Cette réflexion a pour objet de revisiter certains concepts contenus dans ce chef-d'œuvre de mots politiques de caractère figuratif qu'on appelle Constitution. Ainsi, au lieu de traduire dans les faits ces nobles paroles, pour les inscrire dans la prospérité comme autant de promesses à tenir et d'objectifs à atteindre, il semble que cet arsenal juridique soit placé, depuis une cinquantaine d'années, dans une sorte de congélateur et que l'on sort à l'occasion pour seulement satisfaire les caprices du prince du moment en vue de retouches égotiques. Aujourd'hui, l'Algérie en est à sa cinquième révision constitutionnelle (et la sixième était en route lorsqu'elle fut subitement arrêtée en raison d'un agenda politique contrarié par l'AVC du Président), sans qu'aucune Constitution (à l'exception de celle éphémère de 1989) ne soit effectivement appliquée à la lettre, notamment en laissant le «peuple souverain» choisir librement la nature du régime et les hommes politiques devant le conduire. La cause semble en grande partie tirer ses origines d'un système politique de type monarchique reposant sur une Constitution réputée républicaine certes, mais néanmoins marquée d'un verbalisme trompeur et en totale décalage avec la réalité. 1. De la Constitution algérienne Lorsqu'on se penche attentivement sur le contenu de la Constitution algérienne, on relève qu'en théorie, l'Algérie est non seulement une République digne de ce nom, mais de plus, son caractère «démocratique» va dans le sens décrit par les plus grands philosophes : Rousseau, Montesquieu, Hobbes, etc. Jugeons-en à la lecture des articles-clés consacrant les principes fondateurs de la République et de la démocratie, énoncés en préambule et notamment les références à la «souveraineté du peuple» souvent évoquées ; texte qui semble en apparence loin de toute putrescence, s'il n'était pas contredit par une pratique du pouvoir de nature exclusive, narcissique, se traduisant in fine par une immense désillusion de millions d'Algériens laissés sur le carreau. 1.1 Préambule de la Constitution «Le peuple algérien est un peuple libre (...), décidé à le demeurer...» Si la deuxième proposition relève du vœu pieux, la première affirmation demande à être étayée d'arguments, car à l'épreuve du terrain politique et de la vie quotidienne du citoyen, les faits jurent absolument avec cette assertion verbeuse. «Réuni dans le mouvement national puis au sein du FLN, le peuple a versé son sang pour assumer son destin collectif dans la liberté et l'identité culturelle nationale retrouvées et se doter d'institutions authentiquement populaires... Couronnant la guerre populaire par une indépendance payée du sacrifice des meilleurs de ses enfants, le FLN restaure enfin, dans toute sa plénitude, un Etat moderne et souverain (...) Ayant toujours milité pour la liberté et la démocratie, le peuple entend, par cette Constitution, se doter d'institutions fondées sur la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques et qui réalisent la justice sociale, l'égalité et la liberté de chacun et de tous. (...) La Constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple et confère la légitimité à l'exercice des pouvoirs.» Contre toute apparence, les bonnes intentions des premiers auteurs du recueil législatif régissant le système politique du pays n'ont d'égale que la verbosité de ce préambule de nature fantasmagorique, dont l'analyse des aspects liés au FLN sont développés plus bas. 1.2 Des principes généraux régissant la République algérienne (JORA du 10 septembre 1963) ; JORA 1976/1997 du 22 novembre 1976) ; (JORA n°76 du 8/12/1996), portant Constitution modifiée par la loi n°02-09 du 10/04/2002 (JORA n°25 du 14/04/2002) et par la loi n°08-19 du 15/11/2008 (JORA n°63 du 16/11/2008). Bien sûr, le texte est truffé de présupposés surprenants, notamment lorsqu'il s'agit de faire passer subtilement le FLN pour le peuple. En effet, comme on peut le lire invariablement dans toutes les versions de la Constitution écrite depuis 1963, ce n'est pas au peuple «de restaurer dans sa plénitude un Etat moderne...», mais