[email protected] Les bonnes nouvelles ne viennent pas toujours de là où on les attend. Pour s'en convaincre, lisez cette sentence : «Le creusement généralisé des inégalités de revenu a conduit à s'inquiéter de leurs conséquences potentielles pour nos sociétés et nos économies. De récentes recherches de l'OCDE révèlent que toute amplification de ces inégalités fait chuter la croissance économique. L'une des raisons en est que les plus défavorisés se trouvent moins à même d'investir pour s'instruire. Corriger les inégalités peut rendre nos sociétés plus justes et nos économies plus fortes.»(*) Le propos n'émane pas d'une organisation politique ou syndicale de la gauche radicale, ni d'un auteur engagé, mais bien d'un haut lieu du libéralisme occidental, l'OCDE. Il vient contredire les vérités des «intellectuels de service», comme les appelle François Cusset, historien des idées, auteurs d'une «rhétorique du fait accompli» qui leur fait jouer, selon lui, «un rôle politique, celui d'annuler les contradictions et de réduire toute alternative au silence». Déplorant un phénomène qui s'inscrit dans la durée, l'OCDE constate que «jamais en 30 ans le fossé entre riches et pauvres n'a été aussi prononcé dans la plupart des pays de l'OCDE. Aujourd'hui, dans la zone OCDE, le revenu des 10% de la population les plus riches est 9,5 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres. À titre de comparaison, dans les années 1980, le rapport était de 7 à 1». Le pays les plus inégalitaires sont – dans l'ordre – le Mexique, les Etats-Unis, Israël, le Royaume-Uni et le Japon. A l'opposé, la Norvège, le Danemark, la Tchéquie et la Finlande enregistrent une meilleure distribution des revenus. Confirmant la corrélation entre ces inégalités et les faibles taux de croissance enregistrés, l'analyse de l'OCDE «donne à penser que les inégalités de revenu ont une incidence négative, statistiquement significative, sur la croissance à moyen terme. Une aggravation des inégalités de 3 points de Gini — soit la moyenne des pays de l'OCDE pour les vingt dernières années — ferait perdre 0,35 point de croissance par an sur 25 ans, soit une perte cumulée de PIB de 8,5% à terme». Pour rappel, l'indice de Gini, un indice global d'inégalité, sert à apprécier la répartition des revenus (par comparaison avec une situation théorique d'égalité parfaite). Plus cet indice est proche de zéro, plus on s'approche de l'égalité (tous les individus ont le même revenu). Plus il est proche de un, plus on est proche de l'inégalité totale (un seul individu reçoit tous les revenus). Entre 1990 et 2010, «le creusement des inégalités a coûté plus de 10 points de croissance au Mexique et à la Nouvelle-Zélande, près de 9 points au Royaume-Uni, à la Finlande et à la Norvège, et de 6 à 7 points aux Etats-Unis, à l'Italie et à la Suède». Pourquoi une telle corrélation ? Tout simplement parce qu'«en entravant l'accumulation de capital humain, les inégalités de revenu compromettent les possibilités de s'instruire pour les populations défavorisées, limitant ainsi la mobilité sociale et le développement des compétences». Le mal étant circonscrit, il reste à en connaître les causes. Celles-ci semblent varier en fonction du niveau de développement économique. S'agissant des pays capitalistes avancés, des travaux plus anciens imputent la tendance générale au creusement des inégalités à deux facteurs pertinents(**) : «Outre la mondialisation, d'autres explications également plausibles, face aux inégalités croissantes de la distribution des revenus marchands, se font cependant jour. Le progrès technologique en particulier est souvent cité. Par exemple, les avancées des technologies de l'information et des communications (TIC) sont souvent considérées comme favorables aux travailleurs qualifiés et, par conséquent, comme un facteur d'accroissement des inégalités.» Dans les économies émergentes avec lesquelles nous pouvons être relativement apparentés, les facteurs économiques qui sous-tendent une inégalité des revenus importante et souvent grandissante sont imputables à l'importance de l'économie informelle, conjuguée à la persistance de grandes disparités géographiques. À leur tour, l'économie informelle et les disparités géographiques sont étroitement liées à d'autres facteurs d'inégalité comme le sexe, les différences ethniques, les disparités de résultats dans le domaine éducatif et les conditions de travail (type de contrat, productivité, etc.). Pour l'Algérie, si l'on croit le tout dernier rapport du Fonds monétaire international(***), il existe «un système généreux de subventions» qui «englobe des subventions allant du contrôle des prix de certains produits (tels que le blé ou le lait en poudre) à des mécanismes de régulation des prix (pour l'huile et le sucre). Ces subventions, surtout les subventions sur les produits alimentaires de base, bénéficient aux plus pauvres. Cependant, parce qu'elles ne sont pas ciblées, les subventions généralisées soutiennent également la consommation des strates les plus élevées des revenus, qui consomment considérablement plus d'énergie et de nourriture que les strates les plus pauvres». Comme pour accentuer cette tendance mortifère, la Banque d'Algérie subventionne également pour les plus riches l'achat d'usines et le transfert de devises à un taux préférentiel. Les dernières «facilités» consenties au patronat représentent un gain énorme pour les strates supérieures de revenus en termes de différentiel de change (60% de mieux qu'au square Port Saïd !) dans une conjoncture hautement dépressive. C'est de la fuite de capitaux déguisée dont il ne faut attendre aucun retour positif à court ou moyen terme. Le FMI voit dans notre modèle de subventions et de soutiens des prix, à juste titre, «une approche inefficace et coûteuse pour réduire la pauvreté». Ainsi, toujours selon le FMI, «bien que les subventions alimentaires atteignent les plus pauvres, elles bénéficient de manière disproportionnée aux plus nantis et représentent donc un coût important pour la communauté (...) La plus grande partie des produits subventionnés est consommée par le quintile le plus élevé, qui récolte donc les plus grands avantages des subventions existantes». L'OCDE partage cette approche : «Des politiques de redistribution mal ciblées et non centrées sur les outils les plus efficaces peuvent se solder par un gaspillage de ressources et être source d'inefficience.» C'est la raison pour laquelle, «les décideurs doivent nécessairement trouver un compromis entre promotion de la croissance et lutte contre les inégalités». «Le versement de prestations en espèces, mais aussi le renforcement de l'accès aux services publics – entre autres à des services d'éducation, de formation et de soins de qualité — sont autant d'investissements sociaux qui doivent se traduire, sur le long terme, par davantage d'égalité des chances. Il convient également de s'attaquer aux conséquences du sous-investissement chronique des groupes à faible revenu dans l'enseignement scolaire. Les stratégies en faveur du développement des compétences doivent miser entre autres sur le renforcement de la formation et de l'enseignement professionnel pour les travailleurs peu qualifiés, tout au long de leur vie active.» A. B. (*) OCDE, Direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales, Inégalités et croissance, décembre 2014. (**) OCDE, Tour d'horizon des inégalités croissantes de revenus dans les pays de l'OCDE : principaux constats, 2011. (***) FMI, «Algeria : 2014 Article IV Consultation-Staff Report ; Press Release ; and Statement by the Executive Director for Algeria», 11 décembre 2014, page 35.