Même si le ministère de la Santé considère que le risque de contamination par la fièvre Ebola est «très faible», le danger de l'épidémie n'est pas exclu. Le virus qui se propage à une grande vitesse dans la région de l'Afrique de l'Ouest, risque-t-il d'arriver aux frontières algériennes ? Rym Nasri - Alger (Le Soir) Jusqu'à l'heure actuelle, le ministère de la Santé assure qu'aucun cas de fièvre Ebola n'a été détecté et que l'Algérie est indemne de ce virus. Un risque de contamination qui a été évalué comme étant «très faible» par un comité pluridisciplinaire d'experts. Même si les conditions environnementales et climatiques ne favorisent pas le développement spontané de ce virus dans notre pays, les experts n'excluent pas une éventuelle apparition de cas importés provenant des pays affectés par cette maladie. L'absence de lignes aériennes directes reliant l'Algérie aux pays concernés par l'épidémie (Guinée, Sierra Leone, Liberia et Nigeria) ne constitue pas un frein au virus. La maladie peut, en effet, se propager de différentes manières. Ainsi, les nombreux déplacements des voyageurs par voies terrestres ou aériennes à travers le continent africain et en Europe peuvent constituer un facteur de transmission du virus en Algérie. Les flux d'immigration clandestine vers notre pays peuvent être également à l'origine de la contamination de la population locale. Le Hadj et la Omra aussi, favorisent, du fait de la promiscuité, la transmission de la fièvre Ebola, d'autant qu'il n'y a aucune restriction aux voyages malgré la décision de l'OMS de décréter une urgence sanitaire mondiale. Pour parer à toutes ces éventualités, le ministère de la Santé a mis en place dès le 10 avril dernier, des dispositifs de prévention et d'alerte notamment dans les aéroports et aux postes-frontières terrestres. Un dispositif qui sera déclenché à la première apparition du virus sur le territoire national. L'Algérie dispose des moyens nécessaires pour diagnostiquer cette maladie, indiquait récemment la directrice de la prévention socio-environnementale au ministère de la Santé. La détection des éventuels cas de fièvre Ebola est ainsi primordiale afin de pouvoir isoler et empêcher sa propagation. Une mission confiée aux cellules de veille sanitaire, chargées de l'identification des cas suspects et de leur transfert vers les structures sanitaires référencées dans des conditions de sécurité et d'isolement. R. N. Le Professeur Kamel Sanhadji au Soir d'Algérie : «Les pouvoirs publics doivent se préparer à toute éventualité» Entretien réalisé par Amine Lamrioui Le Soir d'Algérie : L'Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de décréter l'état d'urgence de santé publique au niveau mondial concernant l'épidémie du virus Ebola. Que signifie cette décision adoptée par l'OMS ? Kamel Sanhadji : C'est parce qu'il s'agit bien d'une situation où les moyens locaux et régionaux de lutte contre un agent pathogène ne permettent pas d'empêcher sa diffusion que l'état d'urgence de santé publique de portée mondiale a été décidé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève. Aussi, toutes les maladies infectieuses très dangereuses ne répondent pas à ce critère. Par exemple, le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) qui reste actif dans la péninsule arabique n'est pas reconnu comme une urgence de santé publique de portée mondiale. Même s'il y a des morts, les actions locales d'isolement permettent de contenir jusqu'à présent la maladie. L'essentiel, c'est d'être en mesure d'accueillir des patients atteints par le virus et de les prendre en charge de manière très sécurisée. Avant cette épidémie d'Ebola, deux situations ont été qualifiées d'urgence de santé publique de portée mondiale par l'OMS. D'abord, la grippe H1N1 en 2009 et, ce qui est passé presque inaperçu ensuite, la poliomyélite au printemps dernier. Dans ce dernier cas, c'est la baisse de la couverture vaccinale qui a entraîné l'apparition et la circulation de souches sauvages du virus, exportées à partir de pays comme le Cameroun, la Syrie et le Pakistan. Même si le nombre de décès reste faible, la situation a semblé suffisamment grave à l'OMS pour qu'elle la qualifie d'urgence