[email protected] Dans un récent rapport intitulé «La recherche de l'inclusion», le groupe de la Banque africaine pour le développement (BAD) en Afrique du Nord estime que la région «a connu des changements remarquables durant les trois dernières années» mais traverse encore «une période de transitions sociale, économique et politique complexe». Le plus grand défi qui reste à relever selon le rapport annuel sur l'Afrique du Nord de cette année est le besoin d'inclusion car on estime que les soulèvements qui ont renversé les régimes politiques de longue date résulteraient de l'absence d'une croissance et d'un développement inclusifs. C'est pourquoi le document comporte un premier chapitre, intitulé «Comment mesurer le caractère inclusif de la croissance ?» qui examine la performance économique des pays d'Afrique du Nord au cours de la dernière décennie. Le chapitre se propose de présenter une nouvelle approche pour mesurer les progrès du bien-être. La croissance inclusive dont il est désormais question comporte quatre dimensions : elle est économique, sociale, spatiale et politique. L'indice de sa mesure comprend des indicateurs relatifs à la croissance, aux inégalités, à l'espérance de vie, aux taux de mortalité et de morbidité, aux conditions d'emploi, aux discriminations entre hommes et femmes, à l'accès aux installations d'assainissement et à l'ampleur de la corruption. Sur tous ces plans, les pays de la région ont également enregistré une forte amélioration du niveau de vie ces dernières décennies, avec une augmentation de l'espérance de vie, une réduction du taux de mortalité, une amélioration des indicateurs de santé, une diminution de la proportion de la population urbaine vivant dans des bidonvilles, et un accès plus facile à l'eau potable et à des services d'assainissement de meilleure qualité. Ainsi, pour notre pays, les tendances démographiques enregistrent un rallongement de l'espérance de vie à la naissance qui passe de 67,1 ans en 1990, à 70 ans en 2000 et 72,6 ans en 2009. Pour ces trois dates, le taux de mortalité – il est calculé chez les enfants de moins de 5 ans (pour 1 000) – est descendu de 67,6 à 48,9 puis 36,0. Le taux de fécondité, qui enregistre le total des naissances par femme a baissé de 4,7 à 2,6 puis 2,3. En matière de progrès réalisés dans l'accès à l'eau et assainissement, la part de la population utilisant de meilleures sources d'eau potable aurait régressé (cette conclusion nous paraît étonnante au regard des investissements consentis dans le secteur(*)) : 94% en 1990, 93% en 1995, 89% en 2000, 85% en 2005 ; la population utilisant de meilleures conditions d'assainissement a par ailleurs, connu une progression constante d'une période à l'autre : 88, 90, 92, 94, puis 95%. Les résultats macroéconomiques restent mitigés et relativement médiocres au regard des moyens disponibles ou mobilisés. La machine économique nationale ressemble à une vieille rotative rafistolée qui gaspille plus de papier qu'elle n'en imprime. En 2013, le taux de croissance s'est établi à 2,7%, contre 3,3% en 2012. Aussi, selon le dernier rapport sur les Perspectives économiques en Afrique, la croissance économique devrait être, au mieux, de 4,3% en 2014 et de 4,2% en 2015. La BAD le déplore : «Bien que connaissant une évolution consistante, la croissance de l'Algérie reste en deçà de son potentiel, tant le pays dispose d'importants atouts. D'abord, une stabilité politique lui permettant de se consacrer à la mise en oeuvre de sa stratégie de développement. Ensuite, des infrastructures relativement développées constituent un avantage comparatif pour la compétitivité de l'économie auquel il conviendrait d'associer la situation financière confortable, illustrée par des réserves de change estimées à environ 196 milliards de dollars EU. Par ailleurs, une épargne importante accumulée, notamment au niveau du Fonds de régulation des recettes pétrolières (FRR) contribue au financement de différents programmes macroéconomiques et sectoriels conçus au titre du Plan quinquennal 2010-2014, d'un montant de 286 milliards de dollars américains». Le nouveau projet de programme quinquennal d'investissements publics 2015-2019 porte sur un montant de 262,5 milliards de dollars américains. Le plan 2015-2019 est le quatrième plan lancé sous les mandatures du Président Bouteflika. Après avoir promu en 2001 un programme de soutien à la relance économique, il entreprit le lancement au cours de la période 2006-2010 d'un nouveau