au FLN ! Que le sigle du FLN soit évoqué dans ses rapports avec la société, cela paraît à la rigueur concevable, mais associé à l'Etat, n'y a-t-il pas là comme un paradoxe ? De jure, l'Etat (institution par excellence de tous les citoyens d'un pays) ne peut être l'apanage d'un parti politique, «propriété» de ses seuls militants et sympathisants. Du reste, c'est en vertu de cet axiome institutionnel, pour le moins ambigu, que les Algériens se retrouvent à vie enferrés au FLN, depuis la proclamation de l'indépendance à ce jour. C'est un fait inédit de voir tout un peuple enchaîné à un parti politique, au nom duquel des clans patentés se sont «emparés» de la maison Algérie depuis une cinquantaine d'années sans possibilité d'alternance politique. i) De la République et du peuple Au sujet de l'Algérie, l'art. premier énonce : «L'Algérie est une République démocratique et populaire.» Cette dénomination est la pire mystification politique que les citoyens d'un pays puissent encore gober. Depuis la chute du communisme en 1989, de nombreux pays de l'ex-bloc de l'Est se sont débarrassés de ce carcan absurde pour instaurer de vrais Etats démocratiques. Quant à la dissertation parodique sur le peuple, l'art. 6 dispose très clairement : «Le peuple est la source de tout pouvoir, et la souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple.» Que l'on nous explique par quel tour de magie un peuple, tenu en laisse pendant 50 ans, pourrait être à la source d'un quelconque pouvoir quand sa souveraineté et son devenir sont exercés par des oligarchies et des castes qui viendront le moment venu lui annoncer quel berger viendra conduire le troupeau pour brouter dans tel ou tel pâturage ? L'art. 7 : «Le pouvoir constituant appartient au peuple, de même que le peuple exerce sa souveraineté par l'intermédiaire des institutions qu'il se donne...» De quelles institutions virtuelles s'agit-il ? Pour l'historien Denis Fustel De Coulanges (1830-1889), «les institutions résistent aux siècles, aux croyances, à l'histoire...» Et De Coulanges d'ajouter : «La société est réglée par ses institutions...» Force est de constater que les «institutions» algériennes, à leur tête la Constitution, n'ont fait que dérégler cette société, en laissant des groupes d'individus généralement en mal de pouvoir et de commandement la violenter et la prostituer tour à tour depuis l'indépendance à ce jour. A cet égard, Ferhat Abbas, ex-président du GPRA et premier président de l'Assemblée algérienne à l'indépendance, offrira à la postérité la plus belle image pour illustrer une situation des plus burlesques : «On ne prostitue pas la Constitution de l'Algérie dans une salle de cinéma !» Cette sentence prophétique n'empêchera pas la mascarade politique et électorale d'être érigée comme seule et véritable institution du pays. Art 7, alinéa 2 : «Le président de la République peut directement recourir à l'expression de la volonté du peuple.» Cette disposition procède de la théorie «psychanalytique de l'imaginaire» par laquelle on tente de substituer à la réalité du pays des représentations relevant de la manipulation mentale et du mensonge politique savamment élaboré, du genre «expression de la volonté du peuple». Les seuls vrais acquis obtenus dans le cadre de l'exercice démocratique, comme la relative liberté d'expression en faveur de la presse écrite, pour nous permettre d'«aboyer» un peu, le furent sous la pression de la rue, en octobre 1988, au prix de centaines de morts, de milliers de blessés et d'autant d'emprisonnés ; je passe sous silence le séisme traumatique ayant fait des milliers de morts et disparus, suite à l'arrêt du processus électoral en 1992... Art. 8 : «Le peuple se donne des institutions ayant pour finalité la sauvegarde et la consolidation de l'indépendance nationale (...) de l'identité et de l'unité nationales ; la protection des libertés fondamentales du citoyen et l'épanouissement social et culturel de la nation ; la protection de l'économie nationale contre toute forme de malversation ou de détournement, d'accaparement ou de confiscation illégitime.» Comme on peut s'en rendre compte, il s'agit d'une simple réplétion verbeuse (remplissage du vide par des mots) enveloppé de subtilités casuistiques pour combler la vacuité politique et l'inexistence de contrôle caractérisant 50 ans de gabegie de ce pays. En psychiatrie, on appelle ce discours délirant de la «verbigération» que confortent les scandales de corruption à répétition, à tous les échelons de la société. Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre, ne déclarait-il au mois de juin 2012 que la mafia politico-financière dirigeait le pays et son gouvernement n'y pouvait rien ? Art. 10 «Le peuple choisit librement ses représentants (...) La représentation du peuple n'a d'autres limites que celles fixées par la Constitution et la loi électorale.» Hélas ! Il faut dire qu'ils sont rares les hommes politiques à être librement choisis par le peuple, et ce, depuis l'indépendance, sauf une fois (en 1992) où des élections «transparentes et honnêtes» ont failli conduire au pouvoir la «peste» au lieu du «choléra» ; telle était la formule en usage à l'époque pour caricaturer le seul choix laissé au peuple, en raison du vide politique sidéral créé depuis 1962 à ce jour. L'ancien patron de la gendarmerie, le colonel Ahmed Bencherif, qui sait de quoi est capable le système pour en avoir été un des hommes liges, pendant les années de plomb (1965 à 1978), notamment en matière de couverture des manipulations des urnes, ne déclarait-il pas le 30 mars écoulé : «Les candidats à l'élection présidentielle n'ont jamais été élus avec plus de 10% des voix... Boumediène, ajoutera-t-il, n'a jamais dépassé les 12%, et tout le reste n'est que fraude électorale». En Tunisie, par un dialogue patient et le consensus recherché à tout prix, œuvre de son génie propre, ce peuple a fait la démonstration que le choix, entre ces deux maladies infectieuses, n'a pu s'imposer à lui comme une fatalité du Ciel avec laquelle il devait composer nécessairement. Comme du reste, il a fini par avoir raison du régime présidentiel, jugé comme étant le pire ! ii) Du rôle de l'Etat Dans l'art. 11, on apprend que «L'Etat puise sa légitimité et sa raison d'être dans la volonté du peuple. Sa devise est "Par le peuple et pour le peuple" (...) Il (l'Etat) est au service exclusif du peuple.» Qu'il nous soit permis d'en douter. Désormais, les gouvernants ne se gênent plus pour insulter ce peuple avec des mots du genre : «Naâlbou li ma yhenbnech» (maudit soit le père de celui qui ne nous aime pas) de Amara Benyounès ; les balourdises du genre : «Chaouia, hacha rezk rabi...» (chaoui, sauf le respect dû aux biens de Dieu) de l'ex-Premier ministre, A. Sellal et directeur de campagne du candidat Bouteflika, ne traduisent-elles pas le summum du mépris et de la suffisance incarnés par une classe politique amnésique, au point d'oublier qu'elle règne aujourd'hui grâce aux sacrifices consentis en particulier par les hommes et les femmes de cette contrée, berceau de la révolution armée ? Pour limiter les effets dévastateurs d'une gaffe politique sans précédent, d'aucuns nous disent : «C'est une simple plaisanterie envers une connaissance.» La philosophie nous enseigne qu'il n'y a point de plaisanterie qui ne contienne un brin de sérieux... De plus, l'expression «hacha» (sauf, à l'exception de...) généralement employée pour atténuer la proposition dépréciative qui la précède (dans ce cas le mot Chaoui), ne s'impose-t-elle pas à l'esprit, dans les tournures langagières de chez nous, comme une atteinte à la dignité du peuple ? Art. 13 : «En aucun cas, il ne peut être abandonné ou aliéné une partie du territoire national.» Chakib Khelil a failli en 2005 neutraliser Sonatrach et brader les ressources énergétiques du pays au profit des multinationales pétrolières, sans que les institutions puissent empêcher ce forfait politico-économique... Cf. séries d'articles sur internet consacrés à Hugo Chavez, lequel aurait dissuadé de son vivant Alger de remiser la loi sur les hydrocarbures concoctée par Chakib Khelil, approuvée par un Parlement aux ordres et promulguée officiellement... Art. 14 : «L'Etat est fondé sur les principes d'organisation démocratique et de justice sociale. L'Assemblée élue constitue le cadre dans lequel s'exprime la volonté du peuple et s'exerce le contrôle de l'action des pouvoirs publics.» Comme tartufferie, on ne fait pas mieux. Comment un peuple ligoté et dont l'esprit n'est habité que par la seule idée de survie, pour satisfaire des besoins élémentaires de logement, eau, électricité, gaz, soins, transport, etc., pourrait-il exprimer une quelconque volonté de «contrôle d'élus» ne représentant majoritairement qu'eux-mêmes ? Art. 16 : «L'Assemblée élue constitue l'assise de la décentralisation et le lieu de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques.» Décentralisation, nous dit la Constitution. Aucun pays sur cette terre n'est aussi jalousement centralisé que l'Algérie. Pour n'importe quelle broutille, on est obligé de se rendre à Alger, la capitale, pour se soumettre à des tortures bureaucratiques insensées et parfois sadiques... Même une simple carte de fellah doit nécessairement obtenir le feu vert de la chambre nationale de l'agriculture à Alger et elle n'est délivrée, par la chambre départementale, pas avant une attente de six mois (??!!) Quant à la participation des citoyens à la chose publique, «il y a loin de la coupe aux lèvres», dit un proverbe. Et ça veut bâtir un «Etat moderne» avec un état d'esprit et des formalismes paperassiers d'un autre âge ! Art. 74 «La durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans (...) Le président de la République est rééligible.» La limitation des mandats présidentiels à deux par législature (instaurée par la 3e version de la Constitution de 1989 pour favoriser l'alternance et maintenue jusqu'à la 4e de 1996), fut modifiée avec la 5e révision constitutionnelle de 2008, en faisant subir une entorse à l'article 74 relatif au nombre de mandats, laissé ouvert... Enfin, en matière de vacance du pouvoir, l'art. 88 est sans équivoque : «Le Conseil constitutionnel se réunit pour constater "la maladie grave et durable" du président et propose au Parlement de déclarer l'état d'empêchement.» Si l'Algérie était dotée d'un Etat véritablement démocratique, les membres du CC auraient dû en conscience, surtout pour être en accord avec leur rôle et leur devoir constitutionnels, s'enquérir de l'état de santé du Président, eu égard à la vive émotion suscitée à travers tout le pays... 2 /De la Constitution algérienne et de la réalité du pouvoir ? A la lecture de la Constitution, il apparaît, du moins en théorie, que l'Algérie ne peut être le pays monarchique où on peut déclarer : «le roi est mort, vive le roi», en raison d'un lignage dynastique ou patrilinéaire. Par contre, le transfert de la couronne est d'usage courant, mais il repose sur la seule filiation en lien avec la «famille révolutionnaire», de ses produits et sous-produits et autres alliances parfois contre nature, dont la désignation des heureux élus à la magistrature suprême ne se fait pas au tirage au sort, comme dans la Grèce antique, mais attribuée en fonction des rapports de force clanique du moment. A la décharge de l'équipe actuelle aux gouvernes, le phénomène n'est pas nouveau : historiquement le GPRA dût essuyer un coup d'Etat en 1962 de la part de l'EMG (Etat-Major général) et le clan d'Oujda qui placeront par les armes Ahmed Ben Bella à la tête de l'Algérie indépendante ; le pouvoir de ce dernier sera dissout par un coup d'Etat en 1965 par le même clan qui portera son champion, le colonel Houari Boumediène à la tête d'un Conseil de la Révolution, instauré en remplacement de toutes les institutions dissoutes, jusqu'à ce qu'il les liquide un à un pour régner en autocrate absolu. Après sa disparition en décembre 1978, le lieutenant-colonel Kasdi Merbah, puissant patron de la Sécurité militaire, en compagnonnage avec d'autres colonels (Belhouchet, Abdelghani, etc.), fera coopter le colonel Chadli Bendjedid à la tête de l'Etat, au détriment de l'ancien baronnage (Yahiaoui, Bouteflika, etc.) instauré par Boumediène, même si tous resteront fidèles au testament dynastique de ce