de santé publique de portée mondiale. Le dernier bilan de l'OMS fait état de plus de mille morts des suites du virus sur 1 712 cas (confirmés, suspects ou probables) dont 363 en Guinée, 282 au Liberia, 286 en Sierra Leone et 2 au Nigeria. Il s'agit de la plus grave épidémie depuis la découverte de cette fièvre hémorragique, en 1976. C'est pourquoi, devant une situation qui continue de s'aggraver, il faut une réponse internationale coordonnée pour arrêter et faire reculer la propagation internationale d'Ebola. Où en est l'épidémie et sa propagation? Sur le plan de l'épidémiologie générale, la répartition géographique montre que des cas cliniques de la maladie d'Ebola ont été trouvés au Soudan, au Zaïre, au Gabon et au Congo. Au Zaïre, en dehors de la zone endémique, le pourcentage des sujets séropositifs était de 1%. On peut donc penser qu'il existe des infections récentes et que le virus est enzootique (présence d'une manière régulière) ou endémique dans plusieurs pays africains. Diverses espèces sont touchées. En ce qui concerne l'homme, lors de l'épidémie du Zaïre en juillet 1976, la plupart des cas observés étaient des adultes, 56% des cas étaient des femmes. Chez les primates, on a trouvé des séropositivités chez des Cynomolgus en provenance des Philippines, mais également d'Indonésie et de l'île Maurice. De même des singes rhésus élevés aux USA depuis plusieurs générations dans des colonies closes (sans introduction de nouveaux membres) ainsi que des Cercopithecus aethiops importés des Caraïbes depuis une centaine d'années ont été reconnus positifs pour ce virus. Chez le cobaye, l'inoculation du virus Ebola est à l'origine d'une infection non létale. Cependant le passage en série du virus chez cette espèce augmente de façon dramatique sa virulence. La souche Zaïre tue 100% des cobayes au 4e passage. La souche Soudan tue 50% des cobayes après le sixième passage. En ce qui concerne la situation actuelle, un tableau épidémiologique, hélas provisoire, peut être brossé. Ainsi, le Nigeria a décrété l'état d'urgence vendredi soir, lors de la confirmation de deux nouveaux cas de contamination, portant à neuf le total dans le pays. Le gouvernement nigérian a également approuvé un plan d'intervention spéciale et le déblocage immédiat de près de 12 millions de dollars. La deuxième victime est un soignant décédé du virus, après avoir lui-même prodigué des soins au premier malade ayant succombé à la maladie dans le pays. A Lagos (ancienne capitale du Nigeria), la ville la plus peuplée d'Afrique subsaharienne (plus de 20 millions d'habitants), cinq cas confirmés ont été placés en quarantaine. Le ministère de la Santé a annoncé la mise en place d'un contrôle des passagers des lignes aériennes qui quittent le pays afin d'éviter toute propagation du virus. Au Liberia, l'armée a reçu ordre de limiter les mouvements de la population et contrôle strictement les accès à Monrovia, la capitale, en provenance des provinces touchées. Des centaines de personnes étaient ainsi bloquées par des barrages militaires entre le Nord et la capitale, avant même la déclaration, dans la nuit, de l'état d'urgence pour quatre vingt-dix jours. Les responsables des provinces coupées du reste du pays ont mis en garde contre le risque de pénuries alimentaires. Le syndicat des personnels de santé a par ailleurs menacé de se mettre en grève si le gouvernement ne lui fournissait pas le matériel nécessaire contre Ebola (gants, combinaisons et autres équipements). Le gouvernement de Sierra Leone a placé deux villes (Kenema et Kailahun) en quarantaine. Cette mesure pourrait durer soixante à quatre-vingt-dix jours. De plus, les pouvoirs publics ont décidé la limitation de la circulation des motos-taxis de 7h à 19h, et la fermeture immédiate des boîtes de nuit, des salles de cinéma et des vidéoclubs. Aussi, il a été décidé que les malades d'Ebola qui meurent doivent être inhumés sur le lieu de leur mort. Le pays a été placé en état d'urgence depuis le 1er août.. La Côte d'Ivoire, pays voisin du Liberia et de la Guinée, a décrété vendredi un niveau d'alerte « très élevé ». Ainsi, des comités de veille et de surveillance Ebola dans les quartiers et les villages » ont été mis en place par les services de surveillance épidémiologique de l'Institut d'hygiène d'Abidjan. Un cas suspect canadien de retour du Nigeria et présentant des symptômes de fièvre Ebola a été placé vendredi à l'isolement dans un hôpital de la banlieue de Toronto au Canada. En prévention, ce centre de soins a pris les plus hautes mesures de contrôle des infections dans le service des urgences, y compris l'isolement du malade. Cependant le recul, par rapport à l'histoire récente de certaines épidémies, nous amène à comparer l'épidémie Ebola avec d'autres épidémies et d'autres virus et incite toutefois à relativiser son ampleur actuelle. En effet, l'épidémie de choléra qui a récemment touché Haïti a par exemple fait 8 791 victimes en trois ans. Celle qui a frappé le Zimbabwe en 2008-2009 a fait 4 283 morts. Au même moment, la grippe aviaire H1N1 avait quant à elle provoqué la mort d'au moins 18 449 personnes à travers le monde. Des chiffres qui restent très éloignés de la grippe espagnole de 1918 et ses 50 millions de morts, ou, pis encore, de la peste noire du milieu du XIVe siècle et de ses 100 millions de morts. Le nombre de victimes du virus Ebola pourrait cependant continuer à croître de façon exponentielle. Cette épidémie avance plus vite que les efforts pour la contrôler. Les institutions internationales ont-elles les moyens de cette politique sanitaire ? En effet, tout ceci nécessite un déploiement de moyens importants. L'Union européenne, en particulier la Commission européenne a annoncé vendredi le déblocage de 8 millions d'euros supplémentaires pour contenir l'épidémie. Cette nouvelle aide porte à 11,9 millions d'euros l'effort déployé depuis le début de l'année par la Commission pour lutter contre Ebola. Parallèlement, l'Union européenne va installer, dans les prochains jours, un laboratoire mobile, vraisemblablement en Sierra Leone, pour effectuer les tests de dépistage. La Banque mondiale promet 200 millions de dollars. En réalité, le problème n'est pas le nombre de cas, mais la dispersion des foyers. Cela complique très fortement la réponse à l'épidémie, puisqu'il faut construire de nouveaux centres de prise en charge, avoir plus de personnels et déployer les équipes dans davantage de lieux. Les acteurs publics et les organisations non gouvernementales (ONG) ont donc du mal à répondre au problème. Les ONG ont atteint leurs limites. Faute de ressources humaines suffisantes, elles ne peuvent plus aujourd'hui se déployer sur de nouveaux foyers. Aussi sur le plan sociologique, on est dans une urgence de portée mondiale complexe. L'affaire est très mal engagée dès lors que les populations d'un triangle infernal de la zone forestière ont l'impression que, non contents d'isoler leurs malades, on leur vole leurs morts. Il s'agit d'une violence absolue. La dépouille d'une personne morte des suites d'Ebola est contaminante, il faut donc prendre des précautions. Mais on peut quand même accomplir les rites funéraires dans de bonnes conditions sanitaires. Pour cela, il est nécessaire de dépêcher des professionnels bien formés et bien protégés pour procéder aux soins sur les cadavres avec l'assentiment du chef de famille, avec des façons de faire validées par les chefs coutumiers et les chefs religieux. Même dans les pires situations, on ne fera pas l'économie de l'adhésion des populations. Il peut y avoir des décisions contraignantes dans les pays considérés, des mises en quarantaine par exemple. Il faut accompagner les populations. Les cantonner dans le désespoir n'est pas une solution. Quels sont les moyens et les préparatifs à mettre en place en cas d'urgence et d'apparition de cas d'infection par le virus Ebola ?? Les pouvoirs publics doivent se préparer à toute éventualité. En restant sur le qui-vive. Alors que l'OMS a décrété vendredi la mobilisation mondiale face à Ebola, l'Algérie doit se préparer à une éventuelle prise en charge de patients infectés par le virus. Des lits en salles d'isolement doivent déjà être prêts dans certains hôpitaux. Les établissements concernés doivent répondre à des critères très précis, comme la présence d'un service de maladies infectieuses, d'un service de réanimation doté de