Par Nacer Djidjeli Professeur de chirurgie pédiatrique Les simulacres de débats, suivis comme d'habitude d'un vote sans surprise de la loi de finances par nos vaillants députés, me donnent l'occasion de faire intrusion dans un domaine habituellement réservé aux seuls initiés et spécialistes de l'économie. Je prends ce risque en tant que citoyen qui ne peut accepter que son pays, plus de 50 années après son indépendance, et avec toutes les potentialités qu'il recèle, n'arrive toujours pas à sortir d'un sous-développement politique et économique qui menace son avenir et celui des générations futures. Que ce soit sur le plan politique avec cette atmosphère de déliquescence et de fin de règne qui n'en finit pas ou sur celui économique avec cette fuite en avant suicidaire, notre pays continue de traverser une phase particulièrement dangereuse de son histoire. Dans un pays où le Président continue à s'adresser à son peuple par courrier interposé et alors que les experts ne cessent de tirer la sonnette d'alarme, nos décideurs continuent, pour se maintenir au pouvoir, à jouer à la roulette russe avec l'avenir du pays. Dépendance aux hydrocarbures Un demi-siècle après l'indépendance, les hydrocarbures continuent, malgré toutes les promesses faites, à représenter plus de 95% de nos rentrées en devises. Un pays comme l'Egypte a multiplié par treize ses exportations agroalimentaires ces vingt dernières années passant de 345 millions de dollars en 1995 à 4,475 milliards de dollars en 2013, alors que celles de l'Algérie ont évolué de 110 millions de dollars à 405 millions de dollars pendant la même période. Celles du Maroc de 1,9 milliard à 4,25 milliards et celles de la Tunisie de 535 millions de dollars à 1,65 milliard de dollars. L'Algérie reste, en termes de diversifications des exportations, en queue des pays membres de l'OPEP (M. Hedir). Mais nos gouvernants, au lieu de changer de stratégie pour sortir de cette dépendance et dans une éternelle fuite en avant, semblent avoir trouvé la parade. En effet, ils nous disent : «Ne vous en faites pas, même si nos réserves d'hydrocarbures classiques s'épuisent, ce qui est inéluctable, rien ne changera, le gaz de schiste est là pour les remplacer et la rente n'est pas près de s'épuiser.» «Un problème ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu'il a été créé», disait A. Einstein. Mais nos dirigeants semblent faire fi de cet adage.L'Ipemed, Institut de prospective économique du monde méditerranéen, projette que si la consommation d'hydrocarbures continue à ce rythme, l'Algérie pourrait n'exporter que du gaz après 2023 et devenir un importateur net d'hydrocarbures à partir de 2026 (rapport Ipemed, juillet 2014). 75% des besoins des ménages algériens et des entreprises publiques sont achetés à l'étranger (A. Mebtoul) et au moindre éternuement des prix du pétrole la panique gagne nos dirigeants car tout risque de s'arrêter. Les revenus des hydrocarbures ont diminué de 1,4% et ne cessent de dégringoler, en même temps que les importations ne cessent d'augmenter. Même le fonds de régulation des recettes, c'est-à-dire notre bas de laine, continue de baisser pour couvrir le déficit budgétaire. Si on continue à ce rythme, il aura dans quatre ou cinq années fondu comme neige au soleil. Le Rapport Doing Business 2015 de la Banque mondiale, qui traduit la réalité du climat des affaires, vient de tomber il y a quelques jours et a encore fait perdre sept places à notre pays, classé dorénavant 154e sur 189 pays. Ce qui explique le peu d'empressement des investisseurs à choisir l'Algérie. Distribution de la rente comme programme de politique économique Une économie basée uniquement sur la distribution de la rente n'a réussi dans aucun pays, mais nos décideurs continuent à en faire leur credo pour satisfaire à cette sacro-sainte paix sociale et durer le plus longtemps possible au pouvoir. L'aide au logement coûte à l'Etat 130 milliards de dinars chaque année, ce qui représente l'aide accordée à l'acquisition d'équipements agricoles sur dix années (A. Benachenhou). 