Dessalement d'eau de mer: le PDG de Sonatrach inspecte la remise en service de la station d'El-Hamma    Visite de De Mistura dans les camps des réfugiés sahraouis: réaffirmer l'attachement du peuple sahraoui à son droit à l'autodétermination    Algérie-Niger: signature d'un procès-verbal des discussions dans le domaine des hydrocarbures    Au 2e jour de sa visite en Italie: le Général d'Armée Saïd Chanegriha visite le monument historique "Autel de La Patrie"    Réunion du Gouvernement: suivi de la situation sanitaire dans certaines wilayas du Sud    Le président de la République installe la Commission nationale de révision des codes communal et de wilaya    Mascara: le Moudjahid Kada Ameur inhumé au cimetière de Sidi Othmane    Accidents de la circulation: 2082 morts et 8821 blessés enregistrés au cours des 8 premiers mois de 2024    Festival international d'Oran du film arabe: 18 documentaires longs et courts métrages en compétition    CDH: l'Algérie affirme à Genève que le retour de la sécurité au Proche-Orient dépend de la fin de l'occupation sioniste    Cas de diphtérie et de paludisme dans certaines wilayas du sud: les équipes médicales de la Protection civile poursuivent la campagne de vaccination    Backyard Ultra Algérie: la course sans fin le 19 octobre prochain à Alger    Reddition d'un terroriste à Bordj Badji Mokhtar et arrestation de 17 éléments de soutien aux groupes terroristes    Ghaza: le bilan de l'agression sioniste s'alourdit à 41.689 martyrs et 96.625 blessés    La narration assumée de l'histoire constitue un "socle référentiel" pour les générations    Ligue 1 Mobilis: le coup d'envoi du match MC Oran-ASO Chlef décalé à 20h30    L'Algérie met en garde contre les plans israéliens    Examen des opportunités de partenariat entre Sonelgaz et «Elsewedy Electric Algeria»    Une délégation du Conseil de la nation participe à la 4e partie de la session ordinaire 2024    Belaribi en visite d'inspection    Le Président iranien promet une réponse décisive au régime sioniste    L'UE a demandé une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU    Les impacts entre 2025/2030/2050 des politiques de la transition énergétique seront déterminantes    Nettoyage et embellissement    La cellule d'écoute et de prévention appelle à une nutrition plus saine des enfants    Octroi d'aides financières aux familles dont les maisons ont été endommagées par les inondations    L'intelligence artificielle, un allié pour les journalistes    Les Verts pour un sans-faute face au Togo    Décès de l'ancien président du MC Oran Mohamed Brahim Mehadji    Scarthin Books à Cromford, antre du livre en pleine campagne    Ouverture du premier atelier national sur l'actualisation de la liste indicative    La création de l'Etat-nation algérien au fondement de l'islamisme (II)    Foot/ Ligue 1 Mobilis (1re journée/ mise à jour): le MCA s'offre la JSK (2-1) et se rachète    Le moudjahid et historien Mohamed Larbi Zebiri inhumé au cimetière de Garidi à Alger    Audience Le président du CSJ reçoit une délégation du groupe de la Banque islamique de développement    Chefs d'Etat et dirigeants du monde continuent de le féliciter    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Les limites de l'islah
Publié dans Le Soir d'Algérie le 26 - 08 - 2014


Par Saïd Dahmani
Il n'est pas dans l'intention de cette réflexion de faire une étude de l'islah algérien. Le sujet est assez bien traité aussi bien par les chercheurs algériens que par les islamologues étrangers (par exemple : Ali Merad, Le réformisme musulman algérien de 1925 à 1940). D'autant plus que l'islah algérien se ramifie en tendances. La tendance moderniste, minoritaire, était beaucoup plus représentée par des individualités, soit indépendantes, soit membres ou militants d'associations ou de formations politiques. Il s'agira, ici, essentiellement de brosser un tableau de l'essentiel de l'action et de la pensée de la tendance conservatrice majoritaire en en présentant une tentative de bilan.
