Les éléments d'intervention relevant de la Sûreté nationale qui poursuivaient, hier mercredi, leur mouvement de protestation pour la troisième journée consécutive, structurent leur contestation. Ils appuient, désormais, leur action d'une feuille de route sous forme d'une plateforme de revendications. M. Kebci - Alger (Le Soir) - Un document long d'une vingtaine de revendications, 19 plus exactement, qui est loin de conférer à cette contestation inédite le seul aspect socioprofessionnel comme relevé avec insistance par le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, mardi soir lors de sa visite à Ghardaïa. Du moins à travers quatre de ces préalables à toute reprise par les contestataires de leurs postes de travail et, surtout, de leur priorisation dans l'ordre des points de revendications, qui ne relèvent point du hasard. Car, ces agents de l'ordre public réclament en tout premier lieu le départ de leur premier responsable, le DGSN, le général-major, Abdelghani Hamel de même que celui du directeur des URS et des cadres y travaillant. Et de revendiquer en second lieu un «syndicat autonome» pour la corporation et réclamer un peu plus loin, au point 12 de la plateforme, de «pleines prérogatives à la police lors de l'exercice de ses fonctions pour faire face aux pressions et humiliations subies de la part de responsables de l'Etat et d'hommes d'affaires». Autant dire que ces revendications ont une connotation autre que celle socioprofessionnelle relevée par-ci, par-là puisque largement relevant du domaine strictement politique dont on prend le soin minutieux d'éviter par certains cercles. Ceci a contrario de l'opposition et de nombre de personnalités qui voient en ce soulèvement la «faillite d'un système de gouvernance ayant montré ses limites». Un aspect éminemment politique mis en avant par les protestataires en classant le départ du DGSN et le syndicat autonome aux deux premières «loges» de leurs doléances. Et l'aveu fait plus loin de «pressions» et d'«humiliations» qu'ils subiraient de la part de «responsables de l'Etat» et surtout d'«hommes d'affaires», boucle la boucle puisqu'il est révélateur du niveau de déliquescence atteint par notre système de gouvernance plus que jamais gangrené par l'argent, et pas n'importe quel argent. Cela dit, cette colère des éléments des URS a aussi ses mobiles socioprofessionnels que Tayeb Bélaïz a promis le règlement «graduel» à partir d'hier mercredi. Notamment, l'augmentation de 100% du salaire de base, la revalorisation de toutes les primes et l'instauration d'une prime de spécialisation, des indemnités sur les missions collectives de l'ordre de 1 000 dinars par jour avec réduction de la durée de la mission de 45 à 30 jours, une indemnité de travail durant la période de l'état d'urgence de 1996 à 2011 avec effet rétroactif, accès aux logements sociaux et AADL... Les protestataires revendiquent également la réduction de la durée du service dans le corps de 32 à 20 ans, le règlement de toutes les mensualités des promotions 2010-2011 avec égalité concernant les promotions antérieures et indemnisation de 2010 à ce jour, indemnisation pour tout agent ayant exercé cinq ans dans une URS avec son transfert en dehors, avec revalorisation salariale et exemption de travail au Sud et la réintégration des policiers au nombre de 6 000, radiés des rangs de la police. M. K. Les politiques réagissent En réaction à la crise que connaît le corps de la police, la classe politique réagit. Les avis sont ainsi partagés vis-à-vis de la marche des policiers qui en sont à leur troisième jour de manifestation dans la rue. Faillite institutionnelle, conséquence de la mauvaise gestion du pays, résultat d'une politique défaillante pour l'opposition et simple expression de préoccupations et revendications socioprofessionnelles pour les partis politiques au pouvoir. Moussa Touati, président du FNA (Front national algérien) «Ce problème ne date pas d'aujourd'hui, il remonte à très longtemps. Les policiers sont des fonctionnaires de l'Etat qui assurent la sécurité dans le respect des lois. C'est un corps semi-militaire mais pas soumis au régime militaire. La police a été touchée dans sa dignité. Il faut savoir comment instaurer un Etat de droit. Le pouvoir en place a démissionné de sa mission et s'est chargé de ses problèmes et affaires personnels au lieu d'assurer la stabilité du pays et s'occuper des préoccupations des citoyens. La police a toujours payé les conséquences de cette gestion.» Nouara Djaâfar, chargée de la communication et porte-parole officiel du RND (Rassemblement national démocratique) «Le corps de la police a exprimé ses préoccupations à Ghardaïa et leurs collègues d'Alger ont suivi. Le ministre de l'Intérieur a reçu leurs représentants et a fait preuve d'une grande compréhension quant à leurs préoccupations. Ce corps a besoin d'écoute car il accomplit une mission très difficile. Leur protestation est due à la pression qui caractérise leur travail de policiers. Il faut