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Professeur Omar AKTOUF :
«L'économie algérienne fonctionne à l'improvisation»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 15 - 05 - 2014

A 70 ans, on ne peut pas dire que cet intellectuel algérien installé au Canada — «on m'a poussé hors du pays»— mâche ses mots quand il s'agit de décoder le management à l'américaine, le néolibéralisme dans sa phase financière et son hégémonie mondiale. Elégant dans son costume clair demi-saison — sans cravate —, le verbe concis et précis dénué de passion stérile, le professeur Omar Aktouf nous convie à le suivre (ce n'est pas de tout repos !) dans les méandres de sa thèse sur la post-mondialisation, le management et la rationalité économique ficelée dans une édition renouvelée de La stratégie de l'autruche paru en 2002 qui prévoyait entre autres la crise financière de 2008 avec le scandale des subprimes. Dans ce nouveau monde dominé par la finance, il peut paraître comme un épouvantail, au pire un agitateur subversif pour les lobbies d'argent. Bien sûr, les conclusions de ses recherches ne lui valent pas uniquement des ennemis, cela on le comprend aisément, mais aussi la reconnaissance d'observateurs crédibles comme l'ancien directeur général de l'Unesco, l'Espagnol Federico Mayor Zaragoza qui a préfacé son livre. Il dit à ce propos : «Nous avions besoin d'un tel travail qui nous fait saisir les raisons et conséquences de ce qu'on peut très justement dénommer – et les événements et scandale récents ne font que le confirmer — «une grave dérive de type business economics et étroitement financière de la noble et vénérable science économique.» Omar Aktouf sillonne la planète pour prêcher «sa» bonne parole. Entretien.
Le Soir d'Algérie : Depuis l'abandon de l'option socialiste, la mode est au libéralisme et aux lois du marché. Cet état d'esprit domine dans les investissements — publics ou privés au demeurant. Et pour mieux cristalliser cette approche, de plus en plus d'écoles supérieures et d'instituts de hautes études en management s'ouvrent. Cela ne va-t-il pas à l'encontre de vos mises en garde quant aux dangers de l'entrepreneuriat à l'américaine ?
Omar Aktouf : Dès l'indépendance, on a parlé de socialisme populaire, du moins dans le discours, suivi d'une période d'improvisation pour basculer ensuite dans le néolibéralisme sans avoir vraiment le choix.
Ce néolibéralisme n'est pas le libéralisme au sens anglophone qui est de la social-démocratie, c'est une usurpation linguistique. Sous le couvert de néolibéralisme, c'est l'ultralibéralisme qui fonctionne réellement, c'est-à-dire le «laisser-faire absolu et le marché va tout régler».
Cela s'est imposé avec la mondialisation, le FMI et les mesures d'ajustements structurels, la Banque mondiale et le consensus de Washington qui impose à tout pays demandant une aide financière ou d'entrer à l'OMC d'adopter les règles néolibérales.
L'économie de marché après l'abandon du dirigisme d'Etat était-elle inévitable ?
Non pas du tout, mais c'est un choix imposé aux pays nouvellement indépendants, au tiers-monde, à l'Afrique, etc.
Le capitalisme néolibéral a été présenté à la planète comme l'unique option. Et comme disait Margaret Thatcher : «There is no alternative.» C'est faux, car on peut rétorquer qu'il y en a au mois une demi-douzaine. Avec ce néolibéralisme, il y a problème car l'entrepreneur est supposé vivre du profit de ce qu'il produit, ce qu'il met sur le marché. Or, de plus en plus, les entrepreneurs du néolibéralisme sont devenus des rentiers, dès lors qu'ils font la première accumulation du capital. En Algérie, on ne sait pas comment s'est faite cette accumulation : héritage familial ? Indemnisations de la période du socialisme ? Peu importe. Très vite ce capitalisme se transforme en placements financiers et ses détenteurs vivent ainsi sur la rente et ne sont donc plus des entrepreneurships. De ce fait l'économie glisse très vite dans une situation où le taux de la rente dépasse le taux de biens et services qu'ils donnent à la société et les transforment en leviers de rente.