L'Algérie, sous domination ottomane, vivait l'état de décrépitude intellectuelle et de décadence multiforme qui caractérisait le monde musulman. Gouvernée, plus de trois siècles durant, par des capitaines de guerre recrutés parmi les renégats européens convertis, ou des mercenaires d'Europe balkanique recrutés sur la place d'Izmir, l'Algérie servait de bouclier à l'empire ottoman dans le bassin occidental de la Méditerranée et de réservoir financier constitué par l'extorsion de multiples impôts et taxes, aussi bien canoniques qu'illicites. La caste, dite turque (appelée également «adjam/barbares ou étrangers» par les autochtones), était plaquée sur une réalité humaine réduite à vivre dans une sorte d'autisme, ressassant un passé religieux et culturel figé depuis des siècles au sein de confréries religieuses d'inégale importance. C'étaient leurs zawiyas qui dispensaient l'enseignement, essentiellement coranique, c'étaient surtout de ces confréries que se distinguaient des transmetteurs du savoir religieux des siècles précédents, ou des hommes de lettres ; ce qui a permis de sauvegarder le patrimoine immatériel, même si ce n'était qu'un patrimoine sclérosé. Le pays était sous-tendu par une toile de zawiyas qui se partageaient la population. Le pouvoir ottoman a figé le savoir et la civilisation en Algérie. Car le courant du tasawwuf/mysticisme fondé par Abû Marwân, par Abû Madyan Chu‘ayb et par d'autres, aux XIe, XIIe, XIIIe siècles, n'en était plus qu'une pâle copie au XIXe siècle, assez souvent inféodé par le pouvoir deylical et manipulé par lui. La domination coloniale française prit le relais des Ottomans et aggrava la situation, en pratiquant une politique de «croisade» et son corollaire le rabaissement de la religion et la civilisation musulmanes. En effet elle contrôla administrativement la religion musulmane, elle créa, pour cet effet, les trois médersas de Tlemcen, d'Alger et de Constantine, avec des programmes particuliers dispensés en français et en arabe pour former des fonctionnaires au profil prédéterminé destinés à leur administration. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, une élite émergente soit de l'enseignement traditionnel des zawiyas, et dont des éléments avaient pu s'expatrier pour complément de formation, en Tunisie ou au Maroc, ou en Orient, soit des établissements scolaires coloniaux, émue par l'analphabétisme, par l'ignorance, par la méconnaissance des bases de la religion, par les maux sociaux qui minaient la société algérienne, se lança dans l'animation d'actions dont l'une portait sur une sorte de ré-islamisation, prônant le retour aux sources premières de l'Islam : le Kur'ân, la sunna et les actes de la génération des compagnons du Prophète, al-salaf/prédécesseurs. C'est là que se situe la naissance de l'islâh/réformisme algérien, dont on compte parmi ses précurseurs, à la fin du XIXe siècle, Ben Mehanna, Abd al-Kadir Medjawi, Abu al-Kâsim Muhammad al-Hafnâwî, et dont les animateurs-fondateurs principaux, au XXe siècle, furent Abd Al- Hamid b. Badis, Bachir al-Ibrahimi, Mubarak Al-Mili, Tawfik Al-Madani, Larbi Tebessi et d'autres. L'islah convient de la décadence de l'Islam-civilisation ; mais il attribue cette décadence à l'abandon des enseignements et de la conduite du salaf, du développement des pratiques mystiques de la turukiya/confrérisme et au colonialisme. D'où l'adoption de la sentence de Malik B. Anas (IIe/VIIIe): «Ne redresse la situation de la descendance de la communauté musulmane que celui qui avait assuré la rectitude de ses premières générations.» L'islah algérien s'attaqua d'abord à l'enseignement et à l'éducation, non sans rencontrer l'hostilité de l'administration coloniale, qui avait même créé une madrasa rivale à celle de l'islah fondée par Ibn Badis à Constantine et celle des confréries religieuses que l'islah combattait, les considérant une bid‘a/innovation ; pour l'orthodoxie musulmane toute bid‘a est déviation. D'ailleurs l'islah accusait «les confréries [d'être] au service du colonialisme» (Le jeune musulman, n°20, du 24 avril 1953, p.3). Un réseau «d'écoles libres» finit par couvrir le pays. Cette action était accompagnée de prédication, de cours d'exégèse du Kur'an, les durûs (sing. dars) puisés dans le hadith. L'Islah eut sa presse, arabophone et francophone (dans le titre de cette dernière Le Jeune musulman, est dessiné le flambeau adopté par les Frères musulmans comme sigle), la publication d'ouvrages d'histoire, dont le plus important est une histoire générale de l'Algérie confectionnée par Mubarak Al-Mili. Des étudiants, issus de ces écoles libres, furent envoyés parfaire leurs études à l'étranger, qui dans les instituts maghribins (Karawiyyin, Zaytuna), qui au Moyen-Orient (Al-Azhar au Caire, à Baghdad, à Damas ou à Médine). Le but final était de former culturellement