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Entretien
Zineddine Sekfali, analyste et chroniqueur : «J'espère avoir été un témoin fidèle de mon temps»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 08 - 2014

Zineddine Sekfali n'est pas un inconnu pour la presse algérienne puisqu'il y publie depuis quelques années des chroniques et des contributions portant sur divers sujets en rapport avec l'actualité nationale et internationale. Cet ancien grand cadre de l'Etat, qui a exercé en qualité de ministre du Tourisme au milieu des années 1980, est également l'auteur de Introduction générale au système judiciaire algérien : évolution et tendance1962-2009 paru en 2010, ainsi que de Tribunes libres, chroniques et entretiens publié en 2012 dont le second tome vient d'être mis en librairie. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il évoque les questions en rapport avec l'actualité immédiate (Ghaza) ainsi que le regard qu'il porte sur son activité de chroniqueur.
Le Soir d'Algérie : Vous évoquez l'affaire palestinienne dans deux chapitres différents de votre livre. Actualité oblige, c'est naturellement sur l'agression israélienne contre Ghaza que démarrera notre entretien. Que pourriez-vous dire à propos de cette énième agression israélienne contre Ghaza ?
Zineddine Sekfali : En fait, j'ai écrit trois articles sur le martyre des Palestiniens et l'agressivité maladive des Israéliens. Le premier date du 24 avril 2002 ; il est dans le 1er tome des Tribunes libres, chroniques et entretiens édité en 2012. Les deux autres figurent dans le 2e tome qui vient d'être édité. Que dire de plus par rapport à ces écrits, si ce n'est que les récents massacres perpétrés par Israël à Ghaza confirment, s'il en était encore besoin, la nature agressive et haineuse d'Israël. Depuis sa création, cet Etat commet impunément des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
L'Occident lui garantit cette impunité et prend systématiquement sa défense, en inversant les rôles et les responsabilités. Avec beaucoup de mauvaise foi, il fait des Palestiniens les coupables et des Israéliens les victimes, pour leur accorder de plein droit le bénéfice de l'excuse de légitime défense pour toutes les infamies qu'ils commettent.
On constate aussi que même lorsque, fait extraordinaire, il arrive aux Occidentaux de s'émouvoir des souffrances des femmes et des enfants de Palestine, l'Occident prend soin de ne rien entreprendre en leur faveur qui déplairait aux Israéliens.
C'est ainsi par exemple que le blocus de Ghaza perdure depuis sept ans, si bien que le monde entier a fini par s'en accommoder ! En vérité, l'Occident qui, pendant des siècles a persécuté avec férocité les Juifs, «peuple déicide» disait-on, et qui les a massivement mis à mort dans ses camps de concentration, souffre depuis 1945 d'un lourd complexe de culpabilité vis-à-vis d'eux. En cherchant à s'acheter une bonne conscience, il a fini par se faire le complice de l'Etat d'Israël. C'est cela aussi que nous révèlent les insupportables carnages perpétrés à Ghaza.
Comment expliqueriez-vous le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël ?
Israël et les Etats-Unis ont besoin l'un de l'autre. Sans l'appui militaire, politique et financier des Etats-Unis, Israël n'est pas viable. Israël est incontestablement indispensable aux Etats-Unis. C'est une pièce maîtresse dans la stratégie américaine vis-à-vis des Arabes et des Iraniens.
Situé à l'extrémité de la Méditerranée méridionale et à la limite ouest du Moyen-Orient arabe, Israël est pour les Américains une base militaire disponible en permanence. C'est aussi une irremplaçable tête de pont qui ouvre aux troupes américaines la voie vers les champs, les puits de gaz et de pétrole des Arabes et des Iraniens. Les intérêts américains et israéliens sont en réalité si imbriqués entre eux que rien ni personne ne peut les séparer. C'est pourquoi il ne faut prendre l'agitation diplomatique du département d'Etat américain en direction des pays arabes et de certains Etats musulmans que pour ce qu'elle est en réalité, c'est-à-dire de l'enfumage et de la diversion !
Que pensez-vous de la position des pays arabes ?
S'agissant des Arabes, je m'en tiendrai à ce qu'a déclaré il y a presque cent ans, Saâd Zaghloul ; pour lui «les pays arabes c'est : 0+0=0 !». Ce triste constat est toujours exact : les pays arabes sont toujours maintenus dans un état d'arriération paralysante, ils sont militairement faibles et économiquement sous-développés, même si certains disposent d'avoirs en dollars à donner le vertige.
Aujourd'hui, la nouveauté c'est que les chefs d'Etat arabes font profil bas comme jamais auparavant, et s'emploient à occuper leurs armées à des tâches domestiques de police. Il est clair que les Palestiniens de Ghaza ne peuvent plus compter sur l'armée syrienne, celle-ci ayant déjà bombardé leur camp de réfugiés de Yarmouk à Damas. Côté égyptien, la situation est désespérée.
L'armée égyptienne a lancé, dès que ses généraux ont repris le pouvoir politique, des opérations de guerre, pour détruire les tunnels par où les Ghazaouis, sous blocus israélien, s'approvisionnaient en vivres et médicaments.
La presse égyptienne, faisant le travail des services de l'action psychologique de Tsahal, a carrément pris le parti d'Israël et de Tsahal contre Hamas et son bras armé, rapportait le quotidien Fr24 du 20-07-2014. Enfin, il est fort à craindre que les Etats arabes, qui font pression sur Hamas pour qu'il cesse le combat, ne cherchent en réalité que sa reddition sans condition. Ils se trompent, car le peuple palestinien garde intactes sa volonté des résister et sa dignité. Les peuples colonisés et opprimés, comme l'ont été jadis les Algériens et les Vietnamiens, savent d'instinct que la liberté a un coût.
