine génétique. Parmi les autres causes, on trouve des déficits au niveau immunitaire, des infections, des maladies inflammatoires, auto-immunes (exagération dans le fonctionnement du système immunitaire) ou néoplasiques (cancers), des intoxications, des tératogènes (intoxications ou infections durant la grossesse). Dans bien des cas, l'étiologie (cause) de la maladie est inconnue. Un grand nombre de ces maladies rares sont dites «orphelines» parce que les populations malades ne bénéficient d'aucune réponse thérapeutique. Cette notion de maladie orpheline a émergé dans les années 1980 pour désigner un ensemble de maladies sans lien réel entre elles autre que le fait que trop peu de médecins, de chercheurs et de laboratoires pharmaceutiques s'y intéressent vraiment.
Il ne s'agit donc nullement d'un cadre nosologique, mais plutôt du signe des limites du système de santé à assurer une prise en charge d'efficacité égale à tous ses malades, quelle que soit leur pathologie. En ce sens, les maladies orphelines sont un défi non seulement médical, mais aussi humain et de solidarité.
Caractéristiques et manifestations
Une grande diversité d'expression caractérise les maladies rares. D'abord entre elles, mais aussi, pour une maladie donnée, une diversité des degrés d'atteinte et d'évolution de chaque individu.
Néanmoins, les maladies rares présentent des caractéristiques communes malgré leur grande hétérogénéité. Ces maladies présentent presque constamment certaines caractéristiques.
Elles sont invalidantes, avec une qualité de vie dégradée et une perte d'autonomie et où la douleur du malade occupe une place importante. Elles ne bénéficient pas de traitement, mais seulement des moyens pour soulager les symptômes améliorant quelque peu la qualité de vie. Elles sont rares, évolutives et chroniques avec mise en jeu du pronostic vital dans presque la moitié des cas.
En conséquence, l'autonomie du patient est entravée, se traduisant souvent par des empêchements de bouger dans le cas des myopathies, de voir pour les rétinites, de respirer pour la mucoviscidose (maladie génétique et héréditaire touchant les cellules qui tapissent différents organes tels que les voies respiratoires altérant ainsi leur fonctionnement), de résister aux infections pour les déficits auto-immunes et de comprendre pour les maladies de l'X fragile (maladie génétique rare liée au chromosome X et associée à un déficit intellectuel plus ou moins sévère). Les personnes atteintes par les maladies rares rencontrent presque toutes les mêmes types de difficultés.
Ces difficultés concernent le délai dans le diagnostic, l'information et l'orientation vers les professionnels compétents, l'accès à des soins de qualité, la prise en charge globale sociale et médicale de la maladie, la coordination des soins hospitaliers et de ville, l'autonomie et l'insertion sociale et professionnelle.
Le calvaire de la prise en charge
Les maladies rares et orphelines sont souvent des pathologies touchant plusieurs organes. Elles ont une expression clinique souvent déroutante car peu enseignée dans les facultés. Ceci conduit trop souvent les patients à errer d'un spécialiste à un autre avant que le diagnostic final ne soit posé, et ceci est source de retard diagnostic. Leur rareté fait que le diagnostic est complexe car il nécessite souvent des moyens d'exploration sophistiqués (études génétiques ou biochimiques complexes). C'est pourquoi, peu de praticiens sont prêts à investir le temps nécessaire à rechercher dans la documentation, les banques de données informatiques ou auprès de confrères la réponse aux énigmes que posent ces pathologies.
En effet, il faudrait un certain volontarisme et de la persévérance pour en confirmer le diagnostic, parfois aussi de la chance et connaître le spécialiste qui saura aider. Le déploiement d'énergie que nécessite la reconnaissance de ces maladies n'a le plus souvent pour égal que la déception dès lors que l'on veut proposer une intervention thérapeutique efficace.