60 milliards de dollars de transferts sociaux en 2013, c'est 30% du PIB, alors que la part dont bénéficient les entreprises ne dépasse pas les 2%. Pis encore, cette politique d'assistanat est contreproductive et n'arrive même pas à juguler la pauvreté qui ne cesse de croître dans notre pays. Les derniers chiffres du ministère de la Solidarité prévoient qu'à la fin 2014, on aura 304 000 familles pauvres supplémentaires. De plus 25% des Algériens sont considérés comme pauvres alors que ce chiffre ne dépasse pas 16,9% en Europe qui, faut-il le rappeler, est beaucoup moins généreuse en termes de transferts sociaux que notre pays (Y. Benadda). L'investissement et les aides à l'emploi se sont faits ces dernières années presque exclusivement dans le secteur commercial et des services comme les transports avec le pullulement de véhicules asiatiques utilitaires douteux délaissant le secteur productif générateur d'emplois et de richesses comme l'agriculture, l'industrie ou les PME et PMI. La nouvelle loi des finances fait toujours la part belle à ces transferts sociaux et à une économie de redistribution rentière en occultant complètement la nécessite absolue et vitale de diversification de nos revenus. En même temps, l'Etat continue ses dépenses effrénées. Recrutement dans la fonction publique avec 240 000 nouveaux postes, prévus pour 2015. Le soutien au secteur industriel public continue à être lui aussi à l'ordre du jour. Ce soi-disant assainissement financier des grandes entreprises a englouti pas moins de trente milliards de dollars de recapitalisation ces vingt dernières années sans que ce secteur dépasse les 5% du PIB hors hydrocarbures (A. Lateb). Et apparemment, cela continue puisque pour 2015 un budget de 534,3 milliards de dinars sera consacré aux mêmes restructurations. Restructuration (énième) du secteur de l'industrie présentée comme panacée aux problèmes du secteur en promettant la création de grands groupes industriels, ce qui ne peut nous empêcher de nous poser des questions sur cet air de déjà-vu. L'assainissement des entreprises, qui ailleurs ne peut être que conjoncturel, est devenu chez nous structurel et permanent. On a organisé dernièrement au Palais des nations la conférence (énième) sur le développement économique et social que tout le monde, y compris nos décideurs, appellent, et à juste titre, la conférence de la dernière chance. Notre Premier ministre nous jure que cette fois-ci sera la bonne. Ne ménageant pas sa peine, il fait même appel à la symbolique de ce 1er Novembre pour nous promettre une croissance de 7% à 8%, pas moins d'ici 2019. Il invoque même pour nous convaincre, je cite, l'existence d'un pacte économique et social comme document de consensus qui va être présenté au BIT pour en faire un pacte international (sic). La même salle de conférences, les mêmes acteurs, le même syndicat et associations satellites du pouvoir, les mêmes discours et sûrement les mêmes promesses sans lendemain. Mais comme les promesses des hommes politiques n'engagent que ceux qui les écoutent, Monsieur Sellal ne nous dit pas comment y arriver. On ne nous dit pas pourquoi ce que n'a pas réussi Monsieur A. Bouteflika pendant trois longs mandats, alors que les prix du pétrole et la pluviométrie du pays étaient des plus favorables, il compte le réussir cette fois-ci alors que ces conditions lui sont nettement plus défavorables pour cette quatrième mandature. Comme si rien ne s'était passé, on efface tout et on recommence mais avec les mêmes recettes et les mêmes personnes. Certes Monsieur le Premier ministre a beaucoup de bonne volonté, mais celle-ci ne peut malheureusement suffire à pallier l'absence d'un programme politique et économique clairement défini. Non Monsieur le Premier ministre, on n'est plus disposés à vous croire. Dans les années 1970, les Pays-Bas, du fait de la disponibilité de ressources tirées des hydrocarbures, ont commencé à importer, car c'était plus facile, des biens et services dont ils avaient besoin au lieu de les produire localement. Ceci avait entraîné le pays dans une grave crise économique, c'est ce qu'on appelle le syndrome hollandais. Mais ce pays a très vite fait le diagnostic et corrigé son erreur, ce qui ne semble pas être le cas de nos dirigeants. Que ce soit clairement dit, il n'y a pas de malédiction des hydrocarbures. La malédiction est dans le mauvais usage qu'on peut en faire et l'incapacité d'en faire profiter son pays. Evidemment, tous ces problèmes n'ont pas été à l'ordre du jour des débats du