un Algérien musulman à l'image du modèle médinois des deux premiers siècles de l'Hégire, tout en ne négligeant pas l'ouverture aux sciences technologiques modernes développées par l'Europe. Ces étudiants étaient encadrés par un conseil appelé al bi‘tha/la mission qui veillait au respect des orientations doctrinales islahistes. Dans ce domaine, l'islah avait réalisé un bilan honorable, dans la mesure où il avait pu permettre une formation universitaire à un nombre non négligeable d'étudiants algériens, grâce aux bourses des gouvernements moyenorientaux. Ces universitaires constitueront une partie de l'encadrement de l'enseignement algérien, du ministère des Affaires religieuses, au lendemain de l'indépendance. Notons cependant que l'enseignement extra-établissements français en Algérie ne fut pas une exclusivité de l'islah. Le PPA/MTLD, représentant le nationalisme révolutionnaire, avait son département enseignement qui contrôlait un réseau d'écoles libres également, pour suppléer à la carence du système colonial qui avait limité draconiennement l'accès de l'enseignement public et réduit l'enseignement de la langue et de la civilisation arabes aux enfants algériens d'une part, et d'autre part, bien que partageant l'attachement à l'islamité pour laquelle militait l'islah, pour contrer l'idéologie de l'islah, qui, tout en étant imprégnée de patriotisme, était loin du nationalisme révolutionnaire du PPA tendu vers l'avènement de l'Etat-nation algérien. Les publications islahistes étaient, en ce qui concerne la phase post-libération du colonialisme, plus proches des vues de Sayyid Kotb, (idéologue des Frères musulmans), dont des écrits furent publiés dans El- Basa'ir et le Jeune musulman, organes en arabe et en français de l'Association des ulama musulmans algériens. On lit en effet : «Cet état de démembrement où se trouve la terre islamique par l'action du colonialisme occidental ; ces multiples patries créées par le colonialisme à partir de la patrie islamique unique ; ces différentes bannières que nous nous sommes données, comme autant de lambeaux de l'étendard unique (de l'Islam). Tout cela nous a rendus étrangers les uns aux autres (...) N'est-il pas temps que nous voyions clairs ? N'est-il pas temps que nous soyions «le meilleur d'entre les peuples» [Koran III,109]. N'est-il pas temps pour nous de former un peuple, un seul peuple et non plusieurs ? Un peuple possédant un seul étendard et visant un seul but ?» (Sayyid Kotb, «Serons-nous jamais ‘‘le peuple modèle ?''», in Le Jeune musulman, n°17 du 27 mars 1953, p.8). D'autre part, Ibn Badis, au courant de 1939, pratiquement à la veille de sa mort, avait confié au père de l'auteur de cette réflexion, d'un ton volontaire : «Je consacre actuellement mes efforts à fonder un parti où ne figureront ni les militants de Messali ni les fonctionnaires employés dans l'administration coloniale ! Les élèves des «écoles libres» du PPA, qui étaient également envoyés en Tunisie et au Moyen-Orient, étaient comme ceux qui fréquentaient l'université française, encadrés, idéologiquement, par le département étudiants du PPA ; l'encadrement se faisait à travers une association syndicale [AEMAN = Association des étudiants musulmans de l' Afrique du Nord, créée en 1919]. Leurs diplômés constituèrent également une partie de l'encadrement des différents rouages de l'Etat au lendemain de 1962. L'islah développait, parallèlement, le discours apologiste commun à tous les ténors de la nahdha/renaissance au Maghrib et au Machrik. Ce discours, dans sa partie mémorielle, permettait d'éclairer l'opinion sur le riche patrimoine passé de la civilisation musulmane et fournissait les arguments à opposer à la croisade culturelle coloniale. Mais bien qu'on utilise «réformisme» pour 'islah, sans doute s'est-on inspiré du terme «réforme» donné au mouvement de reconstruction et de rénovation dans le monde chrétien au XVIe siècle, lui-même résultat de tout un mouvement philosophique et littéraire dans l'aire européenne, l'humanisme, développé surtout au XVe siècle. Le mouvement islahiste n'a pas «réformé», donc il n'a pas rénové et reconstruit la pensée. Car il est contre toute rénovation dans l'Islam, fidèle en cela au rejet de la philosophie rationaliste née dans les premiers siècles de l'Islam, le mu‘tazilisme. L'islah est un mouvement de redressement dans un mouvement perpétuel de retour vers le passé. Il n'en tire pas les enseignements nécessaires pour construire l'avenir, se contentant, en guise de conjuration du sort, de rabâcher l'histoire des splendeurs passés de «l'âge d'or». Ne rénovant pas ce passé, il aboutit à la même impasse que lui : la poursuite de la décadence. Or, ce passé fut construit par des hommes qui avaient tenu compte de leur temps, de leurs conditions humaines, sociales, économiques, conjoncturelles.