dernier, et par conséquent au système instauré par lui ; puis c'est par la volonté de quelques généraux que fut «démissionné» en janvier 1992 Chadli Bendjedid, qui devra céder sa place à Mohamed Boudiaf, installé à la tête d'un Haut Comité de l'Etat, composé de ce que le pays compte comme «institutions» et «symboles» véritables de la «famille révolutionnaire» : Mohamed Boudiaf (incarnant la révolution et le 1er Novembre 1954) ; le général-major Khaled Nezzar (représentant l'ANP) ; le colonel Ali Kafi (l'ALN et les anciens moudjahidine) ; Ali Haroun (la Fédération de France du FLN et en tant qu'ancien membre de la Ligue des droits de l'homme) et le Dr Tidjani Haddam, ancien ministre et ex-président de la Mosquée de Paris, représentant les Habous et le culte musulman... Rien n'a été négligé, ni la satisfaction des impératifs géopolitiques et surtout pas la sacro-sainte région, au nom de laquelle pas moins de 18 chefs de gouvernement furent nommés : 6 pour l'Est et les Aurès ; 4 pour Tlemcen et l'Ouest ; 7 pour la Kabylie et le Centre et 1 pour le M'zab et le Sud. Obéissant à la même logique, au sein du HCE, toutes les régions ou presque furent représentées : les Aurès et l'Est, la Kabylie et le Centre, Tlemcen et l'Ouest ; si le sud du pays n'était pas représenté au sein du HCE, la raison tient sans doute à l'absence d'une figure marquante sur la scène politique à cette époque. Toutes les autres qualités (compétence, intégrité, expérience, etc.) sont sacrifiées sur l'autel du clanisme, du régionalisme, du clientélisme, de la cooptation, etc. Avec la fin de la parenthèse HCE, il revient aux mêmes généraux de placer le général Liamine Zeroual à la tête de l'Etat à la suite de la période de transition assurée par le colonel Ali Kafi au lendemain de la disparition tragique de Mohamed Boudiaf. N'ayant pas accepté l'affairisme autour de lui et refusant le rôle de pantin qu'on voulait lui attribuer, Liamine Zeroual a dû ruer dans les brancards à maintes reprises avant de jeter de guerre lasse le harnais, en annonçant sa démission assortie d'un préavis d'une année. Ce laps de temps d'un an était nécessaire aux décideurs du moment pour trouver un autre joker, dans le sillage des trois précédents (Boudiaf, Kafi, Zeroual). C'est évidemment vers un ancien membre de la «famille révolutionnaire» que le choix du pouvoir décisionnaire se portera, en l'occurrence l'ex-commandant Abdelaziz Bouteflika, ancien ministre de Houari Boumediène, écarté en 1979 de la course au pouvoir. Voilà la quadrature du cercle avec laquelle devra composer pendant 50 ans le peuple algérien, prétendûment souverain. Une des causes cardinales est sans doute l'esprit de la Constitution algérienne, fondée sur le régime présidentiel avec des pouvoirs les plus étendus (présidence, gouvernement, défense, affaires étrangères, etc.) inspiré de la Constitution française de 1958, laquelle fut taillée sur mesure pour la stature du général de Gaulle (un président-monarque à sa façon), avec un double bémol : une Constitution algérienne totalement amputée des contrepouvoirs constitutionnels ayant cours dans une démocratie véritable, en l'espèce une opposition digne de ce nom ; un pouvoir judiciaire autonome ; une presse totalement libre ; de vrais organes de contrôle institutionnel de la gestion du pays ; des pouvoirs de médiation et de recours entre les citoyens et l'administration, etc.). Ainsi, au-delà de tout le verbiage contenu dans cette Constitution, dans la réalité des faits la différence entre la république démocratique et la monarchie républicaine n'est pas plus épaisse qu'une feuille de cigarette. En demandant au peuple d'introniser A. Bouteflika roi d'Algérie, M. A. Sellal veut tout simplement, me semble-t-il, faire entériner une situation de fait qui dure depuis 50 ans. Dans les monarchies absolues, le pouvoir politique est entre les mains de la famille royale et des courtisans et dans les républiques démocratiques et populaires la vie politique est animée par la fratrie et les clans du moment ; le corpus juridique de base dénommé CONSTITUTION (appelée à être remaniée