Lors d'une manifestation à Bruxelles contre la barbarie israélienne à Ghaza, deux participants aiguisent ma curiosité. Le premier cadre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et le second juif belge proche de la mouvance «Paix en Israël et en Palestine». Le premier prend la parole à l'entame de la procession. Il dit, d'emblée, «mes amis, cessez et aidez à mettre un terme à la propagande israélienne qui fait croire qu'à Ghaza, la résistance est d'obédience Hamas uniquement. C'est faux. Les combattants sont de courants politiques et doctrinaux différents». Puis, pressé par les organisateurs de faire court, il relève : «Certes Hamas est présent dans la résistance, mais il y a des communistes, des laïcs, des chrétiens, des Grecs orthodoxes, des jeunes révoltés n'appartenant à aucune chapelle idéologique.» Sommé cette fois-ci pour de bon de conclure, il s'exécute : «Beaucoup de Juifs dans les territoires et même à l'intérieur d'Israël nous soutiennent. Ils nous disent, simplement, de ne pas s'en prendre aux civils et que cette armée qui massacre des civils n'est pas la leur, ce n'est pas de cet Israël qu'ils veulent...» Applaudissements nourris et suite du rassemblement. Mon second témoin m'approche, mis au parfum de mon métier de journaliste algérien. «Votre journal est quotidien ?», «Oui», «il est laïque ou islamiste ?» «Islamiste, il ne l'est pas, c'est certain, mais je ne sais pas s'il est laïque, moi je le suis en tout cas». Ensuite il me confie qu'il est juif et qu'il a tenu à marcher contre les «exactions» commises par Israël. Et que même si certains participants insultent les Juifs comme entité monolithique, cela n'est rien par rapport aux crimes de Netanyahu. «L'antisémitisme existe partout dans le monde et surtout eu Europe, il n'est pas né de la question Israël... Ce serait injuste et même dangereux de le coller aux Palestiniens. Ils sont divers comme tout le monde», murmure-t-il, presque gêné de parler ainsi. Et saisissant mon intérêt par rapport à ses appréciations, il continue : «Si j'étais palestinien, j'en voudrais à tous les Juifs du monde, même si tous les Juifs ne sont pas anti-palestiniens.» «Israël oui mais la Palestine aussi.» Mon récent ami refuse de prendre la parole malgré les nombreuses sollicitations. Il est là pour marquer sa solidarité avec la population de Ghaza. Dans la manif, je le sais par lui, il y a beaucoup de Juifs. De façon générale et quoi qu'en veulent véhiculer les médias lourds européens et, notamment français, l'expédition punitive contre Ghaza n'est pas légitimée par les opinions publiques ni même par différents fragments de la diaspora juive. Les sionistes eux-mêmes semblent divisés sur ces massacres à grande échelle. Parmi cette dernière catégorie des voix s'élèvent pour dénoncer le caractère «contre-productif» de l'opération. Certes, ils ne remettent pas en cause les fondamentaux de la démarche Netanyahu, mais les trop nombreux crimes contre les enfants, les vieillards, les femmes enceintes et les bombardements ciblant exclusivement maisons, demeures modestes, courettes domestiques et hôpitaux ne travaillent pas, selon eux, «l'intérêt d'Israël». Les autres Juifs se positionnent de plus en plus franchement pour une solution négociée avec les Palestiniens, fussent-ils Hamas. C'est sans doute ce sentiment qui remonte aux sommets décisionnels dans les exécutifs européens. Ce qui explique, à coup sûr, les réaménagements dans les discours. Laurent Fabius, le Français taiseux pendant trois semaines, a osé, avant-hier : «Plus de 600 morts à Ghaza, c'est inacceptable !» Elio di Rupo, le Belge, l'avait précédé d'un jour : «La riposte israélienne est totalement disproportionnée. Le cessez-le-feu doit être proclamé immédiatement sans condition.» D'autres responsables européens, pas identifiés comme courageux sur le dossier israélo-palestinien, sortent de leur léthargie et bougent, un tant soit peu, les lignes criminelles israéliennes et appellent à «raison garder» et à éviter les tueries massives. La résistance ghazaouie fait le reste. Le représentant du FPLP m'ayant demandé de relever que «si cessez-le-feu il y a, c'est parce que Netanyahu compte plus de soldats et d'officiers israéliens tués qu'il ne croyait». «A Ghaza, tient-il à déclarer publiquement et en aparté, l'armée israélienne massacre des civils et la résistance s'en prend aux soldats. A chacune ses valeurs». Fin de la manifestation. Plus de 7 000 participants et beaucoup de Juifs. En ces temps de massacres, c'est bon à savoir...