De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari Les naufragés en Méditerranée et Bachar Al-Assad à l'ordre du jour. Victoire probante du Président syrien. Le Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens qui s'ouvrira, demain à Bruxelles, est, assurément, exceptionnel. Les «28» insistent justement sur cet aspect comme pour préparer leurs opinions publiques à des décisions d'un autre type que celles prévalant jusqu'à maintenant. Pourtant, Bruxelles n'a pas une grande marge de manœuvre et comme la plus belle fille au monde, elle ne peut donner que ce qu'elle a. Les Européens n'ont plus grand-chose à proposer et ils le savent. Ils se contenteront d'effets d'annonce destinés à la consommation interne en attendant que passent les vagues, et c'est le cas de l'écrire. Convoqué en urgence suite aux naufrages successifs en Méditerranée, le conclave n'en reste pas moins important. Les mesures qui seront prises sont déjà, à peu près, rendues publiques (retour vers Frontex, cette armée des mers européenne spécialisée dans la traque des clandestins maritimes, aides un peu plus sérieuses pour l'Italie, principal point d'arrimage des chalutiers de la mort, surveillance accrue au départ des embarcations...). Pourtant, le Sommet s'intéressera davantage à la géostratégie, à la politique et à la doctrine par rapport à ce phénomène. Si les responsables européens n'osent pas l'avouer en public, ils sont, en revanche, sûrs du fait qu'un changement stratégique dans la gestion de ces affaires doit avoir lieu, urgemment. En coulisses «parlementaires» par les ballons-sondes de la Commission ou par les propos de «gorges profondes» traditionnellement informées, Bruxelles estime que la désintégration de la Libye, les troubles en Tunisie post-Ben Ali, en Egypte et la volonté de détruire Bachar Al-Assad en Syrie, sont des facteurs de chaos aggravants. L'interview accordée par le président syrien à la chaîne publique France 2, d'évidence commandée ou à tout le moins couverte par l'Etat français, est un indice sérieux du revirement franco-européen à venir. Dans cette sortie très suivie en Europe, Bachar a pointé trois pistes. La première est que les échanges et les contacts entre services de son pays et européens existent. La seconde est son regret de constater le soutien de la France aux groupes djihadistes. La troisième est sa disponibilité à ouvrir le débat avec l'Union européenne. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les déclarations du Président syrien recoupent le consensus actuel à Bruxelles. L'Allemagne, l'Espagne, le Royaume-Uni, les Nordiques, le Portugal, ceux de l'ex-Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) sont tous d'accord, qu'en l'état actuel du rapport de force, mieux vaut Bachar que Daesh, le régime syrien étant incontournable dans la lutte antiterroriste dans la région. La France est un cas à part. Hollande, qui laisse reprocher par ses hommes, l'expédition guerrière de Sarkozy en Libye, est prisonnier de ses premières prises de position contre le régime syrien. Depuis, la diplomatie secrète française a fait évoluer les lignes, mais au plan symbolique, l'actuel locataire de l'Elysée ne peut pas se déjuger complètement. Surtout à lavant-veille de l'élection présidentielle en 2017, ce qu'habilement a relevé Assad chez Pujadas. La parade existe, néanmoins. Elle consistera en le respect, par la France, du consensus européen, consensus largement en faveur de la reprise du dialogue avec Bachar Al-Assad. Le Sommet de demain actera cela. Bachar s'est, en quelque sorte, invité à Bruxelles. N'était-ce pas l'objectif recherché par France 2 en interviewant le Président syrien ?