«En Algérie, ce sont les réseaux qui gouvernent et non pas les institutions. Aujourd'hui, nous nous retrouvons face à des administrations qui n'obéissent plus à la loi, mais aux coups de téléphone», a déclaré avant-hier Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement (1989-1991), qui s'exprimait dans la soirée, lors d'une rencontre-débat avec la société civile à Béjaïa. Invité par l'association des journalistes et correspondants locaux, Mouloud Hamrouche, dans une salle des congrès de l'hôtel Royal pleine comme un œuf, a tenu à prévenir sur les menaces réelles qui pèsent sur le pays «face à l'implosion si toutes les forces vives sans aucune exclusion, y compris le pouvoir, ne se mobilisent pas», a-t-il alerté. «Les facteurs de blocage sont toujours là, avec ou sans le renouvellement de mandat. Ce sont des impasses qui recèlent de graves menaces, exacerbent les facteurs de division, paralysent les institutions et soumettent les hommes à des pressions impossibles (...) notre pays persiste dans la voie de la déchéance et de la régression, car il y a une multitude de conflits à l'intérieur de la société. Il faut réhabiliter l'Etat et ses administrations et les libérer des griffes des réseaux maffieux qui les contrôlent. Aujourd'hui, l'impasse est totale pour le pouvoir, le gouvernement , les partis politiques et le peuple. Le pays risque l'implosion s'il n'y a pas de volonté d'action», a soutenu l'orateur dans son intervention. Dressant un tableau peu reluisant de la situation politique que traverse le pays, l'orateur, très critique envers le pouvoir estime que «le système actuel ne peut produire ni des réformes, ni des hommes, ni une alternative. Il est même incapable d‘être une dictature éclairée. Pire encore, il ne peut même plus transformer son discours en action (...) ni les hommes ni les réformes de l'école, de la justice où la corruption a vraiment atteint son paroxysme , car l'action gouvernementale est bloquée. C'est la confusion. Le système est en train de nourrir la contestation pour maintenir l'instabilité. Le pouvoir est incapable d'agir pour structurer la société. Des intérêts claniques s'affrontent», martèle l'ancien chef de gouvernement sous la présidence de Chadli. Le constat est amer, tous les indicateurs sont au rouge, selon l'ancien chef de gouvernement qui dresse un tableau noir de la situation du pays. «Il y a une menace imminente...», ne cesse-t-il d'avertir. Pour sortir de cette crise, Mouloud Hamrouche plaidera pour un nouveau consensus national «un nouveau consensus qui soit défini avant tout sur la base de la réhabilitation de l‘Etat et de ses institutions qui sont livrées aux réseaux mafieux (...) l'idée c'est d'élaborer un consensus national nouveau fondé sur notre identité, notre sécurité et notre projet national d'instaurer un Etat démocratique fort qui garantisse tous les droits et l'égalité entre tous les Algériens en passant d'un système totalement autoritaire vers un système totalement ouvert et démocratique, cela nécessitera de séquencer les phases de transformations et l'établissement des garanties y afférentes», indique-t-il. A Béjaïa, Mouloud Hamrouche s'est à nouveau exprimé sur le rôle de l'armée dans le processus de transition. «Je ne mets pas en équivalence la légitimité militaire et la légitimité citoyenne et encore moins la substitue à la légitimité populaire», prend-il le soin d'expliquer tout en faisant part de sa ferme conviction qu'il n'y a «aucune chance d'instaurer un système démocratique sans l'aval et le soutien actif de l'armée». Pour Mouloud Hamrouche, l'armée doit servir de clé de voûte pour l'Etat. «L'armée dans les casernes, c'est pour la consommation seulement. La réalité est toute autre. Sans l'armée, le gouvernement tomberait en une semaine ou deux», a-t-il soutenu tout en précisant dans la foulée qu'elle doit se mettre au service de l'Etat et non du pouvoir. «La mission essentielle de l'armée est de défendre le peuple et l'Etat .Elle ne doit pas entrer dans les luttes politiques et idéologiques. Actuellement, il n'existe aucun parti ou partie en mesure de former un gouvernement sans l'appui de l'armée. Sans cet appui, le gouvernement tombe en une ou deux semaines», note-t-il dans sa communication tout en appelant à «préserver le respect dont elle jouit». Invité dans les débats à faire part de sa vision et son appréciation sur les hommes politiques au gouvernement, l'orateur en homme politique averti qui s'est défendu de se livrer à des jugements de valeur, s'est contenté d'insister sur «l'urgence à se concerter». «Il ne suffit pas de faire des constats mais plutôt d'agier vite. L'école, la santé, la justice... ce sont des secteurs gravement malades. Un seul homme ne pourra jamais redresser la barre. C'est l'affaire des experts avec une volonté politique réelle sinon on tournera toujours autour pour revenir au même point de départ. C'est notre échec à tous, échec de l'opposition, échec du pouvoir échec du politique. Ça fait un quart de siècle que le pouvoir est bloqué. Je n'incrimine ni un ministre, ni un Premier ministre, ni un Président, mais le blocage actuel est l'aboutissement d'un système duquel on doit se libérer», fait constater l'ancien chef de gouvernement considéré comme le père des réformes inabouties. Par ailleurs, au lendemain de sa conférence, dans la matinée de ce vendredi, l'ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, a déposé une gerbe de fleurs à la place dédiée à Saïd Mekbel et à la liberté de la presse à Béjaïa.