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Musique
Comment révéler les nouveaux talents du chaâbi
Publié dans Le Soir d'Algérie le 09 - 10 - 2014


Par Dr Rachid Messaoudi
messaoudirachid@hotmail. com
Depuis quelques semaines, la chanson «chaâbi» est gâtée par la presse et de nombreuses initiatives ont été prises par les autorités culturelles du pays pour organiser des concours sur ce thème. Ainsi, des jurys composés de chanteurs connus sont installés pour récompenser de nouveaux talents. Ailleurs, des soirées familiales sur les places publiques ont permis à des chanteurs amateurs de se produire au cours du mois de Ramadhan.
Tout cela est louable pour cet art tant encensé mais combien, ô combien méconnu. Force est de reconnaître qu'il y a une volonté palpable de déployer cet étendard de notre patrimoine dans le ciel un peu morose de notre culture actuelle. Parent pauvre des budgets, même dans de nombreux pays dits avancés, la culture est pourtant la source à laquelle s'abreuve tout humain pour se retrouver, se reconnaître, s'identifier et se construire. En musique par exemple, on ne joue pas du violon de la même manière dans les pays slaves et arabes. La manière de tenir l'instrument est déjà différente. Les intonations dans le chant sont également un reflet des origines. Le texte du chant naît du verbe du public de tel ou tel pays. C'est à cet éventail de couleurs qu'on attribue la spécificité d'une culture. L'Algérie, à l'instar de tous les autres pays qui lui ressemblent, a besoin de s'exprimer par les codes qui lui sont propres. Echapper à une colonisation culturelle d'où qu'elle vienne est une autre manière de valoriser la sienne pour la rendre appréciée par d'autres et libérer les échanges. Ceci ne doit pas pour autant nous enfermer et obérer notre regard sur ce qui se fait ailleurs. Nous sommes aussi libres et, mieux encore, invités à écouter du jazz, du rap, du funky, des «mouacchahate», Oum Kelthoum et pourquoi pas Beyoncé. Mais revenons au chaâbi.
Innombrables sont les Algériens qui ne tarissent pas d'éloges sur le «chaâbi dialna», en toute sincérité. Mais comment l'apprécient-ils ? Quels sont leurs critères de jugement ? Sur quels codes peut-on définir un bon chanteur ? Quels sont les paramètres pris en compte pour médailler un futur «cheikh» ? Qu'y-a-t-il de particulier chez tel candidat consacré par rapport aux autres ? Il me semble qu'au regard du peu de réponses perceptibles à ces questions, la subjectivité des commissions et des membres organisateurs des manifestations chaâbi reste seule juge dans l'octroi des sésames lors des compétitions qui honorent d'un prix du meilleur chanteur chaâbi amateur. Pour plus de rationalité, une grille de notation apparaît, par conséquent, incontournable.
Aucune science n'est à déployer pour jauger le chaâbi. Par conséquent, des écoles ne se justifient pas. Le jeune interprète qui a eu la chance d'évoluer sous l'aile d'un maître a déjà la levure pour monter sa pâte. Mais les autres ? Une école de chaâbi porte le risque de reproduire des imitateurs qui ferment la porte à l'éclosion de nouveaux talents. Où sont les partitions musicales à proposer ? Elles n'existent pas. Par contre, les modes andalous sont à apprendre pour faire le lit de la musique. Ce n'est qu'un point de départ pour éviter les discordances pendant le chant et non pas pour déployer une nouba réservée à l'andalou. Le nombre d'instruments de musique à cordes et à percussion qui composent un orchestre traditionnel chaâbi est limité mais il suffit amplement. C'est aux musiciens d'élaborer leurs expressions à leur manière, sans déborder des lignes qui matérialisent l'aspect authentique, selon l'inspiration qui jaillit au cours du chant. C'est pourquoi les enregistrements studio sont boudés à l'avantage des soirées familiales «en live». Beaucoup d'initiés vous le diront. Le chaâbi n'existe qu'à travers la liberté.
Le texte souffre d'une insuffisance coupable et de piétinement de la grande poésie qui fait son essence, le «melhoun». Faut-il rappeler qu'il comporte plus de six mille textes !
