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BADR'EDDINE MILI AU SUJET DE SON OUVRAGE LES PRESIDENTS ALGERIENS A L'EPREUVE DU POUVOIR :
«Pendant 52 ans l'Algérie a été gouvernée par des hommes providentiels»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 11 - 2014

Le Soir d'Algérie : On attendait le dernier volet de votre trilogie littéraire, vous nous surprenez avec un essai politique. Pourquoi un tel choix et à un tel moment ?
Badr'Eddine Mili : Il y a un temps pour tout. Un temps pour la littérature et un temps pour la réflexion politique. Les Abysses de la passion maudite, l'ultime partie de la trilogie entamée par La Brèche et Le Rempart est en voie d'achèvement. Elle sera, probablement, éditée début 2015. J'ai décidé de marquer une pause dans le travail littéraire pour me consacrer à l'analyse de ce qui constitue, aujourd'hui, la préoccupation essentielle des Algériens, à savoir l'avenir de l'Etat national. Le nouveau titre que Rédha Malek préface et que Casbah-Editions publie dans sa collection «Essais» couronne, au demeurant, un cycle de contributions au débat citoyen que j'ai commencé en 2011 dans la presse nationale et, en particulier, sur les colonnes de votre journal.
Les présidents algériens à l'épreuve du pouvoir apparaît, à la lecture, comporter deux ouvrages : l'un s'employant à décrypter la relation de l'Etat avec les idéologies, et l'autre le rapport des hommes avec le pouvoir. Quel sens donner à cette démarche ?
J'ai , en effet, structuré mon texte en deux parties intitulées, respectivement, «De l'Etat et des idéologies» et «Du Pouvoir et des hommes». Dans la première, j'ai tenté d'expliquer la problématique que la survie de l'Etat national nous pose, ici même, à la lumière des expériences du passé, des concurrences sociales et des chocs idéologiques, politiques et économiques qui ont jalonné ces dernières années l'actualité de notre pays, de notre région et du monde.
Dans la seconde, j'ai dressé un état des lieux de la maison Algérie à partir de l'analyse contextualisée des mandats des sept présidents qui se sont relayés à la tête de la République de 1962 à 2014 et qui se sont retrouvés à façonner, en bien ou en mal, l'image de l'Algérie, chacun évoluant dans un système de pouvoir, une société et une configuration internationale particulières. Cette démarche m'a conduit, à son issue, à suggérer des pistes de nature à aider à identifier les possibles perspectives sur lesquelles l'Etat que le peuple algérien a bâti, au prix de sacrifices incommensurables, pourrait s'ouvrir afin de se faire prolonger par un Etat de droit et fonder, enfin, la fameuse République démocratique et sociale retenue par les pères fondateurs de la Révolution de Novembre.
Ce serait le dessein de la dernière chance pour sauver l'acquis de l'indépendance et réaliser celui du projet de société attendu par le peuple de Novembre.
Une telle évolution viendrait confirmer que la nation algérienne ne s'était pas battue, uniquement, pour récupérer un territoire et rétablir une souveraineté, mais, également, pour œuvrer à l'avènement d'un régime de libertés à la hauteur des aspirations des citoyens algériens à partager les pouvoirs de délibération et de décision à tous les niveaux.
Pour traiter d'un dossier aussi complexe et aussi sensible, je m'en suis tenu à l'exercice d'une objectivité et d'une rigueur intellectuelle sans failles, les rares qualités qui trouvent, encore, un écho au sein de notre société. C'est pourquoi les appréciations que j'ai été amené à formuler aussi bien sur les événements abordés que sur les acteurs concernés n'ont émargé ni au registre de la satisfaction inconditionnelle ni à celui de la mise en cause inquisitoriale.
Vous faites remonter les origines de l'Etat national à l'Emir Abdelkader alors que certains analystes l'attribuent à Kheireddine Barberousse. Où réside la vérité historique sur un point aussi nodal ?