Parlement lors de la présentation de la loi de finances 2015. L'Exécutif a joué, comme d'habitude, sur du velours et la loi présentée est passée comme une lettre à la poste sans changements notables. En effet, sur 76 amendements proposés par nos courageux députés, seuls 4 ont été acceptés. Aucun de ces amendements acceptés ne remet en cause les fondements de la politique économique suicidaire du pouvoir. Il est important de signaler que parmi les amendements proposés, et heureusement rejetés, figurent la demande d'octroi d'un prêt sans intérêt d'un milliard de centimes à nos pauvres représentants du peuple de même que la révision de leur régime de retraite. Ceci nous éclaire, si besoin est, sur la magnanimité et l'esprit de sacrifice de nos députés. Mais une loi de finances en elle-même finalement ne peut et ne doit être que le miroir et l'instrument pour mener une politique économique claire, elle-même faisant partie d'un programme politique ayant attiré le maximum d'acteurs autour de soi. On ne peut édifier une politique économique en essayant d'infléchir tel ou tel article d'une loi de finances. Une politique économique se décide en amont avec clarté, lisibilité et la loi de finances doit en découler et être sa traduction. C'est la dimension qui manque et qui est occultée par nos députés et nos décideurs. Cette navigation à vue comme programme politique et économique n'est pas du tout faite pour encourager les éventuels investisseurs. Autre tare, et de taille, aucune évaluation sérieuse n'est faite des différentes politiques économiques ou des différents plans de développement menés ces dernières années, si ce n'est au niveau d'un conseil national économique et social domestiqué ou de ces shows médiatico-comiques que sont devenus ces tripartites qui se suivent et se ressemblent par leur obsolescence. On ne peut évoluer sans évaluer. On lègue aux générations futures une véritable bombe à retardement car n'oublions pas que notre pays a déjà été dans sa jeune histoire, et à deux reprises, en cessation de paiement en 1986 et 1994. La dilapidation de l'argent public dans des élans de générosité préélectorale, comme ce qui s'est passé lors des tournées dans les différentes wilayas du pays de notre Premier ministre il y a quelques mois, continue. Des centaines de milliards de dinars sont ainsi distribuées uniquement par la bonne volonté du prince. Et apparemment, cette vision où on peut disposer comme bon nous semble de l'argent public a fait des émules en la personne du wali d'Alger qui vient d'octroyer 2 milliards de centimes à l'Entente sportive de Sétif suite à son dernier sacre africain. Cette prodigalité de la part d'un wali envers une équipe, qui n'est même pas de sa circonscription juridique, n'obéit a aucune logique si ce n'est cette conviction profondément ancrée chez nos dirigeants que l'argent public leur appartient et qu'ils peuvent le distribuer comme bon leur semble. Absence d'une véritable politique salariale L'augmentation des salaires chez nous obéit plus aux rapports de force qu'à la rationalité. Ce qui donne une grille des salaires complètement incongrue et inique avec par exemple en 2014 le salaire d'un ingénieur débutant proche de celui d'un agent de sécurité (K. Remouche). Toute politique salariale doit être cohérente, juste et s'inscrire dans une politique de ressources humaines et d'une économie productive et non de rente. Une politique salariale est comme un puzzle où si un élément n'est pas à sa place tout s'écroule. On va augmenter les policiers, les pompiers, les douaniers incessamment. Et après ? Ils vont très probablement gagner autant sinon plus qu'un ingénieur, un médecin débutant ou un enseignant. Ces derniers ne manqueront pas, et c'est logique, de demander un réajustement et le cercle infernal est bouclé. Cette fuite en avant est tout simplement suicidaire. Les différentes augmentations salariales qui se sont succédé n'ont et n'avaient qu'un seul but : calmer le front social et assurer une paix sociale faisant fi de l'efficacité, de la performance, de la rentabilité ou de la productibilité. Des mots que nos gouvernants, don la préoccupation essentielle est de durer au pouvoir le plus longtemps possible, continuent d'ignorer. Sans production, sans rentabilité, sans lutte contre