chambres d'isolement, d'un service de médecine nucléaire, d'un laboratoire garantissant le confinement total des agents infectieux manipulés mais aussi celle d'une aire permettant l'atterrissage d'un hélicoptère. Le ministère de la Santé doit assurer sur son site Internet que le risque d'importation du virus Ebola par le biais des voyageurs au sein des pays touchés est faible mais existe et il ne peut pas être totalement exclu. Ce qui explique notamment la mobilisation et la préparation. La gestion des cas suspects doit être confiée au centre du Samu, qui décide alors avec d'autres structures sanitaires de les confier à l'un des établissements choisis par le ministère de la Santé pour accueillir les patients infectés, comme il n'est pas toujours possible d'identifier rapidement les patients présentant une maladie à virus Ebola car les symptômes initiaux peuvent manquer de spécificités. Pour cette raison, il est important que les professionnels de santé appliquent les précautions d'usage à tous les patients, quel que soit le diagnostic, dans toute pratique professionnelle et à tout moment (hygiène des mains, hygiène respiratoire, port d'équipement de protection, sécurité des injections...) pour éviter les éclaboussures et autres contacts avec des matières infectées Il en de même pour les animaux infectés car il n'existe pas de vaccin vétérinaire contre ce virus. Le nettoyage et la désinfection systématiques des élevages (eau de Javel ou autres détergents) devraient être efficaces pour inactiver le virus. En cas de suspicion d'une flambée, les locaux doivent être mis immédiatement en quarantaine. L'abattage des animaux infectés, avec une surveillance rigoureuse de l'enterrement ou de l'incinération des carcasses, peut s'avérer nécessaire pour réduire le risque de transmission de l'animal à l'homme. La restriction ou l'interdiction du déplacement des animaux à partir des élevages infectés vers d'autres zones peut réduire la propagation de la maladie. Un point intéressant sur le plan préventif: on a constaté que les flambées d'infection à Ebola Reston chez le porc et le singe ont précédé des cas d'infection chez l'homme, d'où la mise en place d'un système de surveillance active de la santé animale est essentiel pour une alerte des autorités de la santé publique et vétérinaire. Revenons aux données scientifiques et fondamentales de ce virus à l'origine de fièvre hémorragique foudroyante : qui est ce virus ?? La fièvre hémorragique à virus (FHV) Ebola est l'une des maladies virales les plus virulentes chez l'homme selon l'OMS. Il s'agit d'un virus, de la famille des «filoviridae». Ce filovirus (genre à morphologie filamenteuse) a été identifié pour la première fois en 1976, par Peter Piot, dans une province ouest équatoriale du Soudan ainsi qu'au nord du Zaïre. Il existe plusieurs sous-types différents : Ebola Zaïre, Ebola Soudan, Ebola Reston et Ebola Côte d'Ivoire. C'est un virus à ARN monocaténaire (possède un patrimoine génétique composé d'un seule chaîne d'ARN mais pas d'ADN) et contient sept protéines différentes de poids moléculaire élevé. Le virus Ebola est sensible aux solvants des lipides comme l'alcool ou l'acétone et il est inactivé par le bêta-propriolactone, le glutaraldéhyde, le formol, les antiseptiques usuels comme l'hypochlorite de sodium (eau de Javel). Il est aussi inactivé par le chauffage à 60°C pendant une heure ainsi que par les rayons ultraviolets (UV) et gamma. Les souches du virus sont conservées à -70° C ou dans de l'azote liquide à -180° C dans des laboratoires très spécialisés de haut confinement physique type P4 (ou L4). Les chercheurs travaillant sur ce virus, en plus du laboratoire P4, s'équipent de combinaisons de type scaphandrier.. Le taux de létalité humaine (capacité de tuer) est de 70 à 90% pour la souche Ebola Zaïre et il n'existe, à l'heure actuelle, ni traitement ni vaccin. Plusieurs épidémies et cas récents, en particulier en 1976 au Soudan et Zaïre (300 cas dans chaque pays avec une mortalité de 53 et 88%) et en 1995 au Zaïre, indiquant que la maladie est toujours présente. Une flambée importante de fièvre hémorragique, en 2012 en République démocratique du Congo, et récemment dans