Je ne suis, évidemment, pas un historien, ni de formation ni de vocation. Mais m'appuyant sur des études historiques crédibles du point de vue scientifique, je suis à l'aise pour avancer que même si les Algériens et les Turcs partageaient une religion commune il n'en demeurait pas moins vrai que le contenu socioéconomique et politique de la présence ottomane en Algérie était, indubitablement, d'essence coloniale.
Le mode et les rapports de production introduits dans l'économie algérienne, la nature et l'origine du pouvoir via l'encadrement administratif et militaire, le renouvellement cyclique du personnel dirigeant fourni par la Sublime Porte inclinent à qualifier la Régence installée en Algérie de fait colonial même si celle-ci n'avait pas initié une colonisation de peuplement et avait, finalement, pris ses distances avec un empire au secours duquel elle ne s'empêcha pas, toutefois, de se porter, au risque d'essuyer, à la bataille de Navarin, une défaite aux conséquences incalculables sur l'avenir de notre pays.
Mahfoud Keddache avait étayé cette thèse, de façon convaincante, au cours du débat qui l'opposa à Mouloud Kacem Naït Belkacem qui soutenait le contraire, présentant l'Etat d'origine ottomane comme le premier Etat algérien moderne, ce que Bachir Hadj Ali avait, déjà, récusé, dès 1964. En vérité, les hommes politiques algériens de l'époque avait besoin de justifications para-historiques qui leur permettaient de déconstruire l'argumentaire des Français qui présentaient leur invasion de l'Algérie comme l'occupation «légitime» d'une terre qui «n'appartenait à personne», prétendant prendre, directement, la relève de l'Empire romain, selon les thèses connues de l'historien-déologue Louis Bertrand.
Est-ce à dire que l'Etat n'apparut en Algérie qu'au XIXe siècle ?
Naturellement non ! L'Etat en Algérie est presque aussi vieux que le temps. Avec une mode de production communautaire, une structure sociale tribale et un pouvoir tirant sa force de l'armée, l'Etat algérien existait, au moins, depuis Massinissa et avait fait face à de nombreuses conquêtes étrangères qu'il combattit par tous les moyens jusqu'à ce que l'Emir Abdelkader prit, après la fuite du dey Hussein, l'initiative de mobiliser les tribus du pays contre l'agression coloniale française, sous la bannière du premier Etat national de l'histoire notre pays et de celle du Maghreb.
Ce fut de cet Etat que l'Algérie indépendante hérita en 1962, la doctrine constitutionaliste officielle proclamant qu'après une éclipse de 132 ans, la Révolution a renoué, historiquement, avec lui, et l'a enrichi par les acquis institutionnels forgés durant les sept années de lutte armée, le moyen de droit irrécusable fondant sa légitimation. A la différence près que cet Etat fut un Etat républicain et non monarchique, établi à l'intérieur de frontières inédites défendues, de manière intraitable par la délégation du FLN aux négociations d'Evian. Houari Boumediène se dépêcha, dès son accession au pouvoir, après l'intermède populiste du Président Ahmed Ben Bella, de le signifier en commençant par rapatrier les cendres de l'Emir – un symbole très fort – puis de s'atteler à construire un Etat qui «survive aux événements et aux hommes», une façon de laisser entendre que le véritable bâtisseur de l'Etat national moderne ce serait lui.
Et de fait, l'édification, à marches forcées, de l'Etat avec tous les attributs dont il se dota, c'est à dire, une administration omniprésente, une armée puissante, une économie dirigée et une diplomatie conquérante, commença sous son mandat. Le processus, ainsi engagé, s'opéra, néanmoins, dans un climat de despotisme avéré et assumé, à l'opposé de toutes les projections faites par la Proclamation du 1er Novembre et la plate-forme de la Soummam.
La République sociale et démocratique, mise entre parenthèses, pouvait attendre, de la même façon que le rêve de Ferhat Abbas d'instaurer un régime d'inspiration libérale, à la faveur d'un retour, espéré, au multipartisme d'avant la Révolution, se dissipa sine die.
Pourquoi «le sauvetage» de l'Etat national par sa transformation en Etat de droit doit-il être considéré, ainsi que vous le soulignez, comme une priorité absolue ?
