Sans surprise, Abdelhamid Zerguine, le P-dg de la Sonatrach, a été relevé de ses fonctions pour être remplacé par son vice-président Amont, Saïd Sahnoun. Perçu par nombre d'observateurs comme tout aussi responsable que l'ancien patron de la compagnie publique dans le déclin que connaît la production, le ministre de l'Energie est lui aussi sur la sellette et quelques initiés affirment même qu'il devrait remettre le tablier lors du prochain remaniement ministériel. Ce changement à la tête de l'entreprise intervient à un moment où d'autres nominations et départs à la retraite ont touché l'activité Amont, le cœur battant de la Sonatrach. D'ailleurs, on annonce le nom de l'actuel directeur central des associations, Kamel Chikhi, comme successeur de Saïd Sahnoun au poste de vice-président Amont. Pour la plupart des observateurs, les hautes autorités du pays ont pris cette décision de relever le patron de la Sonatrach dans le but de freiner l'inquiétant déclin de la production nationale en gaz et pétrole enregistré notamment au cours des deux dernières années. Depuis son installation en novembre 2011 à la tête de la Sonatrach, Abdelhamid Zerguine n'a malheureusement pas été capable d'améliorer la situation de son portefeuille Amont qui a sensiblement fondu. Et même ses quelques timides tentatives de faire avancer les choses ont toutes été empêchées par son ministre de tutelle. La stratégie de la discorde Même si tout le monde est d'accord pour dire que la Sonatrach vient de se séparer du président le moins performant de son histoire, il faut reconnaître qu'il n'a jamais eu l'occasion de montrer ce qu'il était en mesure de réaliser pour la compagnie. Pour exemple, chaque année la Sonatrach publie son PMT (Programme à moyen terme, généralement quinquennal) et le transmet à toutes les autorités du pays. Mais, lors de la plupart de ses sorties sur le terrain, le ministre de l'Energie étonne par l'annonce de projets de la Sonatrach qui n'existent pas. Par ailleurs, lorsqu'il avait accepté de prendre la Sonatrach, Zerguine était conscient qu'il n'était pas en mesure de diriger le groupe pétrolier selon sa propre vision. Mais il avait quand même été charmé par les promesses et a fini par jurer «obéissance et fidélité» à son ministre qui a dû relancer le président de la République à trois reprises pour pouvoir le confirmer dans son poste. Pour sa part, le ministre a choisi Zerguine sur la base de deux critères: le premier est le fait qu'il n'était pas une très grosse pointure dans la hiérarchie de la Sonatrach et par conséquent ne risquait pas de lui faire de l'ombre. Le second est encore plus sournois dans la mesure où le fils du P-dg était employé par une multinationale qui raflait des milliards de dollars auprès de la Sonatrach. C'était là une manière comme une autre de s'assurer de sa loyauté. A sa nomination à la tête de la Sonatrach, Abdelhamid Zerguine avait les mains pratiquement liées .Sa feuille de route se résumait ainsi : ne rien changer sans l'aval du ministre, ne jamais se mêler des affaires antérieures de corruption et surtout axer le principal de l'effort à l'exploration. Dans la tête du ministre, l'annonce de grandes découvertes de réserves en hydrocarbures lui permettrait de multiplier les sorties médiatiques et de se dire que la compagnie publique a fait telle ou telle découverte importante. Finalement, par cette stratégie, le ministre a fini par dégarnir la production tout en essuyant un sanglant échec sur l'activité exploration. Car, tous les connaisseurs sont unanimes à dire que les découvertes annoncées par notre ministre de l'Energie ont toutes été entamées avant 2010, autrement dit, initiées du temps de Chakib Khelil. Cette obsession de dire que la Sonatrach a réalisé des découvertes est allée même jusqu'à duper les hauts responsables du pays et l'opinion publique. On creuse parfois des puits dans des périmètres avoisinant les champs matures et on crie victoire alors qu'en réalité ces puits sont localisés dans le prolongement des gisements déjà connus. 