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MOHAMED-SALAH MENTOURI, PR�SIDENT DU CNES AU "SOIR D'ALG�RIE" "Certains refusent au CNES le r�le de veille strat�gique"
Entretien r�alis� par Cherif Bennaceur
Le Palais des nations (Club-des-Pins) abritera aujourd'hui et demain les travaux de la 25e session pl�ni�re ordinaire du Conseil national �conomique et social (CNES). Cinq projets de rapports consacr�s � la conjoncture �conomique et sociale du premier semestre 2004, l'Economie de la connaissance, la Femme et le march� du travail, le 5e rapport national sur le d�veloppement humain et la politique de la route, sont � l'ordre du jour de cette session du CNES. Une institution consultative dont le pr�sident, M. Mohamed Salah Mentouri, retrace dans cette interview une d�cennie d'existence du CNES qui s'affirme �comme un p�le autonome d'analyse, d'observation et de r�flexion, posant un regard critique, mais serein sur les grandes questions �conomiques et sociales du pays�. Mais aussi en tant que �parlement du dialogue social, la chambre du premier mot, le dernier revenant au pouvoir l�gislatif�. N�anmoins, il reste au CNES, selon son pr�sident, � �int�grer dans ses missions la prospective pour pouvoir jouer valablement un r�le de veille strat�gique, ce qui lui a �t� refus�, certainement de crainte de voir son influence s'�largir�. Le Conseil national �conomique et social (CNES) a �t� cr�� par d�cret pr�sidentiel en 1993 et active depuis 1994. Dix ans apr�s sa cr�ation, le CNES a-t-il �volu� et comment ? Vous m'offrez une opportunit� inesp�r�e de m'entretenir et d'�voquer une d�cennie d'existence, de travaux et de pr�sence du Conseil national �conomique et social, CNES, sur la sc�ne nationale et au plan international. D'autres auraient certainement c�d� � la tentation de festoyer et de s'autocongratuler. Je r�pugne � l'excentricit� et aux d�monstrations tapageuses, fussent-elles conventionnelles ou de circonstance. Ceci �tant, il ne serait pas pr�somptueux d'observer que le CNES a fait une irruption remarqu�e dans l'�difice institutionnel et sur la sc�ne nationale. Il s'est affirm� comme un p�le autonome d'analyse, d'observation et de r�flexion, posant un regard critique, mais serein sur les grandes questions �conomiques et sociales du pays. Il s'emploie aujourd'hui � sauvegarder et renforcer la notori�t� dont il est cr�dit�, � approfondir la validit�, l'objectivit� et la pertinence de ses analyses et recommandations pour pr�server ce nouvel espace d'expression plurielle et m�riter encore davantage son utilit� dans la soci�t�. Pourtant rien ne laissait pr�sager un tel aboutissement, si l'on se r�f�re aux attributions relativement limit�es, si elles n'�taient pas restrictives, qui lui ont �t� confi�es par la loi. La fonction consultative n'a pas encore dans notre pays un statut de majorit�, notamment lorsqu'elle s'exerce dans la p�riph�rie directe du pouvoir. L'exercice d'�mancipation s'est heurt� aux pesanteurs du monolithisme, au poids de l'h�g�monisme et au primat de la pens�e unique. La propension � l'unilat�ralisme et au triomphalisme rejette comme iconoclaste toute pens�e diff�rente et a fortiori toute critique. Les mutations intervenues dans le champ politique et m�diatique ont grandement contribu� � favoriser l'�volution du CNES vers sa libert� de ton et d'action. Cette �volution peut encore plus surprendre, si l'on se rem�more le contexte particulier dans lequel le conseil a �t� cr�� en octobre 1993. En r�alit�, beaucoup l'ignorent, il a �t� re-cr��. En effet, un conseil a fonctionn� de 1968 � 1977, dont j'�tais moi-m�me membre et auquel je rends aujourd'hui un hommage appuy�. En effet, l'existence d'un organisme consultatif peut para�tre insolite dans un contexte d'encadrement extr�me de la vie publique de l'�poque. Dans ses limites, les membres le composant ont pu donner une animation satisfaisante au conseil, notamment lors des d�bats sur la Charte nationale en 1976. Vous aurez not� que ce conseil a vu le jour au cours de la p�riode de gel de l'Assembl�e nationale, apr�s 1965, pour �tre dissous � la veille des �lections l�gislatives de 1977. Comment d�s lors s'emp�cher d'�tablir un lien direct entre cette absence de repr�sentation �lue et la mise en place d'une institution d'attente ou de substitution ? La m�me interrogation surgit, � la recr�ation du CNES, en 1993, moins de deux ans apr�s l'interruption du processus �lectoral. Organe de transition, institution alibi destin�e � combler un d�ficit, ersatz de repr�sentation meublant un d�corum provisoire, �ph�m�re ? Tous ces questionnements ont effleur� alors plus d'un esprit. Ils ne