une fois de plus au lendemain du 17 avril pour satisfaire aux circonstances politiques du moment, notamment par la création d'un poste de vice-président attestée par le retour sur la pointe des pieds d'Ouyahia et de Belkhadem aux affaires) ne sera qu'un sempiternel recueil de phraséologie et une sorte de poncif servant de leurre, pour ne pas dire un «attrape-nigauds». Dans les monarchies absolues, à l'image de celles prévalant dans les pays du Golfe, comme celle de l'Arabie saoudite, le Qatar, etc., le monarque abdique au profit de sa progéniture ou de membres de la famille régnante. En Algérie, en raison d'un contexte historico-politique différent, il n'y a pas de succession héréditaire, mais l'«héritier du trône» sera toujours un «produit» du système, coopté pour contenter les intérêts de toutes les forces en présence et en particulier ceux de la «famille révolutionnaire» et de la «région» ; deux autres institutions implicites des plus déterminantes, comme évoqué plus haut, mais qui ne constituent pas moins la négation même de ce que l'on appelle «République», «Etat», etc. Aussi surprenant que soit le contenu de l'appel de Mouloud Hamrouche, «il est primordial que les différents intérêts de groupes, de régions et de minorités soient préservés et garantis...», celui-ci ne traduit pas moins le réalisme politique nouveau d'un homme écarté du pouvoir pour avoir fait montre dans les années 1990 d'honnêteté intellectuelle, de probité morale et de sens patriotique. Avec de telles qualités, logiquement cet homme aurait pu être le meilleur présidentiable algérien du moment, ne serait-ce que pour continuer son programme de réformes démocratiques initiées en 1989/1990, avec la bénédiction de Chadli Bendjedid... Tel ne fut pas le cas, parce que l'homme des réformes voulait également mettre fin aux privilèges ayant prévalu depuis l'indépendance jusqu'à la fin des années 1980 et début 1990, ce qui n'était pas du goût de l'establishment en place... Voici, me semble-t-il, la réalité complexe de la politique algérienne gouvernée par des intérêts diffus et des féodalités multiples (mais jamais par le peuple!!!), au point d'obliger cet homme de principes et de caractère à afficher aujourd'hui un profil conforme à cette pitoyable réalité, au grand dam de ses supporters qui ne comprennent pas trop sa démarche... 3) De la monarchie en général et de la «monarchie» algérienne en particulier Il existe plusieurs types de monarchie, allant de la monarchie élective ayant prévalu dans certaines contrées européennes, comme par exemple en France où le monarque se faisait élire par le peuple déjà en l'an 50 avant J.C (Vercingétorix, plus tard Clovis, etc.). La monarchie évoluera au cours des siècles en passant par la monarchie de type absolu et héréditaire et finissant de nos jours avec la monarchie constitutionnelle. Même les monarchies absolues des Valois et des Bourbons, et à leur tête des rois aussi illustres que Louis XIV (le roi-Soleil), étaient quand même limitées par les lois. On a souvent tendance à assimiler la monarchie absolue avec le régime despotique, autrement dit le régime politique où le monarque a les pleins pouvoirs. A l'exception de quelques rares monarchies, telles que celle de l'Arabie Saoudite, qui demeure un des derniers bastions de royauté dynastique absolue, dans tous les autres pays, le monarque se doit de respecter les lois fondamentales du pays (décidées par le peuple souverain) tandis qu'un monarque despote ou un président dictateur n'est limité par aucun pouvoir supérieur à lui, y compris celui émanant de la Constitution à laquelle il tord le cou lorsque les circonstances le commandent... Dans la plupart des Etats modernes d'Europe (G-B, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Suède, etc.) et d'Asie (Japon, Thaïlande, etc.) les monarchies sont constitutionnelles et le rôle du souverain est beaucoup plus représentatif ou symbolique, avec un gouvernement qui conduit la politique du pays, sous le contrôle d'un parlement qui légifère en tolérant à ses côtés une opposition assez représentative des autres courants