l'inflation, sans indexation, une augmentation de salaire est obsolète et ne veut forcément pas dire augmentation du pouvoir d'achat. Le traitement de la question salariale ne peut se faire au coup par coup et de manière isolée. Cela doit se faire dans une vision politique et économique globale. Performance économique, productibilité et justice sociale doivent être les maîtres-mots de cette politique. «Un grand peuple sans âme est une foule», disait Alphonse de Lamartine Si nous avons parlé des travers de nos gouvernants, il serait injuste de ne pas parler des gouvernés que nous sommes, car comme le disait un anonyme : on critique tous la société en oubliant que la société c'est nous. «On peut tromper une partie du peuple tout le temps, tout le peuple une partie du temps, mais jamais tout le peuple et tout le temps», disait Abraham Lincoln. J'oserais rajouter, sauf si ce peuple est consentant. En effet, il semble que le pouvoir ait su faire passer son message : «D'accord pour la distribution de la rente, je suis prêt à faire de vous le peuple le plus assisté du monde, mais à condition que vous ne fassiez pas de politique.» Ce deal semble être jusqu'à maintenant compris, accepté et respecté par les deux parties, peuple et pouvoir. Chacun y trouve son compte, mais à court terme car le réveil sera dur. Subvention à tout-va de produits divers, pain, essence, électricité, gaz, eau parmi les moins chers au monde pour ne citer que ceux-là. Avec comme conséquences une perte de la vraie valeur des choses, un gaspillage effréné de ces denrées rares, précieuses et des difficultés financières énormes pour des entreprises comme Sonelgaz, pour ne citer que celle-là. Quatre millions de baguettes de pain jetées par jour, dans un pays où nos parents nous avaient appris à ramasser, à embrasser et à mettre à l'abri le moindre petit croûton de pain trouvé par terre. Véritable hérésie économique, ces subventions profitent, certes, aux nécessiteux et c'est bien, mais aussi aux riches, aux millionnaires et surtout aux entreprises d'import-export, et cela sans aucune contrepartie. Ces subventions sont aussi à la base, faut-il le rappeler, de toute cette contrebande à nos frontières. Oui, il faut aider les citoyens démunis, mais pourquoi ces aides ne ciblent pas uniquement ceux qui ont en besoin comme cela se passe dans beaucoup de pays ? Une anecdote assez caricaturale : des manifestations pacifiques contre le pouvoir ont eu lieu dans les suites des printemps arabes à Alger. Le régime leur a opposé des contre-manifestants, véritables baltaguias qui scandaient : «Bouteflika idana li Soudane !» C'était juste après le match d'Omdurman et le président avait permis à des centaines de supporters d'assister au match Algérie-Egypte en faisant prendre en charge une bonne partie de leurs frais de déplacement par l'Etat. Ces mercenaires n'étaient pas là pour contre-exprimer des idées politiques, loin s'en faut, mais pour dire : attention, pas touche à notre poule aux œufs d'or ! Surenchère de demandes, avec des situations absolument surréalistes comme quand des parents manifestent pour que leurs enfants qui ont triché à un examen ne soient pas sanctionnés mais plutôt admis, ou ces citoyens vus à la télévision qui se plaignent du prix du mouton de l'Aïd et demandent à l'Etat de les aider. Fermeture des routes, blocage de voies ferrées, attaque de postes de gendarmerie par des contrebandiers qui voulaient récupérer leurs voitures saisies à l'est du pays, et même fermeture des vannes d'un barrage d'eau pendant 3 jours du côté de Béjaïa en guise de protestation. Cette culture de la facilité, du salaire sans travail véritable, de tous les droits sans les devoirs, où tout devient gratuit ou presque, sans effort, est une véritable bombe à retardement. Perte de l'échelle des valeurs, règne des spéculateurs, de la contrebande et des faux dévots. Tout cela pour cette sacro-sainte paix sociale. Un peuple chez qui la notion de travail a perdu toute valeur comme l'atteste tout dernièrement le cri d'alarme lancé par un certain nombre d'entreprises qui ne trouvent plus de travailleurs algériens à embaucher et sont obligés de faire appel aux Chinois ou aux Subafricains. Le Danemark est le pays où les prestations sociales sont les plus complètes et les plus