Tout simplement parce qu'il s'agit de préserver, d'abord, l'intégrité du territoire, l'unité du peuple et la cohésion de la société de toute agression ou de toute tentative de déstabilisation qui seraient rendues possibles par des ruptures sociopolitiques, en l'absence de réformes courageuses du mode de gouvernance.
Le refus de donner à ces réformes un contenu en adéquation avec la demande sociale par vanité, orgueil ou intérêt étroit ouvrirait, en effet , les portes sur l'inconnu. Et puis, plus généralement, la marche du peuple algérien vers un meilleur destin et un progrès qualitatif de son organisation est arrivée à maturité et cherche à trouver l'exutoire par lequel elle s'accomplirait en toute légitimité. Aussi, il serait temps que le pouvoir actuel, dans ses composantes aussi bien civiles que militaires, accepte de hâter, dans l'ordre, la concertation et la paix civile, la mue démocratique de l'Etat en installant, en intelligence avec les forces de progrès, les mécanismes institutionnels appropriés pour assurer l'association des citoyens au gouvernement du pays. Cette approche décentralisatrice et participative gagnerait à inclure toutes les forces représentatives et, notamment, les élites du pays, longtemps tenues à l'écart.
Le sauvetage de l'Etat républicain de l'effondrement auquel il était programmé par l'islamisme armé n'a, apparemment, pas été mis à profit pour accélérer la cadence des mutations annoncées et restées lettre morte. Le rétablissement de la paix n'a pas mis fin aux contradictions que la société continue de charrier depuis la décennie noire, faute d'une ligne de direction idéologique et politique claire.
C'est pourquoi l'Algérie d'aujourd'hui se présente comme un pays qui évolue à deux vitesses et en rangs dispersés, d'inégale valeur. A côté des forces de progrès qui œuvrent à trouver des solutions alternatives avancées, en rapport avec les exigences du monde moderne, un monde confronté à la globalisation d'une planète bientôt peuplée de 10 milliards d'habitants, d'autres formatées par les excès d'une religiosité et d'une culture traditionnelle grégaire persistent à tirer le pays vers le bas. C'est la rançon que la société paye au manque d'audace par lequel la direction politique du pays s'est distinguée dans l'exécution des réformes de l'Etat, de l'économie, de l'école et de la justice qu'elle a, pourtant, elle-même, promises dès 1988 et qu'elle a remisées dans ses tiroirs, à chaque accalmie du front social.
Dans une situation de blocage persistante, l'Etat national algérien peut-il être victime du même syndrome qui a frappé ses homologues en Irak, en Egypte et en Syrie ?
Les événements qui ont ébranlé le monde arabe ont montré que ce sont les Etats- Nations qui ont été visés, en premier, parce qu'ils constituaient, en dépit des insuffisances de leur gouvernance, un rempart qui faisait obstacle au remodelage de la carte géopolitique du Moyen-Orient et du Maghreb par les puissances occidentales, au profit d'Israël.
Il est prouvé, aujourd'hui, que la chute ou l'affaiblissement de ces Etats sont à chercher dans le déficit de libertés et de respect de droits humains que leurs directions ont, longtemps, refusé de reconnaître à leurs peuples, par égoïsme de classe. Les révoltes dites du «printemps arabe» étaient bien parties pour abattre les dictatures mais, récupérées et déviées de leur trajectoire, elles ne firent illusion que le temps de découvrir, bien tard, qu'elles avaient fini par n'avoir ni tête ni perspective historique, dans la mesure ou comme en Europe occidentale, en 1968, elles regroupaient un faisceau disparate de forces animées par les couches supérieures de la petite bourgeoisie détachées de la grande masse de la population, donc sans influence sur le cours d'événements qui leur échappaient de fait et qui n'ont, du reste, pas encore livré tous leurs secrets. Une telle réplique n'a pas de chance de se réaliser, à l'identique, en Algérie parce que, pour le moment, et malgré une fragilisation de la cohésion sociale mise à mal par la corruption et l'écart grandissant des inégalités entre les riches et les pauvres, les autorités disposent encore du volant de manœuvre nécessaire pour éteindre d'éventuels incendies du genre.