Ces hommes avaient créé et fait évoluer leur monde un temps sans lui ménager les ouvertures indispensables au progrès. Or, ces conditions changent et évoluent. C'est là que réside la limite de l'islahisme : il a commis la même erreur que le salaf en perdant de vue les changements et les mutations dans la société algérienne qui constitue un autre monde différent de celui des salaf, et n'a pas non plus prévu les ouvertures nécessaires au renouveau. En effet le mouvement islahiste, malgré le «redressement» qu'il avait opéré, et se satisfaisant d'un bilan relativement positif depuis sa naissance jusqu'aux années 1950, n'a pas évolué et n'a pas fait évoluer cette nouvelle société. Quand on ne progresse pas, on régresse. Or, le citoyen algérien est aujourd'hui différent de ses prédécesseurs, non seulement d'il y a dix siècles, mais également de ceux des années 50. Il est engagé dans l'édification de son Etat-nation. Vouloir le maintenir hors de son siècle, c'est le condamner à revenir à l'Etat anté-1830 et perdre les efforts d'un siècle de combats pour cet Etat et l'entraîner dans l'idéologie négatrice de cet Etat. On ne peut plus, ni on ne doit plus le maintenir dans l'idée que «Dieu étant l'Être libre par excellence, la liberté humaine n'apparaît point comme absolue. L'homme en effet ne crée pas ses actions ex-nihilo, puisque tout ce qui entre dans la création est œuvre de Dieu. L'homme est libre en ce sens qu'il s'approprie telle ou telle action engendrée par Dieu, c'est-à-dire en optant pour elle...» (Le Jeune Musulman, n°27, 26/02/1954, p.3), et que «... La démocratie islamique est avant tout basée sur la crainte de Dieu et la responsabilité devant Dieu... que parmi les causes de la décadence du monde musulman, figure la perte de cette notion de démocratie ». (Ibid). Cette idéologie efface l'individu appelé à être éternellement un instrument. Ne le libérant pas en qualité d'une conscience responsable, cette idéologie le condamne à la stérilité. On mesure les effets d'une telle idéologie sur l'évolution sociale, économique, politique et scientifique de la nation algérienne. Aujourd'hui, l'islahisme ne peut plus continuer à expliquer la décadence par le discours développé jusqu'au début des années 50. Ce sont la sclérose de la pensée, les retards intellectuels, scientifiques et économiques, la neutralisation de l'initiative individuelle, qui en sont la cause réelle. Plus encore, ils engagèrent notre pays dans la «nuit coloniale». Le discours apologétique est également dépassé. Si l'«âge d'or» de la civilisation musulmane est un fait historique, à étudier académiquement, il est indécent de continuer à s'en servir comme d'une relique. Il faut s'inspirer de la volonté de ceux qui l'avaient développée pour la faire progresser et la faire participer au progrès de l'humanité, sans commettre la même faute fatale : la fermeture qui avait hypothéqué l'avenir et l'enfermement. L'islahisme avait, notamment de 1946 à 1954, mené une campagne pour la séparation du culte musulman de l'administration coloniale (articles dans ses journaux, télégrammes de protestation, etc.), au nom du principe de la séparation du politique du religieux et au nom de la liberté d'expression et de la liberté de conscience. Depuis 1962, l'islahisme n'a plus défendu cette séparation du religieux de la politique, et encore moins la liberté de conscience. Or, l'islahisme révèle là aussi ses limites dans l'écriture d'une nouvelle page dans le progrès de cette civilisation, en adoptant le même processus de fermeture conservatrice. Il n'a pas voulu, par attentisme, ou par solidarité avec le néo-salafisme, participer au combat pour préserver et renforcer la construction de l'Algérie, Etat-nation fondé sur la modernité.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.