Il y a là un déséquilibre, c'est le cas pour IBM, General Motors, Chrysler, Peugeot et j'en passe, qui ont connu des phases de déchéance parce que ces entreprises se sont transformées en holdings financiers. Ce capitalisme devient rentier et provoque, par voie de conséquence, un enrichissement exponentiel des riches et un appauvrissement exponentiel des pauvres. Car pour être rentier cela se fait sur la réduction des salaires et celle de la qualité des services et des biens mis sur le marché.
Vous en faites la démonstration dans Halte au gâchis. En finir avec l'économie-management à l'américaine. J'aimerai vous interpeler sur cette réalité au plan interne, c'est-à-dire l'Algérie. Le privé était victime d'ostracisme, situation qui va changer avec Chadli et l'ouverture du moins au niveau du discours. A-t-il répondu à ce qui était attendu de lui ou bien, par une sorte de perversion, se retrouve-t-il à profiter de la rente pétrolière ?
C'est là une énorme contradiction. On dit au privé allez-y puisque le «socialisme» n'a pas marché on va faire comme les Américains, les Français dans l'idée qu'il va dynamiser l'économie. Mais il y a plusieurs problèmes avec le privé : est-il soumis à un certain nombre de règles soit spontanées comme aux Etats-Unis, au Canada, en Angleterre soit imposées par des instances étatiques fortes de leur droit comme c'est le cas en Allemagne, en Scandinavie, au Japon ? Nous ne sommes quant à nous ni dans le premier cas ni dans l'autre. Le privé chez nous ne peut se prévaloir d'aucune tradition spontanée, c'est-à-dire une certaine morale en matière de retenue dans l'enrichissement, le respect des travailleurs, de la nature et du consommateur. Il n'est pas soumis aussi à une régulation imposée où les politiques économiques sont inscrites dans la Constitution comme en Allemagne qu'on appelle la cogestion. Les Japonais et les Scandinaves ont copié ce modèle.
Ainsi le syndicat n'est pas vu comme un ennemi du capital et le client n'est pas une proie à exploiter avec des profits maximum. Le client est un citoyen à satisfaire et à éduquer...
Peut-on imaginer un modèle de réussite en Algérie qui s'inspirerait d'autres modèles qui marchent ailleurs ?
Non, toute activité qui n'est pas soumise à une régulation spontanée ou imposée devient anarchique. J'ai l'impression que pour ce faire vous partez de l'a-priori d'un Etat de droit fort, une morale et un fonctionnement transparent capables d'imposer les règles que vous évoquez. Est-ce le cas chez nous ? Non, absolument pas. C'est pour cela que nous n'avons pas de régulation imposée.
Dans quelle mesure votre thèse peut- elle fonctionner chez nous ?
Tout d'abord une des conséquences de cet entrepreneurship, privé, anarchique, livré à lui-même, est qu'il devient extraverti, sans limites ou sans scrupules. Les entreprises algériennes sont celles qui traitent les moins bien statistiquement leurs employés, l'environnement. 65% d'entre elles payent moins que le SNMG fixé à 18 000 DA, 60% les font travailler 12 heures par jour...
Cela interpelle l'Etat par rapport aux lois promulguées et qui ne sont pas appliquées.
Parce qu'il n'a pas les moyens de les appliquer. On ne sait rien des entreprises qui ne payent pas d'impôts, de l'évasion fiscale. Dans notre cas, pays de la périphérie, du tiers-monde et ex-colonie, le privé, livré à lui-même, devient extraverti et l'argent qu'il fait va systématiquement à l'extérieur du pays pour l'achat de produits semi-finis dont il a besoin parce que les PMI et PME qui font le tampon n'existent pas et pour les dépenses somptuaires, de loisirs, achats de villas à Barcelone, à Paris, à Londres ou dépenser son argent au Ritz, à Nice, etc. L'argent qu'il gagne ne sert pas à la formation d'une main-d'œuvre locale car cela fait des frais. Moins il qualifie plus il fait de profit. Il compte sur l'Etat qui assure la gratuité de l'éducation, les livres... Le privé ne profite donc pas au peuple ni à la nation mais à l'ex-puissance coloniale devenant ainsi un prédateur... Bien sûr mon propos ne concerne pas les personnes.
Mais l'Etat régulateur que vous mettez en avant dans tout ça ?