18 mois de manœuvres Si le ministre est parvenu aujourd'hui à évincer son ancien «protégé», c'est qu'il pense récolter le fruit d'un an et demi de manœuvres pour atteindre cet objectif. Cette crise entre les deux responsables est née justement en décembre 2012, lorsque le P-dg de la Sonatrach s'est aventuré, seul avec la presse, dans la wilaya de Chlef. Par ignorance Zerguine fait une déclaration fracassante: «Nous allons signer avec la société française CGG Veritas, un contrat pour forer le premier puits offshore au large de Béjaïa», avait-il lancé. La situation devenait alors insoutenable. C'est la première fois en 50 ans d'existence de la Sonatrach que le P-dg montre publiquement qu'il ne fait pas la différence entre une société de géophysique (c'est le cas de CGG Veritas) et une compagnie qui réalise des forages en offshore ou en onshore. Le lendemain, son ministre de tutelle improvise une «sortie» à Tizi Ouzou uniquement pour le corriger. «Nous n'avons attribué aucune exploration offshore. Ce projet est en cours d'études géophysiques et géotechniques», dira le ministre de l'Energie. Et là aussi, toute la communauté internationale des pétroliers s'est moquée des deux principaux acteurs du secteur des hydrocarbures en Algérie. Car, quelques années auparavant, Chakib Khelil avait confié ce travail à une société d'envergure mondiale et tout le dossier géophysique des côtes de Béjaïa était déjà ficelé. Retour sur la scène du crime A la Sonatrach, tout le monde s'interrogeait sur l'implication du ministre de l'Energie dans toutes les manifestations publiques auxquelles prenait part le P-dg de l'entreprise. Par exemple, le ministre était sérieusement fâché si par malheur il n'était pas invité à une cérémonie en l'honneur des nouveaux bacheliers parmi les enfants des travailleurs de l'entreprise. En revanche, ce même ministre se dérobait lorsqu'il sentait qu'il aurait pu être susceptible de trébucher sur les dossiers de Chakib Khelil. Dans ce cas, il préférait que le patron assume ses responsabilités. Le dernier cas en date est sans doute la signature, il y a deux mois, d'accords avec l'espagnole Villar Mir sur le projet Fertial et El Bahia Fertilizer. Ces dossiers, pourtant d'une grande importance pour le pays et pour la Sonatrach, ont été traités par Zerguine tout seul, en l'absence de son ministre. Toujours dans le même chapitre de la pétrochimie, la Sonatrach entame sa deuxième année de production sur l'usine de Sorfert, réalisée par Chakib Khelil avec les Egyptiens d'Orascom. Et pourtant, jusqu'à ce jour le ministre de l'Energie refuse catégoriquement de participer à son inauguration ou même la visiter. Idem pour l'usine de GNL réalisée à Oran par l'italienne Saipem et la LDHP de Hassi Messaoud auxquelles le ministre tourne le dos depuis son arrivée à la tête du secteur de l'énergie. Plutôt que de s'afficher sur ces scènes de crime, le ministre suggère à son P-dg de «gérer» avec tact les dossiers de Saipem. Sournoiseries de palais Dans les rouages du sérail, on n'admet pas que l'éviction du P-dg de la Sonatrach soit une victoire pour son ministre de tutelle. On l'interprète par le fait que le président et tout son clan ne sont plus en mesure d'assumer l'incompétence de Zerguine. On a fini par le lâcher pour sauver la Sonatrach et non pas pour offrir un quelconque sentiment de victoire au ministre de l'Energie. Le P-dg de la Sonatrach, qu'on a voulu cataloguer avec l'image d'une victime malmenée par son ministre, est loin d'être facile à manier. Bien ancré dans les circuits de soutien aux candidatures successives de Bouteflika, il a tissé en plus, des alliances familiales avec de hauts responsables de l'Etat, faisant même partie du cercle le plus influent qui entoure le Président. Mais, ces soutiens n'ont pu combler ses déficiences dans la gestion du plus grand complexe industriel et économique du pays. Abdelhamid Zerguine quitte la scène dans l'anonymat, dans l'attente d'être recyclé par les siens. Pour sa part, Saïd Sahnoun, le troisième P-dg de l'ère Yousfi, aura l'avantage d'un court sursis. Apprécié par son entourage à la Sonatrach, il affiche le profil du technicien toujours en symbiose avec son métier. Contrairement à ses prédécesseurs, il pourra largement contenir l'ingérence temporaire du ministre parce qu'il ne souffre pas d'un déficit sur le plan technique. Par ailleurs, son parcours jusque-là purement technique le met à l'abri des turbulences politiques. Mais ce qui devrait l'irriter, c'est surtout le manque de temps. Le nouveau patron de la Sonatrach est appelé à réaliser des miracles dans la production avec des échéances très courtes.