programme quinquennal d'investissements de près de 200 mrds$ avant d'inscrire un troisième plan quinquennal 2010-2014 pour un montant de 286 mrds$ accompagné de programmes spéciaux pour les régions des Hauts-Plateaux et du Sahara. Les trois premiers plans portaient principalement sur la consolidation et le développement des infrastructures de base : autoroute Est-Ouest et densification du réseau routier, modernisation des ports, extension et modernisation du réseau ferroviaire, Métro d'Alger et réseaux de tramways dans les villes grandes et moyennes, logement, approvisionnement des villes en eau. Le potentiel dont dispose le pays reste néanmoins plus un don du ciel que le produit de l'effort : «Les ressources naturelles du pays, à la fois abondantes et diversifiées, demeurent un atout majeur. Les réserves de pétrole classent l'Algérie en 3e position en Afrique, après la Libye et le Nigeria. Le pays dispose également de ressources naturelles parmi lesquelles des hydrocarbures non conventionnelles (3e rang mondial), un potentiel d'énergies renouvelables (notamment d'origine solaire), des minerais et minéraux divers (fer, phosphates, cuivre, or, uranium, etc.) auxquelles s'ajoutent des possibilités énormes». Au-delà ces paramètres «quantitatifs», il reste à peser et à apprécier la relation entre croissance et équité. «L'analyse traditionnelle consiste à considérer que les Etats se trouvent face au dilemme consistant à trouver le juste équilibre entre, d'une part, la nécessité de privilégier l'efficacité et la croissance pour réduire la pauvreté et les inégalités et, d'autre part, la nécessité de mettre en oeuvre des politiques ciblées pour aider les pauvres, même si ceci pourrait ralentir la dynamique générale en faveur de la croissance. Toutefois, ces dernières années, la réflexion est allée au-delà de ce supposé compromis, appelant à une meilleure compréhension de la relation entre croissance et distribution des richesses», souligne le rapport. La note attribuée au titre de la «croissance inclusive» estimée, en fonction des rangs normalisés (max=100 ; min = 0), était de 24,1 en 2000-2002 et de 29,6 en 2008-2010. Pour des raisons pas du tout évidentes, elle reste la plus faible de la région, malgré une variation en hausse de 22,8% entre les deux périodes. Les messages-clés que formule la BAD en matière de réformes sont les suivants : «Les politiques du marché du travail des pays d'Afrique du Nord ont créé un marché du travail à double vitesse, caractérisé par des taux de chômage élevés, ainsi que de profondes inégalités entre les travailleurs du secteur formel et ceux du secteur informel, et entre grandes et petites entreprises». Cela est particulièrement vrai pour notre pays si l'on croit les derniers chiffres officiels de l'ONS : 42,4% des personnes occupées ne sont pas déclarées à la Sécurité sociale ; une réalité qui affecte plus durement une population jeune, peu qualifiée et employée dans le secteur privé particulièrement dans les secteurs de l'agriculture, du BTP et des services. «Les politiques publiques adoptées pour atténuer les effets des crises récentes qui ont secoué la région ont aggravé ces inégalités et affaibli les groupes déjà vulnérables». Les données du Fonds monétaire international témoignent du contraire s'agissant de l'Algérie. «Le fossé grandissant entre nantis et démunis, dans un contexte difficile et marqué par une augmentation du coût de la vie, une forte destruction d'emplois et des obstacles de plus en plus infranchissables à la création d'emplois et d'entreprises étaient la principale cause du Printemps arabe». Un risque évité de justesse et au prix de lourds transferts sociaux érigés en acquis tellement enracinés qu'il sera de plus en plus dur à assurer dans notre pays. «A présent, la région d'Afrique du Nord se trouve à la croisée des chemins et doit trouver le juste équilibre entre, d'une part, l'appui au développement du secteur privé et la création de nouveaux emplois et, d'autre part, la protection des emplois et des travailleurs actuels». A. B. (*) A l'exception notable du Conseil national économique et social (il le fait, entre autres, pour le développement humain avec le PNUD), les organismes d'Etat sont peu réactifs aux publications des institutions et organisations internationales, qu'elles soient gouvernementales ou non, relevant de leur domaine d'activité. L'information publique qui est un «bien public» est perçue comme «le bien de personne» et non comme le «bien de tous».