Il ne faut pas, cependant, qu'elles se satisfassent des effets de l'arrosage financier dont elles gratifient les corps qui les servent. La meilleure façon d'éviter des retours de boomerang imprévisibles serait de prendre langue avec les forces réelles du pays, celles qui tirent vers le haut et d'écouter, avec un esprit ouvert, leurs propositions sur l'avenir institutionnel et socioéconomique du pays.
Certains politiciens estiment que l'Algérie n'est pas encore prête pour entrer de plain-pied dans un processus de changement démocratique et que le chemin qui y mène est parsemé d'innombrables obstacles d'autant que, argumentent-ils, la démocratie représentative est, partout, en crise. Croyez-vous que cette involution pourrait produire, chez nous, un effet repoussoir ?
Ma réponse ne souffrira d'aucune équivoque. Quelles que soient les difficultés dont le déclenchement d'un tel processus pourrait s'accompagner, la démocratie se présente, aujourd'hui, en Algérie comme le seul horizon de l'Etat national. La Tunisie vient d'en administrer la preuve de façon éclatante et incontestable. Ce serait, cependant, mentir à nous-mêmes que de vouloir persuader la société que la démocratie est toute la solution, la seule capable de venir à bout de ses maux. Vous avez raison de relever que la démocratie est en crise, surtout, dans les pays qui l'ont vu naître. Son étoile est en train de pâlir parce qu'elle a été privatisée par le capitalisme, dévitalisée par la mondialisation et le supra-nationalisme et que sa fonction traditionnelle de régulation a été vidée de sa substance, au détriment des intérêts de la majorité des catégories sociales qu'elle est censée représenter et défendre.
Les philosophes et les politiques en perdent leur latin, submergés par la vague de l'ultra-conservatisme – né de la crise – qui voit s'ouvrir devant ses thèses les boulevards béants de l'exclusion de l'Autre, l'éternel bouc émissaire des temps difficiles. Certes, des frémissements se font jour, ici et là. Les théoriciens de la nouvelle société du coût marginal zéro, prédisent, pour le milieu du siècle, la fin du capitalisme et l'avènement de l'économie de partage ainsi que le défend Jérémy Rifkin quand d'autres, comme Alain Badiou, parient sur «l'apparition d'une idée générale militante plus puissante qui ferait pièce à la propriété privée et constituerait un point d'appui stratégique» apte à annihiler la propension hégémonique des intérêts privés à accaparer l'intérêt général. Vous voyez que le débat est plus sophistiqué que celui qui se déroule en Algérie. Mais même si nous ne possédons pas, encore, les réseaux développés et ramifiés de la science, de l'intelligence, de la technologie, de l'économie et de l'organisation des sociétés avancées et même si les nivaux de développement comparés sont par trop inégaux – hormis le matelas des réserves de change dont on ne sait pas, toujours, quoi faire ? – l'idée du changement démocratique est, plus que jamais, à l'ordre du jour. Il convient, néanmoins, de rester circonspect et réaliste. Le changement ne se décide pas comme si on devait l'octroyer comme une mesure de grâce. Il ne dépend pas, non plus, du bon vouloir d'un leader ou d'un groupe de leaders ou d'arrangements conclus à huis clos. Non, le changement ne peut être que la résultante de la conjugaison d'une volonté générale et de déterminismes sociopolitiques et économiques qui prennent leur source dans les concurrences multiformes entre groupes d'intérêts d'envergure, et ce, indépendamment des sentiments et des postures subjectives de simples individus. Le capitalisme d'Etat, le capitalisme privé informel et le capitalisme privé légal constituent les trois pièces maîtresses de la constellation du pouvoir réel dans notre pays. Ces groupes dominent, depuis les années 1980, la scène publique des concurrences et se disputent, ouvertement, le leadership du pouvoir d'Etat, en l'absence des classes moyennes, des classes populaires et des élites intellectuelles aphones, démunies de cadres d'action partisans.