Principales maladies rares
D'origine génétique dans leur majorité, elles sont regroupées selon leur mécanisme de transmission. On trouve :
- les maladies monogéniques qui résultent de la mutation d'un seul gène (portion d'ADN contenant une information génétique donnée) comme la mucoviscidose ou l'hémophilie (maladie héréditaire se traduisant par des saignements difficiles à arrêter à cause de l'impossibilité pour le sang de coaguler) ;
- les maladies polygéniques (ou multigéniques), les plus fréquentes, dans lesquelles plusieurs gènes sont impliqués ;
- les maladies plurifactorielles dans lesquelles, à côté de l'altération de plusieurs gènes de prédisposition, interviennent des facteurs environnementaux ;
- les maladies résultant d'aberrations chromosomiques (les chromosomes, au nombre de 23 paires, sont des structures constituées principalement d'ADN, hébergé dans le noyau de la cellule, contenant toute l'information génétique de l'individu) qui sont le plus souvent génétiques et provoquées par l'existence d'un chromosome (ou d'une partie d'un chromosome) excédentaire, ou par l'absence d'un chromosome dans une paire comme dans la trisomie 21 (appelée aussi syndrome de Down, c'est une anomalie génétique liée à la présence d'un chromosome 21 surnuméraire) ;
- les maladies mitochondriales, dont la cause réside dans l'altération du génome de la mitochondrie (petite structure intracellulaire dont la fonction principale est de fournir aux cellules l'énergie dont elles ont besoin pour leur fonctionnement comme les cellules musculaires ou les cellules nerveuses), qui sont transmises exclusivement par la mère comme certaines encéphalomyopathies (atteintes du système nerveux et des muscles) ou l'atrophie optique de Leber (baisse brutale de la vision habituellement chez le jeune due au mauvais fonctionnement du nerf optique qui transmet les informations de l'œil au cerveau).
Nous pouvons citer quelques maladies rares les plus fréquentes, à savoir :
- la maladie de Charcot-Marie-Tooth qui se caractérise par une atrophie musculaire (fonte musculaire) et une neuropathie sensitive (la cellule nerveuse, ou neurone, responsable de perception sensitive est atteinte) progressive touchant les extrémités des membres avec souvent des pieds creux associés ;
- le syndrome de Marfan dans lequel le tissu conjonctif (tissu de soutien et de protection des organes) est altéré et qui se traduit par des manifestations cardiovasculaires, squelettiques et oculaires ;
- le syndrome de Turner qui se traduit par différentes malformations chez des femmes qui n'ont qu'un chromosome X (elles en ont deux à l'état normal) ;
- la fibrose pulmonaire idiopathique qui se caractérise par la formation de tissu cicatriciel dans les poumons sans raison aucune ;
- la maladie de Ménière qui se traduit par de la surdité, des acouphènes (bruits entendus sans qu'ils soient provoqués par un son extérieur) et des vertiges ;
- la drépanocytose est une maladie hémolytique se traduisant par une hémoglobine anormale et déformée (globule rouge en faucille) ;
- les erreurs innées du métabolisme représentées principalement par des déficits enzymatiques (les enzymes sont des catalyseurs des réactions biochimiques dans la cellule) aboutissant à des surcharges et des accumulations de produits non dégradés souvent toxiques pour la cellule (maladies de Gaucher, de Fabry, de Niemann-Pick...).
Les plus connues et les plus spectaculaires des maladies rares sont représentées par la maladie des «enfants de la lune» qui empêche les malades de recevoir la lumière du jour et la maladie des «os de verre» ou ostéogenèse imparfaite (fragilité de l'os, qui casse comme du verre, due à une anomalie de production de la principale protéine de l'os qu'est le collagène), qui rend les os extrêmement fragiles. Nous pouvons citer la maladie de Crohn qui est une maladie inflammatoire chronique intestinale, la maladie ou chorée de Huntington (appelée aussi «danse de Saint-Guy») qui est une dégénérescence neuronale affectant les fonctions motrices et cognitives et aboutissant à une démence. La myopathie de Duchenne ou dystrophie musculaire progressive est une maladie génétique (anomalie d'un gène ayant pour fonction la fabrication d'une protéine de soutien de la fibre musculaire) qui atteint progressivement l'ensemble des muscles du corps.
Même si les deux tiers se manifestent à la naissance ou dans les années qui suivent, les maladies rares mettent parfois 30 à 50 ans avant de se déclarer. C'est le cas de la maladie d'Huntington, la maladie de Crohn, la maladie de Charcot-Marie-Tooth ainsi que la maladie de Charcot ou sclérose latérale amyotrophique – SLA – (atteinte des neurones moteurs entraînant une paralysie progressive des muscles).
Recherche et maladies orphelines
En effet, plus de la moitié des publications scientifiques ou médicales mondiales est consacrée aux pathologies rares et orphelines.
