De notre envoyée spéciale à Tamanrasset, Sarah Haidar Après une soirée d'ouverture assez pâle, le site de Tidessi qui abrite le campement et la scène du 5e Festival international des arts de l'Ahaggar (Fiaata) a accueilli une pléiade d'artistes africains de haute voltige. Mercredi dernier, le plateau féérique de Tidessi, situé à quelques kilomètres du centre-ville de Tamanrasset, a abrité une soirée musicale tout aussi exceptionnelle avec une concentration de têtes d'affiche allant de l'Ethiopie au Mali en passant par l'Algérie. Badi Lalla, la diva du chant traditionnel touareg, est une figure incontournable du festival. Du haut de ses soixante-dix ans, la dame de l'Ahaggar est au sommet de son art. Magistrale sur scène, accompagnée de ses musiciens et de ses choristes, l'artiste monte progressivement dans les gammes avec sa voix rugueuse et sa musique éthérée. Entre tindi traditionnel et blues du désert, Badi Lalla remplit entièrement l'espace scénique et maîtrise brillamment le rythme de ce début de soirée en oscillant entre poésie mystique et thèmes dansants. La puissance de sa voix, la popularité de sa musique et le respect religieux qu'elle inspire font de chacun de ses concerts un moment inoubliable tant l'alchimie est parfaite entre festivité et spiritualité. Connue entre autres, par son statut de gardienne de mémoire du tindi (style musical et poétique de la région dont le nom est tiré de celui de l'instrument), elle a été la marraine de plusieurs groupes Ishumar qui se réfugiaient chez-elle à Tamanrasset jusqu'à ce que l'un d'entre eux devienne une star mondiale, en l'occurrence Tinariwen. Une heure plus tard, cap sur l'Ethiopie et la communauté Azmari dont la musique traditionnelle inspire la chanteuse Selamnesh Zéméné et le groupe breton Badume's Band qui l'accompagne. A la fois marquée par l'éthio-jazz des années 1970 et l'esthétique complexe des chants rituels, cette formation est au croisement des influences mais elle est surtout imprégnée d'une force créatrice indéniable tant au niveau des sonorités que de l'adaptation des thèmes jazzy à sa propre démarche artistique. La rencontre s'est faite donc entre une chanteuse issue d'une communauté nomade connue pour son génie poétique et musical, et un groupe de jazz dont le saxophoniste ténor Stéphane Le Dro est un maître en la matière. Revisitant les classiques de l'âge d'or de la musique éthiopienne moderne, quelques titres du patrimoine local et exécutant ses propres compositions, la formation est en totale symbiose sur scène. Et pour redoubler le charme, une danseuse vient accompagner Zéméné sur des titres rythmés et conquiert ainsi l'ensemble du public de Tamanrasset. Ce dernier sera cependant moins emballé par le groupe suivant alors qu'il s'agit d'une véritable star mondiale. Il s'agit de Bassékou Koyaté et le Ngoni Ba. Ce musicien malien virtuose du Ngoni (instrument traditionnel), accompagné de son épouse Amy Sacko au chant ainsi que d'excellents instrumentistes, a déployé un répertoire assez intellectuel dont la recherche et la qualité supérieure ont, certes, fait le bonheur des connaisseurs mais ont laissé le grand public relativement froid. Enchaînant des titres plus sophistiqués les uns que les autres, l'artiste s'illustre évidemment dans les longues prouesses instrumentales tandis que sa femme réchauffe le plateau froid de Tidessi avec sa voix indiciblement belle. A la fois raffiné et puissant, le style est reconnaissable parmi tous ; il s'inscrit dans un mariage subtil et harmonieux entre la tradition griotique africaine et les influences occidentales remodelées et réappropriées par le génie du compositeur et la maestria de ses musiciens. Il manquait seulement à ce concert un peu plus de générosité et un indispensable dialogue avec le public. Le 5e Festival international des arts de l'Ahaggar Abalessa-Tin Hinan se poursuit jusqu'au 4 janvier avec un programme plus qu'alléchant : Maamar Cassey et Toumast du Niger, Bob Saana du Burkina-Faso et Imerhane de Tamanrasset...