sont pas tous d�finitivement �vacu�s. La r�alit�, comme souvent, est plus complexe. D�s 1990 avait �t� envisag�e, sur demande notamment de l'UGTA, la cr�ation du CNES. Par ailleurs, la r�orientation de l'�conomie, sur fond de crise et de remise en cause du consensus social ayant pr�valu jusque-l�, n�cessitait la mise en place de nouveaux canaux et de nouveaux espaces de dialogue social. Cela n'a pu se faire qu'en 1993. Ainsi, le retard pris dans la mise en place du conseil l'a rendu �ligible � la cat�gorie des institutions de transition mises en place apr�s janvier 1992. Cette r�trospective est utile pour appr�cier l'itin�raire parcouru par le CNES depuis sa mise en place en 1994. Les hommes et femmes, membres du conseil, ont non seulement rejet� le r�le d'utilit� et de figuration dans lequel certains auraient voulu les voir se complaire, mais ils en ont fait un outil de r�flexion, un lien de concertation et un forum d'expression. J'ai moim�me rejoint ces coll�gues � la fin de l'ann�e 1996, sur insistance de mon fr�re Abdelhak Benhamouda qui a jou� un r�le capital dans la re-cr�ation du CNES. Je ne regrette pas d'avoir r�pondu favorablement, alors que je venais de d�cliner des propositions plus gratifiantes et plus en vue. D'autres que moi seraient plus indiqu�s pour �valuer la trajectoire du CNES. Mais quelques points de rep�re peuvent emporter l'assentiment de tous. Le CNES est aujourd'hui une institution respect�e, cr�dit�e de rigueur et d'objectivit� et salu�e pour sa libert� de ton, rejetant le triomphalisme et le discours d�sincarn�. Elle est atypique, au sens o� sa composition aurait pu la pr�disposer � n'�tre qu'une chambre d'enregistrement, un porte-voix associ� au concert de louanges et d'autosatisfaction. Il est vrai que la t�che ne pouvait �tre ais�e, s'agissant d'une institution d'un type nouveau dans un environnement peu habitu� � la critique. Mais le CNES ne s'est pas content� d'�tre cette voix discordante, d�rangeante. Il s'est efforc� d'abord, de devenir un espace de dialogue entre des forces �conomiques et sociales d'origines diff�rentes et d'int�r�ts n'ayant pas a priori de fortes convergences. Mais ce dialogue est fond� sur des bases objectives. Il est ainsi devenu un carrefour, un lieu de promotion du d�bat contradictoire sur des th�mes agitant fortement la soci�t�. VIngt-cinq sessions, dont les deux premi�res � caract�re organique, auront permis, � travers 78 dossiers, de passer en revue des probl�matiques complexes et vari�es allant de la dette ext�rieure � l'informel, de l'agriculture aux infrastructures, des banques � la formation et l'emploi…. Le CNES a pu devenir un lieu de capitalisation de la r�flexion sur les questions d'int�r�t national et un creuset pour l'apprentissage de l'expression plurielle et de la d�mocratie sociale. Le rapport de conjoncture semestriel, document-phare dans la production du CNES, affronte de double d�fi d'�tre au cœur des proc�dures d'�valuation et de s'approprier les d�bats de soci�t�. Un conseil �conomique et social n'est ni un coll�ge d'experts ni un parti d'opposition, mais un parlement du dialogue social, la chambre du "premier mot", le dernier revenant au pouvoir l�gislatif. Il constitue ainsi un espace interm�diaire utile o� se forgent des bases consensuelles entre les acteurs de la vie �conomique et sociale. A ce titre, il a contribu� � asseoir et accompagner un mouvement profond de la soci�t� qui aspire � l'�largissement des espaces ind�pendants d'expression. Il donne ainsi au processus de d�mocratisation son expression d�lib�rative dans la sph�re �conomique et sociale. Il v�hicule une action p�dagogique de masse, gr�ce � vous, aux m�dias en familiarisant l'opinion avec des sujets jusque-l� r�serv�s aux seuls initi�s. Il s'est �rig� en p�le de veille sociale, une sorte de vigie et un pont avanc� de la soci�t� civile dans sa qu�te � une participation citoyenne au devenir de la nation. En tant que rpr�sentation organis�e des forces sociales et �conomiques, le CNES a fait patiemment la preuve de la possibilit� de construire des consensus sur les sujets complexes et d�licats, pr�figurant l'�mergence d'une culture de dialogue comme axe fondateur d'un d�veloppement durable assis sur des bases consensuelles. Il n'a pas encore d�finitivement construit un corpus doctrinal propre mais il s'est forg� une identit� caract�ristique. Il lui reste � int�grer dans ses missions la prospective pour pouvoir jouer valablement un r�le de veille strat�gique, ce qui lui a �t� refus�, certainement de crainte de voir son influence s'�largir. Mais je m'arr�terai l�, car je suis intarissable sur le