Par Hassane Zerrouky Premier constat. Le bilan est lourd. En neuf mois, dix morts. Tous Mozabites. Plus d'un millier d'habitations et plusieurs centaines de commerces saccagés ou incendiés, des centaines de familles contraintes de quitter leurs quartiers pour aller s'entasser dans des écoles ou un autre lieu pouvant les accueillir, et ce, sans compter la profanation et la vandalisation des écoles religieuses, des cimetières et des mosquées ibadites. Les communautés se cloîtrent dans leurs quartiers. Le dialogue tend à se raréfier quand il n'est pas tout à fait rompu. La flambée de violences, qui continue de faire des victimes, source de crispation et de repli identitaire entre Mozabites et Chaâmbas, fait peser de sérieuses menaces à l'endroit de cette «cité-Etat», joyau architectural classé par l'Unesco, qu'est Ghardaïa et, partant, sur toute la vallée du M'zab. Vrai ou non – voir le Soir d'Algérie du 27 mars — pour certains Mozabites, rencontrés alors à Ghardaïa, derrière ces menaces, c'est tout ou partie de la vallée du M'zab qui serait convoitée, à la fois par la mafia du foncier et par des hommes d'affaires des pétromonarchies du Golfe. A quoi s'adossent ces prêches salafistes diffusés en boucle par la chaîne satellitaire religieuse saoudienne Iqra, déclarant «hallal» le meurtre des ibadites qualifiés de «Khaouaridjs», ce dont s'indignait alors Hamou Mesbah, membre du FFS de Ghardaïa. Ces faits-là sont connus de tous y compris des autorités. Reste que la persistance de cette situation n'a d'égale que l'impuissance des pouvoirs publics à en venir à bout : rien de ce qui a été entrepris jusque-là n'a donné les résultats escomptés. La dernière mission conduite par le secrétaire général du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, M. Ahmed Adli, permettra-t-elle de dénouer une crise qui semble s'être installée dans la durée ? «Le retour de l'autorité de l'Etat reste le seul moyen d'assurer la sécurité des personnes et des biens» a déclaré, à juste titre, Khodir Babaz de la Cellule de suivi et de coordination des événements à Ghardaïa et l'un des dirigeants en vue de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA) de la capitale du M'zab. Et d'interpeller avec d'autres personnalités du M'zab le chef de l'Etat en personne en sa qualité de «garant de l'unité nationale» et de «défenseur de la République». Et en effet, la persistance de cette crise, qui suscite les inquiétudes de nombreux Algériens, interpelle en ce sens qu'elle ne peut être réductible à une question sociale, surtout dans une région se trouvant à proximité de Hassi R'mel et Hassi Messaoud. Qui plus est, comme j'ai eu à le constater – voir Le Soir d'Algérie du 27 mars – nombreux sont ceux qui sont persuadés que le sous-sol de Ghardaïa renferme des richesses énergétiques suscitant des convoitises régionales et extrarégionales. D'autres soutiennent que ces violences ont pour objectif de faire du M'zab un émirat pétrolier et gazier, et que les Mozabites étant, du fait de leur attachement à cette région et à l'unité nationale, un obstacle pour la réalisation de cet objectif, ils devraient en être chassés, d'où sans doute les violences actuelles. Cette vision des choses prêterait à sourire si elle ne comportait pas une petite part de vérité. Chacun sait que certaines capitales occidentales en sont venues à considérer que l'Algérie est un pays trop grand pour ses habitants. Mouloud Hamrouche va même jusqu'à affirmer qu'en raison des problèmes accumulés et socio-politiquement non résolus l'Algérie n'est pas à l'abri de ce qui se passe en Irak ou en Libye, à savoir d'une implosion. En Irak, le fait qu'un groupe politico-religieux, l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), ait établi un califat à cheval sur l'Irak et la Syrie devrait inciter à la vigilance. Par conséquent, persister dans le déni de la réalité en réduisant la crise du M'zab à une querelle religieuse entre groupes marginaux, n'écouter que ceux dont les propos conforteraient les autorités dans leurs croyances, est un aveu d'impuissance. D'où aussi cette question qui effleure de nombreux esprits : et si les victimes étaient des Chaâmbas, de rite sunnite malékite, quelle aurait été la réaction du pouvoir politique et de ses soutiens ?