C'est clair qu'il n'y a pas eu d'Etat. Sous Boumediene il n'y n'avait pas d'institutions. Avec la charte nationale et la Constitution, l'Etat est devenu une sorte de succursale du FLN. Il n'y a jamais eu d'Etat de droit intègre mais plus un équilibre entre clans...
Comment qualifierez-vous aujourd'hui l'économie algérienne ?
C'est une économie aléatoire qui fonctionne à l'improvisation. Capitaliste ? Non parce qu'elle est basée sur la rente. Ce n'est pas du capitalisme financier en l'absence d'une Bourse active...
Le FMI qui impose des règles strictes dans la gestion d'un pays attribue des bons points à l'état de santé de l'économie algérienne ? Est-ce de la complaisance ?
Le FMI, tout comme la Banque mondiale, est complaisant avec tous les pays du tiers-monde à l'exception de l'OMC qui travaille pour les pays riches. C'est la grande bataille entre les Etat-Unis, le Canada et l'Europe à propos des subventions qu'ils interdisent par le biais de l'OMC, notamment dans l'agriculture. Mais cela n'empêche pas ces mêmes pays de le faire chez eux.
FMI et Banque mondiale ont été créés avec les accords de Brettons Woods en 1944 pour organiser le monde par le commerce et non par la guerre. Le FMI et la Banque mondiale ont été chargés d'éradiquer la pauvreté pour permettre aux pays pauvres d'entrer dans le commerce mondial et donc d'enrichir les pays riches.
On leur donne de l'argent pour qu'ils puissent acheter leurs produits et s'assurer que tout le monde joue le même jeu économique. Le Consensus de Washington était d'imposer aux pays du tiers-monde un fonctionnement tel que les multinationales notamment des Etats-Unis puissent profiter largement des marchés mondiaux. C'est les fameux ajustements structurels du FMI : réduire la taille de l'Etat et donc sa capacité à faire face aux multinationales qui sont plus fortes que la plupart de nos Etats. Deuxième exigence, la privatisation. Quand on privatise en Algérie, en Tunisie ou au Maroc l'électricité, l'eau, les transports il n'y a aucune personne physique qui a suffisamment accumulé d'argent pour prétendre à leur acquisition. Qui va acheter ? C'est Westing House, ITT, Electronica, ça veut dire les multinationales à des prix bradés et qui font donc faire main-basse sur les grands secteurs de l'économie d'un pays. On l'a vu en Indonésie, en Ethiopie, etc. Le FMI fait semblant d'imposer des règles strictes au fonctionnement des économies, il est extrêmement laxiste sur le comportement des opérateurs économiques nationaux et étrangers. J'ai toujours enseigné à mes étudiants que lorsque le FMI donne des bons points à un pays c'est que ce dernier est dans la catastrophe. A l'inverse, s'il critique un pays c'est qu'il va plutôt bien. C'est le cas de la Malaisie critiquée en 1965 quand ce pays a amorcé son décollage.
Vous dénoncez le système économique et managérial mondial dominant de type américain en mettant le doigt sur les dangers et les risques, mais pour quelle alternative ?
C'est la grande question. Fort justement c'est l'une des motivations de La stratégie de l'autruche. Post-mondialisation, management et rationalité économique*. Halte au gâchis vient le compléter. Quand j'ai émigré au Canada parce que l'on m'a poussé hors d'Algérie — je tiens à le préciser pour ceux dans les forums de journaux sur internet qui disent que je suis parti pour la belle vie, etc. Halte au gâchis c'est de l'écœurement, la déception de l'homme qui croyait au management. En débarquant au Canada, je croyais naïvement que l'économie était un système de logique scientifique, structuré. Je l'enseigne et j'en fais mon sujet de recherche pour l'approfondir et je m'aperçois qu'il n'y a rien de scientifique, que c'est de l'idéologie, réalisant progressivement qu'il n'y a aucune rigueur mais des conflits d'intérêts mortels. 99,9% des écoles de gestion américaines sont financées par le secteur privé.
En France, elles appartiennent aux chambres de commerce. Pour l'histoire, j'ai fait des demandes de subvention pour mes recherches à une association de banques qui voulait une étude sur leur système de gestion à raison de 200 000 dollars. Elle a exigé que mes travaux soient révisés avant publication par leurs avocats. C'est comme cela que je découvre que les chercheurs américains, canadiens dans leurs écoles de gestion doivent soumettre leurs écrits aux avocats des banques pour savoir s'ils ne nuisent pas à leurs intérêts.