Qu'en connaissent les chanteurs, même les plus chevronnés ? Malheureusement très peu. C'est pourquoi nous n'avons droit qu'à des chansons qu'on écoute depuis le temps où l'on jouait aux billes à ce jour. Et encore... Dans un délabrement et une amputation du texte pathétiques. Le cas des «khlassates» (morceaux rythmés qui concluent une chanson ou une «refda») est édifiant. Ce sont toujours les mêmes. Exemples : Selli houmoumek, Ya rassoulillah, Aâchiyatoun. Alors que le Professeur Ahmed Serri a commis un livre remarquable de compilation de chants andalous dans lequel on peut puiser des dizaines et des dizaines de «mkhilsate».
Les «qassaïd» de référence pour les chanteurs ont été «récupérées» chez d'anciens artistes ou chez des collectionneurs autoproclamés ou encore à l'écoute d'enregistrements, avec toutes les déformations de mots, d'impasses, d'attributions incorrectes de textes à des poètes, etc.. Il n'y a pas eu, au préalable de l'interprétation, d'étude de texte, de traçabilité, d'explications suffisantes ou à tout le moins rudimentaires pour offrir un document de base à habiller de musique et pour choisir les «mrammate» (mélodies) adéquates et par-delà une manière de chanter riche et novatrice. Il est évident qu'un «medh» (chant religieux) ne s'interprète pas comme un «ghazal»(chant d'amour). Les «douak'ine», espèce originale qui fait le parterre de cette poésie chantée sont autant de claviers dont chaque touche s'émeut au moindre effleurement de ce qu'on appelle chaâbi. Petits cercles d'antiquaires de documents sonores ou de philatélistes de timbres vocaux, conteurs pathétiques d'évènements, brodeurs d'histoires de quartiers... ils se comprennent d'un échange de regards, ont des papilles gustatives dédiées à cet art. C'est ce public d'initiés, les «doua'kine», qui a son mot à dire et de plein droit. Les oreilles du fan grincent au moindre faux pas ou quand la télé ou la radio opèrent une circoncision au beau milieu d'une diffusion.
En un mot, le chaâbi est un état d'esprit, un éventail de sensibilités, une perception, une interpellation... Rien de tout cela ne sort d'une école. Cesaria Evora a-t-elle fréquenté une école de fado ? Amar Ezzahi a-t-il bénéficié de cours au conservatoire ? Et pourtant... En définitive, le chaâbi ne trouve son existence que dans l'inspiration et la spontanéité de l'interprète. Alors de quoi ont besoin les candidats au titre de «cheikh» ? D'espaces où les jeunes chanteurs peuvent répéter et s'exercer. Des associations doivent être dotées de moyens pour les offrir. Un accès aux instruments, souvent coûteux, est aussi le bienvenu comme une médiathèque pour permettre l'écoute des anciens maîtres et dont les œuvres croupissent dans les archives de la RTA et qui ne sont pas dévoilées au public par paresse de l'esprit ou par incompétence de certains responsables et une bibliothèque achalandée de «diwane» (recueils) de «melhoun» que le ministère doit mettre à disposition. Un effort doit être consenti pour récupérer des manuscrits auprès de familles de poètes algériens qui détiennent ces trésors.
Le ministère de la Culture pourrait les acquérir pour les compiler et les dévoiler. Solliciter le concours de chercheurs : historiens, linguistes, poètes, musiciens, anthropologues pour s'atteler à traduire, corriger et expliquer des textes de cet immense patrimoine.
Forcer l'émulation par l'organisation de compétitions avec un jury composé de chanteurs, de poètes, d'initiés connus. Encore faut-il tenir compte de l'avis du public présent qui participera à la notation des candidats.
Exiger de tout compétiteur un texte nouveau avec une mélodie originale au-delà d'un texte chanté à la manière traditionnelle selon les styles. Ankaoui, Guerrouabiste, à la mode d'Ezzahi....
Elargir la diffusion de chansons méconnues et originales dans leur composition musicale par le canal de la radio et de la télévision. L'enregistrement dans des studios de qualité et la possibilité de vente publique à des prix raisonnables. Le concours de la presse pour établir des portraits des chanteurs en vue. Le chaâbi ne doit pas se limiter à la chanson. Il doit aller au-delà et investir le théâtre populaire, la comédie musicale et le conte arabo-berbère.
C'est en empruntant ces voies et certainement d'autres pour élargir l'audience du chaâbi et le porter hors de nos frontières. Le chemin est long.
Commencer vite s'impose à plus forte raison.


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