Les contradictions vont en s'aiguisant, de plus en plus, entre ces forces qui ne sont pas sans entretenir, pour certaines d'entre elles , des relations extra-nationales avec leurs homologues étrangères, alimentant un lobbying souterrain très actif pouvant, même, peser sur certaines décisions stratégiques. Toutefois, la force qui apparaît tenir, pour le moment, le timon du gouvernement est la bourgeoisie d'Etat dans la stratégie de laquelle plusieurs pans de la société se reconnaissent, par intérêt lucratif immédiat. L'affairisme informel et la capitainerie d'industrie sont ses principaux rivaux.
La question qui se pose, à ce stade, est de savoir sur quelle issue la course entre ces différents groupes va déboucher, et quel va être son impact sur le devenir de la société ?
Les offres de dialogue qui se multiplient ces derniers mois émanant aussi bien du pouvoir que de la CNLTD et du FFS vous paraissent-elles traduire les concurrences réelles dont vous parlez ou bien s'inscriraient-elles dans un simple registre politicien voué à l'échec ?
Ainsi que je l'ai déjà dit, le déclenchement du processus en question ne relève pas de la seule volonté de quelques hommes ou groupe d'hommes. La négociation autour d'une approche et d'une conception consensuelles du changement portant sur le contenu, les procédures, les moyens et l'échéancier prendra du temps et cela se fera, dans un des cas de figures probables, de telles façon que le pouvoir n'apparaisse pas comme ayant concédé une transition, lui qui est attaché au principe de la continuité de l'Etat. Il va, sans doute, séquencer sa démarche, en tâchant d'avoir toutes les cartes en main et en ayant un œil vigilant sur les rapports de force qui l'opposent à ses adversaires.
La piste privilégiée serait, dans les conditions actuelles, que les protagonistes en présence donnent forme à un pacte qui améliorerait le compromis politique historique de 1962. Ce pacte à l'idée de fond duquel le FFS semble s'être rallié ressemblerait, dans le principe, à celui passé entre les différentes composantes du mouvement national qui acceptèrent, en 1956, de se fondre dans le FLN pour défendre l'idée de l'indépendance, quitte à retrouver leur liberté, une fois l'objectif atteint. Le projet actuel semble tendre à réunir autour de la question du passage de l'Etat national autoritaire à un Etat national de droit, toutes les forces politiques qui comptent sur la scène. Gageure ou pas, l'initiative du FFS qui n'est pas le fruit d'un hasard traduirait le souhait de son président d'honneur, Aït Ahmed, le seul survivant de la direction du PPA-MTLD, qui aurait à cœur, au crépuscule de sa vie, de donner un contenu concret à son vieux projet démocratique.
Quel Algérien patriote n'applaudirait pas à ce type d'initiative, à la condition qu'elle soit conforme à la réalité du terrain et qu'elle prenne en considération le fait que l'Algérie de 2014 n'est plus celle de 1954 ou de 1962 ? Si tel n'était pas le cas, ce genre d'initiatives risquerait de ne déboucher que sur un arrangement, autrement dit un replâtrage de l'ancien compromis, lequel portait sur le partage de la rente.
Vous dites dans votre essai que le Président Abdelaziz Bouteflika est le dernier homme providentiel de l'Algérie et qu'après lui, l'Etat sera dirigé de façon collégiale, sur la base d'une architecture institutionnelle où prévaudront la suprématie du droit et la séparation des pouvoirs. Comment, selon vous, cela s'effectuera-t-il concrètement ?
Pendant 52 ans, l'Algérie, à l'instar des pays du Sud, a été gouvernée par des hommes providentiels détenant tous les pouvoirs de décision dans un Etat voué à jouer le rôle de distributeur de ressources, souvent, selon des règles non codifiées, ce qui a provoqué des crises majeures, aussi bien dans la sphère dirigeante mettant aux prises des courants antagonistes que dans la société, elle-même, éreintée par les expériences du socialisme spécifique, du capitalisme d'Etat et du libéralisme sauvage, décidées en vase clos, sans concertation.