la région avec un taux de létalité de 25% à 90% a été observée avec inquiétude. Un certain nombre de constatations doivent nous inciter à rester prudents. La recrudescence a repris fin mars 2014. En effet, le 2 avril, l'OMS indiquait dans un communiqué publié par l'agence de l'ONU avoir dénombré 5 nouveaux cas de fièvre Ebola en Guinée. Le bilan de cas suspects et confirmés de la flambée de fièvre Ebola en cours depuis janvier en Guinée était de 127 cas, dont 83 décès, selon l'OMS qui précise que 35 cas ont été confirmés par des tests de laboratoire. Les premiers échantillons ont été analysés à Lyon dans le laboratoire PE Jean Mérieux-INSERM, par le Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales. Un diagnostic positif a été alors établi. Un laboratoire P4 mobile a été déployé en Guinée pour apporter sur le terrain une aide à la réalisation du diagnostic. Ainsi, des échantillons sanguins prélevés chez 20 patients ont pu être analysés par les chercheurs. Divers tests ont été effectués par les scientifiques afin d'établir une «carte d'identité» spécifique du virus. Ainsi, l'ARN viral a été extrait des échantillons sanguins, amplifié (augmentation artificielle du nombre de copies pour rendre possible la quantification) puis séquencé (décryptage des bases). Ces séquences ont ensuite été comparées à 48 génomes (carte génétique) entiers déjà connus du virus Ebola. L'analyse des résultats a montré une similitude de 97% entre les échantillons analysés et les souches déjà identifiées en république démocratique du Congo en 1976 et en 2007 et au Gabon en 1994 et en 1996. Ces résultats démontrent bien que nous sommes face à l'émergence d'une nouvelle forme de ce virus en Guinée. Il semblerait qu'une seule introduction de l'animal à l'homme soit à l'origine de cette épidémie. Au-delà de l'épidémie en cours, ces résultats démontrent que la zone de circulation du virus Ebola est plus large que ce qui était connu auparavant, avec comme conséquence que l'Afrique de l'Ouest doit être dorénavant considérée comme une zone à risque pour le virus Ebola. Des mesures visant à prévenir la transmission de la faune sauvage à l'homme et à identifier rapidement de tels évènements s'ils venaient à se reproduire devront être mis en place en Guinée, mais aussi dans les pays limitrophes. Si l'on devait mettre en place ce laboratoire de haute performance, le P4, pourriez-vous nous en donner les principales caractéristiques ? Le laboratoire P4 (ou Level 4 ou L4) est un laboratoire de haut confinement physique dédié à l'étude des agents pathogènes de classe 4 (agents hautement pathogènes). Le niveau de sécurité biologique qui y est appliqué est de 4 (exigence de travailler dans un espace en pression négative et de plus avec une tenue en scaphandre), niveau le plus élevé. Les chercheurs y travaillent équipés d'un scaphandre maintenu en surpression pour les protéger de toute contamination. Le laboratoire est lui-même maintenu en dépression afin de protéger l'environnement. De plus, tous les déchets produits sont totalement inactivés et l'air extrait est purifié par un système de double filtration absolue. Ce laboratoire est encore aujourd'hui la structure de ce niveau de confinement offrant la plus grande capacité d'expérimentation en Europe. Ce genre de laboratoire est d'une étanchéité imparable et résistant même à un bombardement conventionnel. Il ne doit laisser aucun échappement se produire. Il en existe deux dans le monde, l'un en France à Lyon (Laboratoire P4 Jean Mérieux) et l'autre aux USA. A noter une consigne importante en cas d'incendie dans ce type de laboratoire : il ne faut surtout pas éteindre l'incendie mais plutôt attiser le feu pour qu'il se poursuive et que toutes les souches Ebola conservées puissent être détruites par les flammes. L'extinction de l'incendie pourrait éventuellement laisser s'échapper le virus Ebola et se propager ainsi dans la nature amplifiant le danger de propagation du germe. Les agents pathogènes de classe 4 (ou de groupe de risque 4) sont des microorganismes hautement pathogènes caractérisés par un taux de mortalité très élevé, l'absence d'outils prophylactiques ou thérapeutiques pour s'en protéger et leur