À juste titre, car ces maladies constituent une mine d'informations pour étudier les pathologies communes. Elles ont souvent pour origine directe le défaut d'un seul gène, à l'inverse des affections plus courantes, qui relèvent de l'interaction entre gènes, ou entre gènes et environnement, et sont le fruit d'un ensemble de mécanismes perturbés qui, pour certains, sont à l'origine de maladies rares. Ces recherches auront toutes les chances de pouvoir être utilisées pour la mise au point de traitements des formes pathologiques plus communes. Prenons l'exemple de la maladie de Parkinson : les avancées réalisées ces dernières années afin d'en ralentir les effets résultent pour une grande part de travaux effectués sur des maladies mitochondriales qui, elles, sont très rares. De même pour le diabète et la maladie d'Alzheimer, où les dernières découvertes ont été faites sur des formes extrêmement rares. Cela a aussi permis d'identifier les gènes de prédisposition.
Autre exemple significatif : l'apport de l'étude des maladies rares de la rétine dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), une pathologie du vieillissement qui constitue la première cause de malvoyance après 50 ans dans les pays industrialisés.
Composé de plus de 130 millions de cellules, l'œil ne livre pas facilement ses secrets. Et c'est grâce à l'étude de nombreuses maladies rares que les chercheurs commencent à comprendre son fonctionnement et à identifier les protéines majeures impliquées dans la vision à l'aide de modèles animaux et de dispositifs d'imagerie à très haute définition.
La recherche fondamentale sur les maladies orphelines est l'affaire de quelques laboratoires financés par des fonds publics, et dont la puissance est bien inférieure à celle des grands laboratoires pharmaceutiques privés. Aussi, la recherche dans ce domaine bénéficie d'opérations faisant appel à la générosité publique telles le téléthon.
De nombreuses associations œuvrent pour les faire connaître et collecter des fonds telle l'implication de Zinédine Zidane pour la leucodystrophie (maladie génétique affectant la myéline qui est une substance graisseuse protégeant les fibres nerveuses). Cependant, l'effort à fournir reste important et constitue une injustice pour celui qui a eu la malchance d'être atteint par ces pathologies rares.
Traitements, peut-être un mal pour un bien !
Le traitement de ces maladies est en effet trop souvent inexistant ou incertain. Le marché médical représenté par chacune de ces maladies est trop faible pour inciter les grands laboratoires pharmaceutiques à investir dans la recherche thérapeutique dans ce domaine.
Un statut de médicament orphelin a donc été créé par un règlement européen. Les médicaments reconnus comme «orphelins» bénéficient d'un statut particulier permettant à l'industriel de rentabiliser son effort de recherche.
Ceci dit de nouveaux «médicaments orphelins» constituent un objectif qui se met en place au niveau mondial. En effet, récemment, la Commission européenne et les National Institutes of Health (le plus important institut de recherche américain en santé) devraient annoncer leur union au sein d'un consortium international où seront mis en commun les résultats de leurs recherches sur les maladies rares. Chacune des parties devrait contribuer à hauteur de 100 millions d'euros. L'objectif principal étant de mettre au point 200 médicaments d'ici à 2020 et de proposer un diagnostic fiable pour tous. Ce plan ambitieux est ouvert au-delà sur l'ensemble de la communauté mondiale.
Actuellement, les médicaments orphelins représenteraient 30% des innovations en biotechnologie pharmaceutique. Avec la fin des médicaments-vedettes (médicaments très connus et bien vendus), les maladies rares suscitent l'intérêt croissant de laboratoires pharmaceutiques à la recherche de nouveaux marchés. Car aujourd'hui, la plupart des brevets tombe dans le domaine public, et aucune molécule révolutionnaire n'est dans les «pipelines» des entreprises. Les industriels se tournent donc vers des niches plus restreintes, tels les médicaments orphelins.
Afin d'attirer les industriels, un règlement, adopté par l'Union européenne en décembre 1999, offre des avantages à ceux qui développent ces nouvelles thérapies, en particulier l'exclusivité de marché sur 10 ans pour la même molécule. Il est prévu une exemption de taxes lors de l'enregistrement à l'Agence européenne du médicament et, enfin, des conseils scientifiques gratuits sont prodigués, notamment pour la mise en place des essais cliniques. Les entreprises du médicament se sont engouffrées dans cette voie. Ainsi, plus de 600 molécules sont actuellement en développement dans le monde, et plus de 60 déjà sur le marché. Les dernières données estiment que 12 à 15 médicaments orphelins devraient voir le jour tous les ans dans la décennie à venir.