Vous citez un auteur qui a dit : «L'actualité d'aujourd'hui est l'Histoire de demain.» Et vous écrivez : «L'actualité, ce matériau de base de l'Histoire qui s'écrit en live...» Pourriez-vous expliciter davantage ?
Les médias électroniques diffusent, au quotidien, des milliers d'informations. Dans le flot des nouvelles, le lecteur opère nécessairement un tri et ressent en même temps le besoin de relier les unes aux autres, les informations qu'il sélectionne. L'actualité, ainsi sélectionnée et mise en ordre, prend un sens qui n'est pas facile à percevoir, de prime abord. Reliée à l'Histoire, l'actualité prend encore davantage de signification. S'il est en effet exact que l'Histoire ne se répète pas, il est néanmoins bien vrai aussi que le passé explique souvent le présent.
Comment cela ?
Je citerai trois exemples pour illustrer ce que je viens de dire. D'abord, je crois qu'on comprend mieux ce qui se passe au Liban, en Syrie et en Irak, quand on connaît les conditions dans lesquelles les frontières de ces trois Etats ont été tracées, si on sait en quoi consistait l'accord Sykes-Picot et quels étaient ses objectifs politiques, et si on sait à quelle partie du Moyen-Orient arabe s'applique l'expression «Croissant fertile».
De la même manière, je pense qu'on comprend mieux la position intransigeante de la Russie sur la Syrie, si on sait que ce grand pays a de gros intérêts économiques au Moyen-Orient, qu'il se veut le protecteur des Eglises chrétiennes orthodoxes de cette région du monde et enfin si on sait que «la Russie éternelle» a une tendance historique à agrandir son territoire vers les régions musulmanes du Caucase et vers ses marches du Sud.
La récente annexion de la Crimée, pays des Tatars, en est une preuve éclatante. Le troisième exemple où l'histoire explique le présent est le suivant : on ne peut pas comprendre ce qui se passe présentement au Mali, si on occulte le fait que c'est un pays multiethnique et multiculturel, que ses frontières ont été tracées par l'ancienne puissance coloniale sans consultation des populations locales, que l'irrédentisme touareg y est endémique, et que le fondamentalisme islamique y a pris racine en servant de couverture politico-religieuse aux narcotrafiquants qui le subventionnent.
Ce pays pose des problèmes politiques et d'organisation de l'Etat très ardus mais pas insolubles, pour peu toutefois que tous les protagonistes soient de bonne foi et tiennent sincèrement à ce que le Mali retrouve la paix, la sécurité et le progrès.
Le recueil contient aussi des articles consacrés à des affaires intérieures. Comment résumeriez-vous leur contenu ?
Il est difficile de résumer en quelques mots des articles nombreux, variés et traitant de sujets délicats. Néanmoins, on peut donner aux lecteurs une idée assez précise du contenu de ces articles, en rappelant quelques titres de chapitres. Celui consacré à la Justice a pour titre : «La Justice, un pouvoir aux pieds d'argile» ; il met en évidence la faiblesse proverbiale de notre prétendu pouvoir judiciaire. On traite aussi dans ce recueil de la corruption ; le chapitre qui lui est consacré a pour titre: «Du bakchich à la razzia, au pillage méthodique» ; ce titre est significatif de la progression de cette pandémie mortelle qui touche l'Etat et la société.
On y trouve deux articles sur les élections «actes démocratiques par excellence», mais devenues au fil des années, un simple rite formel ; je traite dans ces articles de certains maux politiques, tels que la fraude électorale, la corruption électorale, le nomadisme partisan et les redressements à répétition. Je consacre aussi un article à la citoyenneté et aux mouvements citoyens qui sont en mesure me semble-t-il, de changer les mentalités et les comportements de nos compatriotes. J'essaye de montrer comment la citoyenneté renforce et conforte l'unité nationale tout en préservant le pluralisme politique.
On constate par ailleurs que la jeunesse intellectuelle n'a ni déserté ni fui la politique. Au lieu donc de la brider, il faut au contraire l'aider à se libérer des pesanteurs archaïques paralysantes, des tentations extrémistes et lui redonner espoir dans l'avenir. J'ai inclus dans ce recueil un article consacré au projet sidérurgique de Bellara (Jijel) et un autre à la rénovation des sites historico-culturels de La Casbah d'Alger et de la Souika de Constantine. Les projets de Bellara et de La Casbah datent du début des années 1980 ; celui de Constantine est plus récent. Mais la réalisation de ces trois projets d'intérêt national avance à la vitesse des escargots.
Pour conclure, quel objectif vous êtes-vous assigné à travers ce livre ?
Ce livre contient, classés par thèmes, une trentaine d'articles que Le Soir d'Algérie a bien voulu publier, en tant que contributions. Ces articles participent tantôt de la tribune libre, tantôt du commentaire ou de l'étude. L'actualité y est abordée et analysée de la manière la plus objective possible.
La majeure partie des faits et évènements rapportés sont importants aux yeux de nos compatriotes. Certains d'entre eux feront probablement date. Tous m'ont paru dignes d'intérêt et donc susceptibles d'être actés dans ce livre.
On dit que le chroniqueur est témoin de son temps. J'espère avoir été un témoin fidèle de mon temps et avoir contribué, un tant soit peu, à côté des journalistes professionnels, à l'amélioration de l'information du public.


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