facilité de transmission. Les agents pathogènes de classe 4 connus à ce jour sont tous des virus responsables notamment de fièvres hémorragiques ou d'encéphalites. On compte parmi eux les virus Ebola, Marburg, Lassa, Junin, Machupo, Guanarito, Sabia, Crimée-Congo, Nipah et Hendra. Comment se produit la contamination et quelle est l'origine du virus Ebola ?? Le virus Ebola s'introduit dans la population humaine par contact étroit avec le sang, les sécrétions, les organes ou les liquides biologiques d'animaux infectés. En Afrique, l'infection a été constatée après la manipulation de chimpanzés, de gorilles, de chauves-souris frugivores (animal qui se nourrit de fruits), de singes, d'antilopes des bois et de porcs-épics infectés retrouvés morts ou malades dans la forêt tropicale. Ensuite, il se propage dans la communauté par transmission interhumaine, à la suite de contacts directs avec du sang, des sécrétions, des organes ou des liquides biologiques de personnes infectées. Les rites funéraires, au cours desquels les parents et amis du défunt sont en contact direct avec la dépouille peuvent également jouer un rôle dans la transmission du virus Ebola. Il peut y avoir une transmission par le sperme jusqu'à sept semaines après la guérison clinique. Des professionnels de santé ont été souvent contaminés au contact des malades qu'ils traitaient. Cela s'est produit, lorsqu'ils étaient en contact étroit, sans prendre les précautions anti-infectieuses nécessaires et sans appliquer les techniques de soins en isolement. Par exemple, les soignants qui ne portent pas de gants, de masques et/ou de lunettes de protection peuvent s'exposer à un contact direct avec le sang des patients infectés et courent un risque. En ce qui concerne la transmission chez l'animal de laboratoire, il a été montré que plusieurs mois après la contamination, le virus n'était plus retrouvé dans l'organisme. Seuls certains territoires tels que la chambre antérieure de l'œil, les testicules (au statut immunologique particulier), peuvent présenter un risque au-delà de cette période. Passé ce délai, le virus n'a jamais été retrouvé même à la suite d'un traitement immunosuppresseur. La quarantaine semble donc présenter des garanties de sécurité suffisante. La propagation de la maladie se fait par contact entre personnes saines et personnes malades. Elle peut avoir lieu dans les hôpitaux, par manque de matériel de protection et par l'absence de stérilisation du matériel. La transmission peut se produire par les rapports sexuels, par les liquides physiologiques qui s'échappent des cadavres et par le sang coagulé, par la morsure de singes malades ou par contact avec le sang contaminé ou les secrétions corporelles. Les sources en virus Ebola sont représentées par la salive, le sang, les urines, les fèces, la sueur, les vomissures de malades atteints sont riches en virus. Quant aux origines, malgré les données obtenues depuis l'émergence, en 1967, du virus Marburg et, en 1976, du virus Ebola, le cycle naturel de transmission de ces virus demeure une énigme. Les perturbations de l'écosystème forestier liées aux activités humaines (activités agricoles, exploitations forestières) sont à l'origine de modifications de la faune (déplacement de faune forestière, introduction d'espèces savanicoles) qui peuvent se traduire par une augmentation des contacts réservoirs-hôtes et intermédiaires hommes. L'hypothèse retenue est que le réservoir se trouve dans l'écosystème périforestier. L'étude, réalisée dans plusieurs zones forestières ou périforestières de Centrafrique, est basée sur une approche pluridisciplinaire faisant appel à l'étude de la biodiversité des micromammifères terrestres, couplée à une étude virologique (isolement de souches, biologie moléculaire). Les résultats obtenus à partir de l'analyse de 947 micromammifères ont permis de mettre en évidence pour la première fois la présence du génome du virus Ebola chez plusieurs espèces de micromammifères terrestres périforestiers. Il s'agit principalement d'espèces de type rongeurs et musaraigne (insectivore). Quels sont les signes et les manifestations de la maladie ?? La maladie a une expression plus ou moins variable