Toutes les maladies, malheureusement, ne sont pas concernées. Sur les 6 000 maladies rares et orphelines répertoriées en France, seules 300 sont couvertes par la recherche thérapeutique.
Les principaux secteurs concernés sont les cancers rares, les maladies neurologiques (sclérose latérale amyotrophique et chorée de Huntington, notamment), les affections rhumatismales rares et, enfin, les maladies lysosomales (maladies génétiques en rapport avec le fonctionnement anormal dans le lysosome qui est une structure cellulaire chargée du métabolisme des lipides et des sucres) où les derniers gros succès thérapeutiques concernent notamment la maladie de Gaucher (déficit en une enzyme lysosomale, la glucocérébrosidase caractérisée par des troubles neurologiques), pour laquelle on ne compte pas moins de 5 molécules sur le marché ou en développement, et la maladie de Fabry (déficit enzymatique de l'alpha galactosidase caractérisé par des signes neurologiques, dermatologiques et rénaux).
Mais si cet intérêt de l'industrie constitue un véritable espoir pour les malades, la mise au point de thérapeutiques efficaces pourrait, à plus ou moins long terme, poser un réel problème économique : comment les financer ?
Car innovants par définition, les médicaments orphelins sont également très coûteux. Certains traitements pouvant atteindre 300 000 euros par patient et par an. Une limite toutefois. On estime que seulement 10% des dépenses de santé des pays européens sont liés à la prise en charge des médicaments orphelins.
En conclusion
Que faire devant un patient présentant une pathologie orpheline? Le plus important est sans doute de trouver un correspondant en CHU motivé et disponible pour ce type de pathologie, d'essayer de le mettre en lien avec une association de malades, et de s'informer notamment au niveau du site «Orphanet».
Il faut savoir parler d'éventuelles questions d'enquêtes génétiques familiales destinées à permettre le diagnostic précoce, parfois anténatal. Le médecin de proximité a une place de choix dans l'accompagnement de ces familles. Sur le plan technique, il serait absolument stratégique que les pouvoirs publics puissent donner à la biologie toute sa place au côté de la clinique. Pour cela, il est nécessaire de mieux structurer la biologie experte, pour en améliorer la cohérence avec la clinique. Ainsi, un certain nombre de plateformes nationales de laboratoires de diagnostic approfondi dédiés aux maladies rares, concernant en particulier le séquençage à haut débit (recherche de mutations au niveau de l'ADN) et l'hybridation génomique comparative ou CGH (tests ADN sur puces à la recherche de réarrangements chromosomiques), doit être identifié au niveau national.
Il est attendu des pouvoirs publics la mise en place d'un plan national des maladies rares doté d'un dispositif de suivi et de prospective grâce à des modalités et des recommandations adaptées à cette problématique de santé publique.
Ce plan doit fixer, comme priorité, d'assurer l'équité pour l'accès au diagnostic, au traitement et à la prise en charge des personnes souffrant d'une maladie rare. La stratégie vise à mieux connaître l'épidémiologie des maladies rares et à reconnaître leur spécificité, développer l'information pour les malades, les professionnels de santé et le grand public concernant les maladies rares ainsi que la formation des professionnels à mieux les identifier. Il s'agit aussi d'organiser le dépistage et l'accès aux tests diagnostiques et améliorer l'accès aux soins et la qualité de la prise en charge des malades en poursuivant l'effort en faveur des médicaments orphelins.
Il serait primordial de répondre aux besoins d'accompagnement spécifique des personnes atteintes de maladies rares et développer le soutien aux associations de malades. On ne doit pas perdre de vue que, bien souvent, les maladies rares n'ont pas de traitement curatif, en particulier pour la plupart des maladies rares d'origine génétique.
Néanmoins, même en l'absence de traitement curatif, il est toujours possible de proposer aux malades une prise en charge thérapeutique afin d'améliorer l'espérance de vie et surtout les conditions de vie en luttant contre la douleur et en traitant les manifestations gênantes. Aussi, certains équipements et appareillages peuvent aussi permettre d'améliorer l'autonomie des malades lorsqu'il existe un handicap. Il est légitime que les patients atteints de malades orphelines soient «adoptés» par le corps médical et la société.
K. S.
(*) Professeur des universités, directeur de recherche, hôpital Ed. Herriot, Lyon.


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