et sensibilités politiques. Dans le cas de l'Arabie saoudite on peut parler de monarchie despotique car le roi et la famille proche et apparentée, non contraints par aucune loi, détiennent entre leurs mains tous les leviers du pouvoir. Ce royaume a longtemps prétendu avoir pour constitution le Coran et la Sunna, inspirée d'une lecture très simpliste du wahhabisme. C'est seulement à la suite de reproches faits par ses alliés occidentaux que la monarchie saoudienne s'est pliée à leurs recommandations en rajoutant des directives et ordonnances édictées au cours du XXe siècle, dont le dernier «Nidham el assasi» (équivalent à Constitution) remonte à 1992, mais totalement en recul par rapport au Pacte de Médine, instauré du vivant du Prophète. En réalité, la Constitution de 1992 ne changera rien à la nature monarchique «de droit divin» du régime saoudien, pour n'avoir pas de compte à rendre aux hommes. Ainsi, le trône d'Arabie, et par voie de conséquence le règne des Ahl Saoud, devient irrécusable et à l'abri de quelque velléité tribale ou républicaine que ce soit. La Constitution «de droit divin» a cette particularité de verrouiller la prétention au pouvoir à d'autres forces politiques que celle réservée traditionnellement à une lignée de souverains dynastiques dans les monarchies. Sans être monarchique de droit divin, comme nous l'avons décrit plus haut, la Constitution algérienne n'en est pas moins verrouillée par un pouvoir oligarchique (groupe restreint de personnes) qui fonctionne comme une parfaite monarchie, avec le baisemain en moins. En effet, pour prémunir la «famille révolutionnaire» et ses coreligionnaires contre l'éventuel accaparement de la suzeraineté du peuple par d'autres forces politiques, la Constitution a placé en 1962, au-dessus de la volonté du peuple, la primatie du FLN ; pouvoir symbolique sacralisé et il revient à ce parti et à son idéologie, marquée dans les années 1980 du sceau de l'article 120 (consacrant le pouvoir et les privilèges à ses seuls militants), «de restaurer un Etat moderne et souverain dans toute sa plénitude...». Comprenez par là que le FLN historique, abandonné depuis un quart de siècle entre les mains de gens venus de nulle part (nas men ouala) à quelques exceptions près, a pour mission de continuer à servir de caution politique à la conduite ad vitam aeternam du troupeau que nous sommes... Conclusion En l'absence de démocratie véritable, le FLN, dans sa version historique, devient un prête-nom symbolique à une oligarchie politique constituée de clans et de castes (même s'ils sont factieux). Ensuite, manquant singulièrement de légitimité, depuis le coup de force de l'EMG contre le GPRA, les clans successifs agitent ce parti comme épouvantail afin de faire «élire» les maîtres du moment à la seule fin de perpétuer le système et les privilèges subséquents. Comme on peut le constater, l'histoire de la Constitution algérienne, depuis l'indépendance à ce jour, est intimement liée à l'esprit monarchique du FLN, dont les initiales acronymes sont inscrites en préambule dans ladite Constitution. Ainsi, l'empreinte laissée par le parti historique sur les autres partis vassaux (à deux ou trois exception près) est prégnante, au point que ceux-ci ne s'offusquent nullement des jalons posés en préambule de la Constitution en références au primat du FLN. Un parti secoué par des crises larvées et dont les figures de proue en arrivent aux mains dans les rues d'Alger (crises cycliques parfois accompagnées de «coups d'Etat scientifiques»), n'apporte-il pas la preuve que cette mosaïque d'intérêts est vidée en son sein même de tout idéal démocratique et de projet de société ? Raison pour laquelle il est devenu impératif de lever l'objection dirimante à sa remise au musée de l'histoire et d'instaurer une IIe République de type parlementaire, porteuse d'un nouveau souffle politique et l'espoir de mettre fin à tous les privilèges, grâce à l'édification d'un Etat véritablement démocratique dans lequel tous les Algériens seront enfin égaux en droit et en devoir. K. K Ecrivain, essayiste, journaliste indépendant.