[email protected] Je n'aime pas ceux qui tentent d'atténuer, voire de justifier la cruauté ou l'ampleur d'un massacre qui se commet de nos jours, sous nos yeux, en invoquant des faits similaires antérieurs. On a vu ainsi de bonnes âmes invoquer pêle-mêle l'équipée sanglante des Templiers sur les côtes de Syrie, le nettoyage ethnique des Indiens des Amériques, ou les crimes de la colonisation en Algérie. On a même entendu le dirigeant turc Erdogan sommer la France de cesser d'invoquer le million et demi d'Arméniens, tués par les Turcs entre 1915 et 1918, au nom du même nombre de tués en Algérie. C'est de bonne guerre au demeurant, car on peut difficilement rêver tout haut de rétablir le califat ottoman et nier le génocide arménien, l'emprise obscurantiste sur l'Islam du pourtour méditerranéen. Alors, à chacun ses célébrations, ses reconstitutions funèbres et ses deuils préférés, ainsi que ses anathèmes récurrents. Il faut certes commémorer le génocide arménien, ainsi que l'Holocauste juif dont il a été le prélude, puisque les Allemands viennent de reconnaître leur responsabilité dans l'un, comme ils l'ont fait dans l'autre. On commémore les crimes passés, dit-on, pour éviter les crimes à venir, sans pour autant pouvoir ou vouloir arrêter la machine infernale des meurtres collectifs et des pogroms méthodiques. Et si le génocide peut et doit être apprécié à l'aune des statistiques démographiques, joignons nos mains, en regardant vers Erevan, et n'oublions pas les Aztèques, les Indiens, les Aborigènes et les Palestiniens, chassés de leurs terres et voués, tôt ou tard, à rejoindre la filière. Des chiffres, encore des chiffres qui se bousculent sur nos lucarnes : 700 morts par noyade en Méditerranée, la semaine dernière, après avoir payé leur billet à deux passeurs, l'un tunisien et l'autre syrien. Les deux persuadés, sans doute, qu'ils étaient de bons musulmans, exerçant un métier conforme à «leur» religion et à «leur» morale, et derrière eux une relève assurée, dans la prospère industrie du malheur. Je vous livre rapidement ici les derniers mots du «testament» d'un naufragé syrien, dont je ne garantis pas l'authenticité, mais qui sent le vrai, le vécu : «Que l'administration des réfugiés se rassure, je ne serai pas un fardeau pour elle. Merci à la mer, merci à toi qui nous as accueillis sans visas et sans passeports. Merci à tes poissons qui se repaîtront de ma chair sans me poser de questions sur ma religion ou sur mon appartenance politique. Merci aux chaînes d'information qui parleront de notre mort, toutes les heures, pour cinq minutes, et pendant deux jours. Merci à vous, à tous ceux qui ressentiront du chagrin en apprenant la nouvelle. Je suis désolé de m'être noyé.» Un autre chiffre : celui des jeunes filles françaises qui ont rejoint Daesh en Syrie et en Irak, et qui surpasserait celui des garçons, qui ont épousé, si l'on peut dire, la même cause, même si ce n'est pas pour les mêmes services. Selon le quotidien londonien Al-Quds, la proportion garçons filles, en partance vers la Syrie, qui était de 53% contre 47%, il y a quelques mois, est en train de s'inverser. Ainsi, en mars dernier, les services concernés du ministère français de l'Intérieur ont reçu 136 avis de disparition de filles, parties combattre en Syrie et en Irak, contre 125 pour les garçons. Selon le journal qui cite des sources officielles, d'avril 2014 à avril 2015, quelque 3 670 jeunes Français, dont une majorité de filles, sont allés rejoindre les groupes islamistes en Syrie et en Irak. Ces candidats au djihad sont recrutés essentiellement via les réseaux sociaux, sur le Net, de plus en plus actifs, et qui font appel à un nombre de plus en plus élevé de recruteurs féminins. Les cibles principales de ces recruteurs sont généralement des adolescentes qui ont un faible caractère, très peu de culture religieuse, et qui sont donc plus facilement manipulables. Plus prosaïquement, une sociologue du cru explique cette attraction de l'aventure syrienne par le désir de fonder un foyer, après une déception sentimentale et avec un djihadiste, perçu comme le mari idéal. Quant aux parents, ils font le plus souvent semblant de ne rien voir et jouent les étonnés, lorsque leur progéniture verse dans le terrorisme actif ou dans les réseaux de soutien au terrorisme. Quand ils ne protestent pas de l'innocence de leurs enfants qu'ils «n'ont pas élevés comme ça», les parents se réfugient dans le déni habituel et dans un argumentaire plus propice à nourrir l'islamophobie qu'à la désarmer. Lorsqu'un imam saoudien emmène sa jeune et troisième épouse faire une «omra» à La Mecque, en guise de voyage de noces, et pour rendre grâce au ciel, cela peut faire sourire. Et quand, il profite de l'absence momentanée, avec sa permission, de la troisième, pour en épouser une quatrième, il peut, à bon droit, remercier Dieu pour ces justes et légales noces. Nous sommes libres aussi de nous offusquer de cette goujaterie, à laquelle on associe sans sourciller la divine providence. Mais on notera que ceci se passe à l'intérieur des frontières d'un pays d'Islam, même si c'est celui d'un Islam contestable, l'essentiel étant que notre huile ne déborde pas de notre semoule. Il importe surtout de ne pas s'évertuer à partager une certaine folie avec autrui et avec les gens qui y sont habituellement réfractaires, de surcroît. Mais si le même illuminé quitte la citadelle pour s'installer en Australie, pays de tradition chrétienne et laïque et qu'il y ouvre une «école islamique» pour y enseigner que le sprint fait courir aux filles le risque de perdre leur virginité, il y a comme un non-sens, pour ne pas dire hérésie. Et pourtant, ils l'ont fait, les adeptes et exportateurs du wahhabisme, tellement sûrs d'eux et assurés de notre passivité ou soumission, qu'ils sèment à tous vents les graines de l'islamophobie. Au risque de nous condamner à récolter. A. H. http://ahmedhalli.blogspot.com/