performantes. Transport en commun de qualité, retraite avec mutuelle pour tous les travailleurs, santé, éducation, universités, crèches tout est pris en charge par l'Etat. Mais le Danemark est aussi le pays où les impôts sont les plus élevés d'Europe. Le Danemark dont le taux de syndiqués est de 87%, l'un des plus hauts d'Europe, a su imposer un deal positif à sa société. Tout le monde y trouve son compte et c'est ce qui fait des Danois l'un des peuples les plus heureux du monde. Moralité, on n'a jamais rien sans rien. A chaque mouvement de protestation, les autorités, pour se rassurer, s'empressent de clamer haut et fort que ce ne sont que des revendications sociales et non politiques. Donc ceci n'est pas très grave. Et légitimes ou non, on s'empresse de les satisfaire sans penser aux conséquences que cela ne manquera pas d'avoir sur le pays. La dernière sortie dans la rue des policiers est là pour le prouver si besoin est. Le ministre de l'Intérieur lui-même s'est empressé de dire et de répéter à qui voulait bien l'entendre qu'il n'y avait aucune revendication politique dans les revendications des policiers : ouf !!! serions-nous tentés de dire. Distribution de la rente et satisfaction sonnante et trébuchante de revendications légitimes ou non d'accord, demandes à expression politique comme par exemple le simple droit de manifester pacifiquement, non !!!! Ce deal semble bien fonctionner jusqu'à maintenant. Résultat : surenchère constante, comme le démontre la dernière sortie des policiers et prochainement très probablement celles des pompiers et des enseignants toujours pas satisfaits. Une revendication satisfaite appelle une multitude d'autres légitimes ou non. Le pouvoir est pris à son propre piège, car il se retrouve comme les Danaïdes, condamnées à remplir sans fin un tonneau sans fond. Jusqu'à quand cette spirale ? Nous sommes devenus xénophobes, racistes, comme le témoigne notre comportement vis-à-vis de ces Subsahariens qui ont fui leurs pays chassés par la misère, la guerre ou d'autres fléaux. Le miroir c'est le regard de l'autre, disait Sartre. Ce racisme, alimenté par une certaine presse de caniveau, nous a fait perdre toutes nos valeurs d'hospitalité, de partage et, plus grave encore, nous a fait oublier que nous sommes africains. Nous avons perdu toute conscience citoyenne, nous ne sommes intéressés que par la rente, la prébende, le gain facile. Une société où la lutte pour des valeurs comme les libertés démocratiques, les droits de l'homme sont devenues, en dehors de quelques rares et derniers Mohicans, très peu représentatifs de la société, une denrée très rare. Je n'oserais pas parler d'une conscience écologique car nous n'avons qu'à voir ces grandes décharges à ciel ouvert que sont devenus nos villes et villages pour comprendre que nous n'en avons plus. Qui n'a pas parmi nous croisé des gens roulant dans des voitures rutilantes ouvrir la fenêtre pour jeter leurs ordures ? Et cela me rappelle ce que nous disait un de nos professeurs au lycée pour qualifier ce type de comportement : ils roulent 404 mais ils pensent brouette, disait-il déjà à l'époque. Nous sommes devenus égocentriques, suffisants, nombrilistes, irascibles et ce ne sont pas les caresses très intéressées du pouvoir dans le sens du poil qui nous gausse des superlatifs de grand peuple et j'en passe qui y changeront grand-chose. Un peuple ne peut être grand uniquement parce qu'il a un passé et une histoire aussi glorieuse soit-elle. Il ne peut l'être que par sa capacité aussi à assumer son présent et à se forger un futur à lui et aux générations futures. Et le peuple tunisien vient de nous donner une leçon magistrale dans ce domaine. Nous sommes en train de perdre notre âme et un grand peuple sans âme est une foule, disait un grand penseur. Ce constat ne doit en aucun cas être vu comme un signe de rejet ou de mépris vis-à-vis de mes concitoyens et de mon pays. C'est parce que nous aimons notre pays et que nous sommes persuadés que son peuple peut transcender les difficultés qui l'empêche d'occuper la place qui lui sied dans le concert des nations qu'il est important de ne pas essayer de cacher le soleil avec un tamis, comme le dit un proverbe bien de chez nous. Je ne terminerais pas cette contribution sans évoquer ce fléau qui gangrène notre