Des analystes ont conclu unanimement que la plaie en Algérie, c'est la mauvaise gestion. Alors quel modèle adopter pour en sortir vu que le management à l'américaine est un mal ? La tendance est à l'ouverture d'écoles supérieures et d'instituts de hautes études qui prennent pour référence ce à quoi vous vous attaquez.
Parler d'alternative au modèle américain, c'est avoir à l'esprit les raisons de ma critique. Le capitalisme américain est devenu financier, c'est de la rente. Aujourd'hui, ce qui est accumulé par la Bourse en produits dérivés potentiellement toxiques est inouï, c'est 10 fois le PIB de la planète. Tout cela vient des sociétés qui mettent leur argent à la Bourse pour faire monter les prix des actions. ça gonfle, ça fait des bulles qui finissent par exploser. C'est arrivé en 2008 et c'est ce qui va arriver encore dans pas longtemps. Il y a trois grands problèmes avec ce mode de management que je critique et que je développe dans ce livre (NDLR : La stratégie de l'autruche) et l'alternative. Ce mode de management est facile quand on est patron d'une entreprise d'en être le bon dieu, «ana rebha», «I am the boss, I make the rule» (Je suis le patron, je fais la loi). C'est trop facile d'être tout seul dans son bureau et de se dire quelle stratégie je vais appliquer?... Ce capitalisme financier est séducteur parce que l'on a starisé le patron. Chez nos patrons c'est cette image qui domine. Ensuite il est gratifiant car en tant que patron, il a un salaire qui est de 1 000 fois le salaire moyen de ses employés. Avant, Henri Ford 1er avait un salaire 20 fois supérieur au salaire de base. La Suisse prépare une loi qui impose aux Pdg un salaire qui ne dépasse pas 12 fois celui du plus bas salaire de son employé. C'est un management qui est en conflit d'intérêts parce que les écoles de gestion reproduisent et filtrent le discours des entreprises qui les financent pour aboutir à l'idée que celles-ci sont des modèles de management. Théorisés, ces modèles deviennent des constructions affabulatoires et cela devient ainsi une idéologie délirante. Grande était ma colère après cette découverte qui m'a poussé à écrire ce livre. A ce modèle il y a plusieurs alternatives dont le capitalisme entrepreneurial ou industriel ou nippo-rhénan qui me convient parce que c'est un capitalisme basé sur le modèle allemand construit par Bismark en 1870, copié par les Scandinaves puis les Japonais et aujourd'hui par les Dragons et après les Tigres, la Chine et des pays d'Amérique latine dont je suis l'un des colporteurs. Ce capitalisme-là est très différent. Il n'y a pas de business-school au Japon ni en Allemagne ni en Scandinavie. Au Danemark, en Suède où j'ai enseigné, il y a des écoles d'administration ; les ingénieurs, les économistes sont là pour une façon de percevoir les employés, avoir un regard sur la comptabilité. Business n'est pas un diplôme en soi. Si vous faites un MBA au Japon vous êtes considéré comme quelqu'un qui a échoué parce que vous n'êtes pas arrivé à être un bon gestionnaire avec votre diplôme d'université. C'est même mal vu ! La cogestion introduite par Bismark considère que le syndicat n'est pas l'ennemi de l'entrepreneur. C'est efficace mais plus difficile que le management à l'américaine. En Allemagne et dans les pays scandinaves, si vous avez 5 employés – ce qui est la taille d'une station d'essence ou d'un supermarché — vous ne pouvez prendre de décision sans leur avis...
Est-ce pour cela que l'on vous fait la critique d'avoir une démarche politisée ?
L'économie est politique et inversement, on ne peut pas les séparer...
Vos choix sont aussi idéologiques ?
Bien sûr, les écoles de management qu'on ouvre participent de choix idéologiques. Le marché auto-régulé n'existe pas, c'est un choix idéologique.
Vous insistez sur le rôle régulateur de l'Etat. Comment l'Etat tel qu'il se présente en Algérie peut-il jouer ce rôle ?