Tant que cette société était uniforme, le système, verrouillé par des hommes forts issus, généralement du sérail militaire, jouait sur du velours. Mais dès lors que celle-ci commença à se différencier, les choses se présentèrent sous un jour nouveau la poussant à revendiquer la liberté d'organisation partisane et syndicale et à contester l'autoritarisme et la représentativité des directions politiques. L'Etat ne pouvait plus continuer à fonctionner de la même façon qu'à l'époque de la guerre froide. Soumis aux fortes pressions des événements intérieurs et extérieurs, il fut condamné à élargir sa base et à concéder des réformes tout en essayant de gagner du temps pour préserver le plus clair des gros intérêts des classes dominantes. En apparence, seulement, car les réformes n'ont pas dépassé le stade des déclarations d'intention.
Dans la forme, le ton a changé mais, au niveau de l'action, tout reste en plan, pratiquement gelé. Rien ne bouge parce que, tant au sommet de l'Etat qu'au sein de la société, il subsiste d'énormes blocages qui freinent la dynamique du changement. Le sommet sait qu'il joue son va- tout et craint de perdre beaucoup.
La société inorganisée, l'opposition divisée, traînant sa longue participation au gouvernement, n'arrivent pas à se mobiliser. Qu'est-ce qui débloquera cette situation ? Certains en appellent à l'armée pour arbitrer la négociation du virage, estimant qu'elle est une partie de la solution. Sans doute ; encore faut-il qu'elle se résolve à accepter de jouer ce rôle. Pour le moment, elle dit s'en tenir à ses prérogatives constitutionnelles liées à la défense du territoire national. Pour toutes ces raisons, la mise en train du changement prendra beaucoup de temps. Plus fondamentalement, la grande partie de la solution ne saurait provenir que du travail que les Algériens devront faire sur eux-mêmes pour se libérer de l'immobilisme.
Ils doivent conquérir des positions influentes sur les créneaux de l'organisation et de la compétence, dans le même temps où ils doivent se débarrasser du carcan des vieilles mentalités et des recettes démagogiques qui les abusent. Lorsque toutes les parties prenantes se résoudront à codifier les conditions d'élection, de nomination et de promotion des responsables de l'Etat à tous les niveaux, sur la base de critères rigoureux, acceptés par tous, dans la transparence et le respect, loin de toute transgression familiale, tribale, clanique ou régionale, un grand pas sera franchi par les Algériens vers plus de justice et de liberté. La démocratie commence, aussi, par là.
Pourquoi avez-vous choisi de faire préfacer votre ouvrage par Rédha Malek ?
Je nourris une grande considération à l'égard de cet intellectuel révolutionnaire exemplaire qui a tutoyé l'Histoire en 1962 puis en 1992. A Evian il s'était battu avec ses compagnons, pied à pied, contre la délégation française pour préserver l'intégrité du territoire national et l'unité du peuple. Dans les années difficiles, il œuvra à sauvegarder les fondements de l'Etat national républicain. A ce titre, il mérite tous les égards et toute la reconnaissance qui lui sont dus. Il laissera, dans le livre d'or de la Nation, l'empreinte indélébile du leader de l'aile éclairée de la Révolution qui a su, toujours, choisir la voie la plus juste pour réaliser les objectifs les plus nobles du peuple. Ce fut, pour moi, un honneur que d'avoir obtenu qu'il consacre un peu de son temps, malgré ses multiples obligations, à introduire mon ouvrage. Qu'il en soit, ici, vivement et publiquement remercié.
N. H.
Qui est Badr'Eddine Mili ?
«Né à Constantine, Badr'Eddine Mili fit partie de la première promotion de l'université de l'Algérie indépendante où il reçut une formation en sciences politiques, en droit et en sociologie. Membre de la direction de l'UNEA historique d'Alger en 1964 et conseiller au secrétariat général de l'UGTA en 1966, il exerce de 1967 à 1999 plusieurs fonctions au sein des médias et des institutions de l'Etat, notamment, en qualité de directeur général de l'APS, de directeur central au ministère de la Communication et de la Culture et de chargé de mission à la présidence de la République sous le mandat du Président Zeroual. Il est l'auteur d'une trilogie littéraire dont le premier volet la Brèche et le Rempart fut adapté à la télévision en 2013, sous le titre le Dernier Hiver.


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