Militant connu de la cause identitaire, Ramdane Achab est universitaire chercheur en linguistique. Il est l'auteur de nombreux ouvrages spécialisés en linguistique appliquée à tamazight. Une langue qui risque de disparaître, si des mesures fortes de nature juridique et politique ne sont pas prises par l'Etat», s'alarme l'auteur de L'aménagement du lexique berbère depuis 1945 à nos jours, son livre qui est le fruit de sa thèse de doctorat soutenue à l'Inalco de Paris en 1994 autour duquel il a organisé une vente-dédicace, samedi dernier, à la bibliothèque communale de Larbaâ-Nath-Irathen, en présence d'un public nombreux. Un rendez-vous initié par des militants associatifs de Larbaâ Nath-Irathen qui ont, aussi, invité la poétesse, comédienne et femme de radio, Hadjira Oubachir, venue elle aussi dédicacer son livre Rêves de feu où sont compulsés ses nombreux poèmes connus du grand public puisqu'elle les a, pour la plupart, déclamés sur les ondes de la Chaîne II de la Radio nationale. Le thème de tamazight a été au centre d'une conférence-débat animée par les deux auteurs qui sont partis de leurs expériences respectives pour apporter un éclairage, sur la réalité des interactions linguistiques de tamazight. Le bilan des différentes pratiques sur les plans, notamment linguistique, sociolinguistique et institutionnel établi par les deux intervenants est, on ne peut plus, mitigé, voire alarmiste. Et pour cause, le propos de Hadjira Oubachir se rapportant à son expérience de femme de radio ne cache pas son pessimisme devant la qualité déclinante de tamazight utilisée sur les ondes de radios nationales ou sur le plateau de la télévision nationale d'expression amazighe. Si du temps où elle animait des émissions à la radio kabyle, «journalistes et animateurs se faisaient un point d'honneur pour braver la censure et le contrôle des ondes pour passer des messages et faire de la vulgarisation lexicale, en introduisant des néologismes», témoignera Hadjira Oubachir qui, tout en saluant le rôle joué par la radio dans le renouveau lexical de tamazight, constate qu'il y a une régression, un relâchement qui, selon elle, s'explique par le fait que la majorité des journalistes et autres animateurs qui officient actuellement sur les ondes des radios ou sur le plateau de la télé (d'expression amazighe) sont plus des fonctionnaires (besogneux) que des militants soucieux de la pureté de la langue. Prenant le relais, Ramdane Achab se fera plus alarmiste et dressera un constat négatif de la situation de tamazight sur les plans linguistique et sociolinguistique de tamazight, se montrant très critique vis-à-vis des mesures institutionnelles mises en place pour la promotion de cette langue. «Les locuteurs autochtones de tamazight se détournent de l'usage de cette langue pas seulement dans les zones urbaines mais aussi dans l'arrière-pays et les zones rurales où l'usage de l'arabe se superpose ou vient en concurrence à celui de tamazight», dira Ramdane Achab pour qui les causes de cette désaffection sont d'ordre historique, sociologique et politique. Si les grands foyers de la langue amazighe que sont la Kabylie et les Aurès résistent encore, il n'en est pas de même pour le zénète, variante linguistique de tamazight pratiquée dans les régions du sud de l'Oranie qui connaît un étiolement presque achevé, explique le conférencier qui ne cache pas sa crainte de voir «ces foyers de résistance» de la Kabylie et des Aurès, notamment, subir le même sort. Perspective qui peut être évitée seulement, et seulement si «des mesures fortes sur les plan politique et juridique sont prises par l'Etat», suggère Ramdane Achab qui plaide pour la refonte des méthodes d'enseignement appliquées à tamazight, faisant constater que certains contenus programmatiques et linguistiques enseignés aux élèves de tamazight constituent un facteur de démotivation et favorisant le rejet et la désaffection. Il en est de même pour les médias lourds dont il faut revoir l'approche et le traitement que les acteurs de ces chaînes ont de tamazight. Le rôle du HCA et du Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement de tamazight, des institutions créées pour la promotion de tamazight sont aussi à redéfinir. «En l'état des choses, les pouvoirs publics sont en train de gagner du temps», se désole R. Achab pour qui la pérennité et la survie de tamazight sont tributaires de la volonté politique de la part des autorités qui doivent être jugées à l'aune «des protections juridiques et institutionnelles» qui doivent être mises en œuvre par la mise en place d'institutions (académie, centre d'aménagement linguistique pour permettre une meilleure circulation entre les différentes variantes de tamazight) viables qui évitent le piège et les effets des structures déjà existantes et qui ont produit des effets plus pervers que positifs pour tamazight.