On parle de démocratie, de laïcité, du marché libre. Mais il y a problème. L'entreprise privée est une institution totalitaire, dictatoriale. Montesquieu a défini la démocratie comme étant la séparation des trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Chez nous le patron d'une entreprise a tous ces pouvoirs entre les mains : il nomme qui il veut, embauche qui il veut et paye comme il veut. Il se fait justice lui-même. Ces institutions, soi-disant constitutives libérales, capitalistes, sont des dictatures. Ma question est : comment construire une démocratie avec une juxtaposition de dictatures ? Ensuite, sans laïcité point de démocratie. Cela me rappelle Napoléon qui disait que l'Etat dont les décisions dépendent des banques n'est plus maître de ses décisions et des intérêts qu'il défend. Aujourd'hui, l'Etat américain dépend de la Bourse. Les premiers qui ont commencé à parler de laïcité c'est Rousseau avec le Discours sur les inégalités — Le contrat social, Montesquieu avec L'esprit des lois, Voltaire, Diderot – Les libres penseurs. Pour eux la laïcité c'était séparer le clergé et la noblesse comme couple qui exploite le peuple. #C'est par ailleurs ce sur quoi je suis en train de travailler pour le prochain livre. Aujourd'hui, je vois un nouveau clergé qui est justement le monde du business. La moitié des hommes politiques américains, conseillers, chefs de cabinet, etc., viennent tous de Goldman Sachs.
La moitié de Washington c'est Golman Sachs ! Un quart c'est Lehman Brothers, le reste c'est General motors... Ils font le spinning tours (les portes tournantes). Untel est un jour vice-président de General Motors et un autre sous-ministre à la Maison- Blanche. On a donc un nouveau clergé du business, le discours de l'argent, cette idéologie qu'on appelle management qui influence les Etats. C'est ce clergé qui fait le discours du FMI, de la Banque mondiale, de l'OMC. Tous ces pays qui se disent laïcs, Rousseau leur retirerait cet argument. Le corpus de connaissance de l'argent devient le mode de pensée de l'Etat.
Avez-vous le sentiment que vos mises en garde, vos alertes sont prises en compte et qu'en est-il de leur écho chez nous ?
En milieu intellectuel mes idées sont favorablement accueillies...
Et qu'en est-il des décideurs ?
Il y a quelques années, dans une réunion avec quatre personnalités très haut placées dont je ne citerai pas les noms, l'un d'eux m'a dit : «Ce que vous dites est bon pour le Canada, pas ici !»
Dans votre livre, vous insistez sur le cas de la Malaisie qui est parvenue à se hisser au niveau des pays développés. Faire le parallèle avec l'Algérie est-il valable quand on sait que les deux pays, musulmans certes, n'ont pas la même histoire, la même culture, la même mentalité... Est-ce l'exemple à suivre ?
Mais bien sûr, tout est adaptable. Je sillonne la planète de l'Australie au pôle nord. Dans une université du Paraguay profond où j'exposais le modèle japonais, un professeur me dit que ce n'était pas de la même culture. Je lui fis remarquer qu'il était bien d'origine hispanique métissé à la culture indienne et qu'il se sente américain sans que cela pose problème... C'est la même question qui est posée partout où il m'arrive de me retrouver. Ce que je ne comprends pas c'est qu'il n'y a aucun problème lorsque je parle des Etats-Unis. Dès qu'il s'agit de l'Allemagne, de Scandinavie, on me sort la question de la culture.
Bon, l'Algérie a plus de ressources que la Malaisie mais n'est pas à son niveau et ne fait pas partie des Brics.
La Malaisie est un pays développé. On a la moitié de son PIB par habitant. Sur cette question de culture, il faut faire attention. Il y a le niveau anthropologique et le niveau ethnologique. Il y a des valeurs intrinsèques communes aux êtres humains. En ethnologie c'est la façon dont sont exprimées ces valeurs communes (colère, humour, bonté...).
En conséquence, je dis que rien ne nous empêche de faire du management à la suédoise, à la japonaise, à l'allemande ou à la malaisienne, toute la différence tient à l'anthropologique, c'est-à-dire être franc avec ses travailleurs, honnêtes avec les consommateurs, être à l'écoute. On peut faire tout ça à l'algérienne.
B. T.
[email protected]
* Omar Aktouf, La stratégie de l'autruche. Post-mondialisation, management et rationalité économique. Editions ARAK – 372 pages.


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