selon que qu'elle touche l'animal ou l'homme. Chez l'animal, il est brusquement atteint d'anorexie et de léthargie lorsqu'il s'agit du virus Eboal Reston. On note aussi un écoulement nasal. Ebola Zaïre rend les singes exsangues, les yeux sont vitreux et le nez présente des écoulements de sang. Des études comparatives sur la virulence des différents filovirus chez les singes verts africains et des cynomolgus ont montré une résistance accrue des singes verts pour tous les virus à l'exception du virus Ebola Zaïre qui provoque une maladie fatale chez tous les animaux. Le diagnostic a une importance primordiale aussi bien chez l'animal que l'homme à cause de la transmissibilité et de l'extrême virulence d'Ebola. Chez l'animal vivant, la sérologie la plus utilisée est l'immunofluorescence indirecte. Le virus est isolé à partir d'individus gravement atteints dans les laboratoires travaillant sur le virus dotés d'installations de sécurité maximale (laboratoire de confinement L4). Chez l'animal mort, Ebola Reston cause une forte dilatation de la rate, une sécheresse des tissus, une augmentation du volume des reins et des hémorragies dans divers organes. Ebola Zaïre déclenche une atteinte cérébrale (le cerveau est parsemé de taches hémorragiques) et destruction des tissus sous-cutanés, la peau est irritée, couverte de taches rouges visibles entre les poils clairsemés, hémorragie interne généralisée, le foie est dilaté (nécrose diffuse du parenchyme sans réaction inflammatoire), hémorragies intestinales. Quant à l'homme, la maladie d'Ebola est une maladie grave au taux de létalité élevé. L'incubation dure environ une semaine et la maladie débute brutalement avec de la fièvre et des céphalées (maux de tête). Des signes hémorragiques font toute la gravité de la maladie. Le diagnostic repose sur l'isolement du virus à partir du sang total ou d'échantillon de foie doit être réservé aux laboratoires de type P4. La sérologie spécifique est réalisée grâce aux tests par ELISA et RT- PCR. Un diagnostic différentiel doit être fait avec d'autres maladies (dysenteries, paludisme, fièvre jaune, fièvre typhoïde grave, dengue, méningocoque, leptospirose, rickettsie fièvre de Crimée Congo). L'examen anatomo-clinique révèle que les lésions les plus importantes se situent au niveau du foie et de la rate. Quels sont les traitements ? Existe-il un vaccin contre le virus Ebola ? Quant au traitement, on n'en connaît pas d'efficace. Les cas graves doivent être placés en unité de soins intensifs. Les patients sont souvent déshydratés et ont besoin d'une réhydratation par voie orale au moyen de solutions d'électrolytes ou par voie intraveineuse. Des traitements symptomatiques tels que des transfusions de sang, de plaquettes et de facteurs de celle coagulation sont utilisés. Quant à l'héparine, elle a été utilisée, avec échec, dans un seul cas. Le rôle crucial du système immunitaire dans le contrôle de l'infection a été récemment mis en évidence chez l'homme et des études chez l'animal montrent qu'une approche vaccinale est envisageable. En effet, des chercheurs américains de l'US Army testent actuellement un mélange d'anticorps monoclonaux (MB 003) contre le virus Ebola chez 7 primates. Cette stratégie a permis de protéger 100% des animaux inoculés avec le virus Ebola et traité une heure après cette inoculation. L'espoir est donc fondé. Cependant, des travaux de recherche sont encore nécessaires. En effet, de nombreux essais de sérothérapie par transfert passif d'anticorps spécifiques ont été réalisés aussi bien chez l'animal que chez l'homme. En effet et à titre expérimental, du sérum de convalescent (récolté 6 semaines après le début de la maladie) a été utilisé comme traitement sur des malades. Les résultats préliminaires obtenus sont difficilement interprétables à ce jour, mais les études réalisées chez le babouin et chez le cobaye indiquent que, pour être efficace, cette thérapie doit être mise en route très peu de temps après l'infection, c'est-à-dire avant l'apparition de la virémie (virus dans le sang). Aussi, de l'interféron (puissant antiviral biologique) a été utilisé, avec succès, dans un seul cas en association avec le sérum d'un convalescent.