sujet. J'ajouterai qu'au plan international, le CNES a apport� sa contribution � l'effort du pays visant � sortir de l'isolement dans lequel il a �t� tenu. Le CNES est aujourd'hui respect� par toutes les instances des conseils �conomiques et sociaux d'Afrique et d'Europe. J'ai eu le privil�ge de pr�sider de 2001 � 2003 l'Association internationale des conseils �conomiques et sociaux et Iinstitutions similaires, deux ans apr�s sa cr�ation. Alger a abrit� une importante rencontre de cette association sur le th�me de la "Lutte contre la pauvret�". L'�conomie nationale semble encore caract�ris�e par le paradoxe entre une aisance financi�re retrouv�e, des incompr�hensions et un immobilisme en mati�re de conduite de r�formes structurelles. Au-del� notamment du satisfecit du FMI quant � la politique budg�taire pr�n�e par le gouvernement, comment lever justement ce paradoxe ? Quelles sont les mesures que pr�conise le CNES pour redynamiser cette croissance ? Cela dans un contexte o� l'Ex�cutif envisage l'impulsion d'un plan de consolidation de la croissance, outre de mettre l'accent sur l'aspect incontournable de la privatisation et de l'ouverture. L'aisance financi�re, dont nul n'ignore l'origine, est la caract�ristique majeure actuelle. Elle n'a pas, h�las, pour vertu de livrer des r�ponses � toutes les questions de l'heure et notamment celles li�es aux probl�mes structurels de notre �conomie. Elle pr�sente, entre autres, l'avantage de remettre � jour ces derniers. Elle a notamment favoris� l'adoption du Plan de soutien � la relance �conomique par l'injection de ressources substantielles dans les rouages d'une machine longtemps an�mi�e par un sevrage prolong�. Sous cet angle, le PSRE est venu nous soustraire de la frilosit� dans laquelle nous avait fig�s le programme d'ajustement structurel, focalis� sur les seuls �quilibres macro- financiers, sans souci aucun de son impact sur la pauvret� et la d�t�rioration des conditions de vie et de travail. Sous contrainte majeure, le pays a d� en 1994 se plier aux lois d'airain du FMI A cet �gard, je note cette curiosit�, ou plut�t cette ind�cence � s'enorgueillir des satisfecits du FMI, � l'heure o� cette institution est d�cri�e � travers le monde, ses th�rapies de choc d�nonc�es et ses th�ses invalid�es et m�me disqualifi�es. Sa grille de lecture privil�gie les �quilibres externes, comme garantie de la solvabilit� des pays. Pour autant, chez nous, l'�quation r�side dans la difficult� � transformer l'aisance financi�re en richesse durable, assise sur des facteurs sains et p�rennes de croissance. Des retards importants sont enregistr�s dans des domaines strat�giques, emp�chant de cr�er les conditions d'une reproduction �largie. L'embellie actuelle nous pr�serve temporairement des chocs ext�rieurs. Une politique budg�taire prudente et rigoureuse s'impose sans devoir �tre restrictive. L'annonce d'un plan pluriannuel ambitieux n'est pas antinomique avec cette prudence, pour peu qu'il int�gre ses objectifs dans une planification rigoureuse, une vision � long terme dans lesquelles les r�formes que vous �voquez ne devraient �tre qu'un �l�ment, un moyen et un palier pour notre �conomie de sa vuln�rabilit� actuelle. Pour n�cessaires qu'elles soient, ces r�formes doivent ob�ir � deux conditions fondamentales : obtenir leur validation sociale et viser la performance et la comp�titivit� de l'appareil �conomique. Cela ram�ne � dire que les pouvoirs publics doivent faire preuve de plus de d�termination dans la mise en place de politiques de prise en charge des retomb�es des r�formes envisag�es dans des secteurs aussi strat�giques que les banques, les institutions financi�res, les hydrocarbures et les services publics (mont�e du ch�mage, diminution du pouvoir d'achat, pr�carit� sanitaire….) et doivent pr�senter, � ce titre, des alternatives r�elles aussi bien sur le plan social qu'�conomique aux risques attendus des r�formes pr�cit�es. Aussi, pour r�ussir une reprise de croissance dans un cadre d'un nouveau plan de consolidation �conomique, il faut absolument s'inscrire dans la vision de l'apr�s-p�trole en favorisant les secteurs �conomiques � forte valeur ajout�e, notamment dans le domaine de la PME, de la nouvelle �conomie et des services financiers. Garantir des revenus permanents hors hydrocarbures capables de compenser l'�ventuelle disparition de la rente p�troli�re en plus du d�veloppement de l'�conomie des Hauts Plateaux et du Sud pourraient constituer des enjeux strat�giques du nouveau plan. Il faudrait que nous actualisions toutes nos perspectives d'am�nagement du territoire et de politiques de croissance et de d�veloppement.