pays qu'est la corruption. Aucune avancée ou progrès ne peut être fait dans le rétablissement du lien entre gouvernants et gouvernés si le régime n'envoie pas des signaux forts et indiscutables de sa volonté de vouloir lutter sans concessions contre la corruption. Mais en a-t-il la volonté ? Le doute est plus que permis. Aucun grand procès de corruption n'est allé jusqu'à son terme à ce jour. On attend toujours le jugement des hauts responsables et ministres cités dans l'affaire Khalifa, ce que nous ont promis tous les premiers responsables qui se sont succédé à la tête du département de la Justice depuis cette affaire. Le pouvoir mise sur l'usure du temps, et l'oubli. Le premier responsable du premier parti en Algérie n'en finit pas de traîner des casseroles derrière lui. Ce bruit de casseroles qui nous parvient depuis certains quartiers résidentiels de Paris et dont les journaux ont fait leurs choux gras n'émeut personne. Ni la justice, ni les instances grassement payées et censées lutter contre la corruption, ni les militants du vieux parti, ni les plus hautes instances de ce pays ne semblent y prêter attention. Ce personnage continue à présider aux destinées du FLN sans gêne, se permettant même le luxe de se faire porte-parole du président de la République de temps en temps. Comment a-t-il acquis tous ces biens immobiliers à Paris ? Comment les a-t-il financés ? D'où provient l'argent et comment a-t-il été transféré ? Comment et pourquoi Chakib Khelil est arrivé à sortir du pays alors que de très gros soupçons de corruption pesaient sur lui ? Les exemples de cette corruption rampante, touchant des fois aux plus hauts sommets de l'Etat, sont nombreux et l'absence manifeste de volonté politique d'y mettre fin est pour beaucoup dans ce climat de déliquescence et de défiance qui règne dans notre pays. Notre pays qui, faut-il le rappeler, figure, par la grâce de son Président, au Top 10 de la liste peu enviable des dirigeants arabes et africains qui ont changé la Constitution pour se maintenir au pouvoir sans alternance. Cette vision de mon pays se veut réaliste mais ne doit à aucun moment nous inciter au pessimisme. C'est vrai que le souvenir des années terribles du terrorisme avec son nombre de victimes explique le peu d'empressement des Algériens au changement radical et cela le pouvoir en place le sait et il a su l'utiliser pour gagner du temps. L'immobilisme de peur d'imploser est devenu la règle. Mais comme le disait un politique d'outre-mer, dans un monde qui change constamment, il n'y a pas de plus grand danger que l'immobilisme. Il est tard, mais pas trop tard pour prendre notre destin en main et cela même si la sortie de ce régime de rente est difficile, douloureuse et potentiellement dangereuse. Il n'y a pas de recette miracle et nul ne peut se targuer de pouvoir y arriver seul. Le pouvoir doit se départir de son arrogance, sortir de son autisme, arrêter de se parler à lui-même et reconnaître ses échecs. L'opposition doit apprendre à composer aussi car il est illusoire de penser qu'un tel régime va lui remettre les rênes du pouvoir sans coup férir et cela même s'il doit mener le pays à sa ruine. Malheureusement, la diatribe du leader du Rassemblement pour la culture et la démocratie pour fustiger en des termes peu amènes l'initiative de son frère ennemi, le Front des forces socialistes, il y a quelques jours, n'est pas faite pour nous rassurer à ce sujet. L'opposition face à la dérive monarchique du pouvoir doit prendre la mesure des enjeux et éviter les guéguerres et les luttes de leadership qui n'arrangent que le régime en place. Syndicats dans leurs diversités, société civile, doivent eux aussi prendre la mesure des dangers qui guettent notre pays et éviter la surenchère. Plus que jamais, il y a nécessité d'un consensus et d'un véritable pacte politique, économique et social pour remettre à flot le bateau Algérie et le mener à bon port car nous aurons l'avenir qu'on aura mérité. Et nos voisins tunisiens viennent de nous montrer que c'est possible. Je terminerais cette contribution en citant encore une fois, car plus que jamais d'actualité, Gramsci qui disait que «quand l'ancien se meurt et que le nouveau ne parvient pas à voir le jour, c'est dans ce clair-obscur que naissent les monstres». A méditer.