alors les écouter et répondre à leurs préoccupations afin de faire face à toutes les tentatives qui guettent l'Algérie. Le corps de la police s'est distingué par son engagement durant les années difficiles qu'a vécues notre pays. Il a, d'ailleurs, confirmé son esprit de patriotisme et son dévouement pour une Algérie stable. Une Algérie confrontée à différents défis dans des circonstances régionales particulières et difficiles. Le RND appelle ainsi à la prudence.» Mohamed Douibi, secrétaire général d'El Nahda «La crise au sein de la police n'est que le résultat d'une politique défaillante. Le pouvoir a toujours voulu réprimer toute voix de l'opposition et des partis politiques. Seulement, cette fois-ci, la contestation vient d'un corps constitué utilisé, autrefois, pour réprimer toutes ces voix discordantes. Le système en place ne fait pas une bonne lecture des évènements en Algérie. Cet indice s'ajoute ainsi aux indices précédents quand il s'agissait de réprimer l'opposition et les syndicats autonomes. Le déclic a eu lieu à Ghardaïa, une région qui souffrait depuis de longs mois et où les conditions de travail de la police étaient inadéquates. Aujourd'hui, le pouvoir va certainement accéder aux revendications d'ordre social comme calmants mais le problème est plus profond. Il concerne un système de gouvernance incapable de gérer le pays.» Mazouz Athmane, secrétaire national chargé de la communication au RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) «Nous sommes devant un fait inédit qui renseigne sur une faillite institutionnelle à tous les niveaux. Cette situation vient nous rappeler le profond malaise qui touche un corps de sécurité souvent instrumentalisé par le pouvoir politique pour réprimer des citoyens, afin de garantir la pérennité d'un système rejeté par les Algériens. Si la protestation d'un corps de sécurité régi par un règlement paramilitaire a pris une telle ampleur, ceci est un signe qui annonce de sérieux bouleversements dans le pays. Les problèmes des policiers doivent être pris en charge surtout qu'ils portent sur des revendications légitimes. Mais au-delà de cette situation inédite, le pouvoir doit comprendre qu'il mène le pays vers le chaos et que les Algériens ne peuvent rester éternellement sous le règne de l'illégitimité.» Propos recueillis par Rym Nasri Zinedine Tebbal : chargé de communication au Mouvement pour la société la paix (MSP) : «La marche organisée par les policiers et le fait qu'ils ont laissé leurs postes à Ghardaïa et à Alger est un indice très grave de la situation que traverse le pays. Pourquoi on a laissé la situation s'envenimer à ce point ? Cette situation est le résultat de l'absence du pouvoir et du Président. Ces policiers ont certainement des revendications socioprofessionnelles mais pas au point de sortir dans la rue, surtout lorsqu'il s'agit d'un corps constitué où il faudrait plutôt dialoguer pour résoudre les problèmes. Cela démontre qu'il y a une crise même au sein des corps constitués et il faudrait faire une enquête sur la gestion de ces corps constitués et réfléchir à ce qu'ils soient représentés par un syndicat pour défendre leurs droits. Le gouvernement a encore une fois joué au pompier, en étouffant cette crise, en donnant l'impression d'avoir réglé le problème et répondu aux revendications, au lieu de trouver des solutions profondes. Nous avons assisté à plusieurs manifestations dans le pays, cela prouve qu'il y a absence de dialogue social et politique mais on a utilisé l'outil sécuritaire comme réponse. Aujourd'hui le corps de la police aussi en a ras-le-bol.» Saïd Bouhadja, chargé de communication au Front de libération nationale (FLN) : «Ce qui s'est passé hier ne veut pas dire qu'il y a une crise au sein du corps de la police. Ils travaillent dans des conditions défavorables, ils ont des revendications comme tout le monde et c'est de leur droit de demander de meilleures conditions de travail. Ils sont désarmés et impuissants devant la violence à laquelle ils font face, notamment à Berriane dans la wilaya de Ghardaïa. Ces policiers qui sont sortis dans la rue sont ceux qui devaient remplacer leurs collègues à Ghardaïa et ils sont sortis demander de meilleures conditions, c'est tout.» Abdelaziz Belaïd, secrétaire général du Front El Moustakbal : «Le corps de la police est une structure comme toutes les autres structures, il y a un malaise et c'est de leur droit de demander à ce que leurs revendications soient prises en charge. Tous les secteurs ont des problèmes et le débat doit être social, en dehors de toute manipulation. Il faut qu'il y ait un dialogue entre les pouvoirs publics et les représentants des policiers.» Sofiane Djilali, président de Djil Djadid : «Les policiers sont des citoyens comme les autres, ayant des problèmes comme les autres et ils se sont rendu compte qu'ils sont en train de défendre un gouvernement illégitime, au lieu de défendre un Etat de droit. Dans un Etat de droit, il y aurait eu des démissions mais».