52 ans que les Algériens ont arraché leur indépendance et mis fin à l'exercice du régime colonial français dans le pays. 52 ans, c'est plus qu'un demi-siècle et nul ne peut, en cette commémoration d'une révolution qui a fait la fierté des citoyens et l'exemple pour les pays sous domination, faire l'économie de cette question : quel bilan pour la liberté et la souveraineté pour lesquelles le combat avait été engagé et gagné sur l'adversaire ? C'est le contexte politique, économique et social actuel qui renseigne sur ce que nous avons fait de nos 52 ans de liberté, en principe retrouvée, et de la nature des relations que nous entretenons aujourd'hui avec l'ancienne puissance coloniale. La scène politique nationale pour cette année 2014 a été dominée par un forcing sans pareil pour un quatrième mandat pour le Président Bouteflika. Beaucoup n'y croyaient pas, mais une machine infernale a été mise en branle pour la réélection d'un président âgé et malade, faisant comme si l'Algérie de 2014 n'avait qu'un sauveur, qu'un homme en mesure d'assurer — ont tonné les chefs d'orchestre de cette opération — la stabilité du pays. Ça a été fait et aujourd'hui, tout le monde s'y plie. A cette état de fait, suit pour l'heure, une autre opération axée sur la révision de la Constitution que les mêmes acteurs de la réélection de Bouteflika, présentent comme un document qui sera la synthèse de toutes les propositions de ceux invités à en faire, y compris des islamistes condamnés pourtant par la justice à ne plus faire de politique mais que l'on a malgré tout invités aux agapes autour de ce texte. L'opposition qu'on disait inexistante, a réussi le tour de force de se faire entendre, en attendant d'exister réellement au sein de la société. Mais là aussi, le pourra-t-elle, sachant l'attelage qui la compose et qui va de militants démocrates convaincus, de militants laïques qui se sont battus longuement pour la séparation de la religion de l'Etat à des religieux qui avaient toujours combattu la démocratie et qui n'ont jusqu'à ce jour jamais condamné le terrorisme, même si leur discours se fait tactiquement plus soft. Avec un rassemblement de l'opposition aussi hétéroclite et aussi improbable, il est fort à parier que la résistance au pouvoir actuel, 52 ans après l'indépendance, même si elle a quelque peu marqué sa volonté de s'organiser, ne s'est pas encore prononcée sur l'essentiel : quel projet de société veut-elle participer à construire ? Quels principes républicains essentiels sur lesquels doit être bâti ce rassemblement ? En attendant, les citoyens sont toujours en butte, depuis 52 ans, aux marchés qui flambent tous les Ramadhans que Dieu fait et à l'impuissance déclarée de l'armada de contrôleurs, aux feuilletons sans fin des grosses affaires non élucidées et sur lesquelles le silence radio est de mise, aux scandales des biens acquis, essentiellement chez l'ancien colonisateur, par certains responsables politiques sans qu'aucune justice ne se saisisse de ces dossiers ; aux conditions désastreuses dans lesquelles nos malades sont accueillis, lorsqu'ils peuvent l'être dans nos hôpitaux devenus mouroirs... Là et dans beaucoup d'autres domaines les citoyens observent et ne voient rien venir. Dans cet horizon qui semble bloqué, il est toutefois quelques faits qui relèvent du paradoxe et qui permettent quelques espoirs : la désignation de nouveaux responsables à la tête de certains départements ministériels en est un : le secteur sinistré de l'éducation qui devra, sans aucun doute, sortir de son marasme si on laisse faire, comme elle l'envisage, sa nouvelle responsable ; le secteur des affaires religieuses, qui se distingue, pour une fois, en espérant qu'elle ne soit pas la dernière, par un discours tolérant sur l'observance du Ramadhan et sur la pratique musulmane autre que musulmane, qui relève de l'affaire personnelle. Ce 52e anniversaire se déroule, par ailleurs, dans une conjoncture on ne peut plus calme et plus sereine avec la France, l'ancienne puissance coloniale. Faut-il s'en étonner, sachant que le premier magistrat a choisi la France et son hôpital militaire pour s'y soigner ? Faut-il s'en étonner aussi, sachant que du côté officiel algérien, l'on n'évoque plus ni excuses ni repentance pour les actes commis par le régime colonial dans notre pays ? Faut-il s'en étonner encore, lorsque la France rafle autant de contrats qui viennent au secours d'une économie française mal en point ? Faut-il s'étonner encore que le président de l'Assemblée nationale aille prendre part aux cérémonies de ravivage de flamme à l'Arc de Triomphe et que la presse d'Etat, pour ne pas offusquer, passe sous silence ce fait ? Faut-il enfin s'étonner que des officiers algériens de haut rang soient invités à défiler sur les Champs-Elysées le 14 juillet. Partie française comme partie algérienne évoquent des relations gagnant-gagnant entre ancienne colonie et ancien pays colonisateur. Cette évolution dans les relations, ce beau fixe en ce 52e anniversaire auraient été acclamés si du côté de notre pays, le gagnant était non pas la personne du Président que la France a soigné, encouragé et aidé pour le 4e mandat mais les citoyens qui ne voient pas beaucoup de bénéfices de cette embellie. Souveraineté ? Indépendance ? Liberté ? Il faudra peut-être encore attendre un peu.