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La violence sociale en Algérie
La conséquence d'une désagrégation culturelle et sociale
Publié dans Le Soir d'Algérie le 21 - 05 - 2015


Par Belkacem Lalaoui
«La plus dangereuse création d'une société est un homme qui n'a rien à perdre.»
(J. Baldwin)
Bien que l'on observe, en Algérie, une répulsion de plus en plus profonde des citoyens devant la réalité de la violence mise en œuvre au quotidien, la société algérienne reste encore régie par la conception collective de l'honneur du clan ou du lignage, l'affirmation virile et l'usage de la vengeance libre ; conséquence d'une désagrégation culturelle et sociale, qui a atteint le cœur de la société : la famille et l'école. En effet, dans les débats sur la violence sociale relevant des conditions d'existence, c'est toujours le même reproche que l'on adresse à ces deux institutions : elles déçoivent. Elles ne font rien pour combattre la violence. Mieux, elles l'attirent comme le cadavre attire les mouches.
Beaucoup d'espoirs étaient fondés sur la conviction que les enfants, dont l'enfance se déroule dans une bonne atmosphère éducative à la maison et à l'école deviendront des hommes équilibrés et des hommes civiques. Or, on s'aperçoit que la famille et l'école n'assument plus leur fonction «régulatrice» dans les comportements anomiques, et l'«autocontrôle» des pulsions d'agressivité de l'individu.
De nombreux éducateurs spécialisés s'accordent, aujourd'hui, à dire que ces deux institutions normatives ne constituent plus de puissants «amortisseurs», dans l'extrême complexité du phénomène violence sociale. Elles n'opèrent plus de liaison avec la société et ne perpétuent plus la nature du «lien social», par un ensemble de schémas de conduite adaptés et de valeurs appropriées.
La famille et l'école ont perdu leur caractère de sérieux et d'efficacité, pour développer les qualités utiles à la société : elles sont devenues des foyers de tension, de désordre et de violence. Les pulsions et les passions, qui se déroulent au sein de ces deux institutions sociales fondamentales, n'ont plus de limite : elles vont toujours un peu trop loin.
La famille et l'école menacent la société d'effondrement
Ayant perdu leurs traits caractéristiques et une bonne partie de leur densité morale, la famille et l'école ont atteint un irrévocable processus de décomposition ; en se transformant en des institutions d'«expulsion» et non d'«intégration». Elles ne sont plus en mesure de proposer une mise en forme du comportement humain, avec un ensemble de règles et de normes, qui seraient claires, convaincantes et bien fondées. Elles menacent, dit-on, la société de déstabilisation, voire d'effondrement. C'est ainsi que la famille n'indique plus de chemin à suivre : «chacun fait ce qu'il veut». Elle n'est plus le lieu où l'on construit des règles et des normes de comportement, initie à la maîtrise des pulsions, éveille à la sensibilité morale et cultive la pudeur.
La famille algérienne est devenue une «niche développementale», dépourvue d'une totale absence de «psychologie parentale» ; qui renferme les croyances et les valeurs fondamentales ayant trait au développement de l'enfant et à son éducation. Elle donne l'image d'une institution, qui n'est plus en mesure d'imposer un quelconque code moral susceptible de gouverner les conduites et de façonner les identités culturelles. Elle n'est plus capable de faire plier ses membres à des règles et des normes, par une prise en charge constante et une surveillance de tous les instants. On assiste, en son sein, à l'effondrement de toutes les valeurs traditionnelles et des rites initiatiques structurants, qui confèrent à l'individu un vif sentiment d'appartenance ; et qui permettaient de révéler aux nouvelles générations le sens profond de l'existence, de devenir un citoyen et de participer ainsi à la culture de la communauté. La famille algérienne, en laissant «croître des inclinaisons vicieuses dans l'âme de ses enfants», ne prépare plus à la vie. Aujourd'hui, elle abrite des «abus» extrêmes de toutes sortes, qui viennent impunément se réfugier dans l'espace de la maison ; et autour desquels chacun préfère garder le silence et l'obscurité.
L'école, elle, continue de fabriquer des sujets, qui restent engagés dans diverses «orientations mystiques» ; et qui pour cette raison sont incapables de penser correctement. Abandonnée aux ténèbres et à l'aveuglement, cantonnée dans un strict rôle technique d'instruction, et non d'éducation, l'école algérienne ne procure plus à l'enfant les conditions d'une bonne «croissance cognitive» : «La façon dont les êtres humains apprennent graduellement à se représenter le monde dans lequel ils opèrent...» (Bruner). Elle ne l'aide pas à accéder à de nouvelles manières de regarder le monde. C'est une école de la passivité et du conformisme, qui ne répond plus aux vrais problèmes de l'éducation et aux besoins de l'enfance et de la jeunesse de notre temps.
Fermée au langage des idées et des valeurs nouvelles, simple lieu où l'on occupe les enfants à écouter, à copier et à réciter, l'école a contribué pour une large part à la propagation de l'abrutissement intellectuel, du fanatisme idéologique et de la passivité politique de la jeunesse. Conservatrice et réactionnaire, elle ne constitue plus un lieu décisif de production de sens, d'expérimentation et d'innovation. Fonctionnant sur un «style éducatif» particulier, qui vise essentiellement à «surveiller» et à «punir», elle prend l'allure d'une institution cuirassée de coercition : un espace clos et délimité, séparé du monde et de la vie.
La désertion généralisée des valeurs et le manque de socialisation sont à la racine du malaise de l'école algérienne. C'est ainsi que des disciplines comme le sport, le chant, le dessin, la danse, la musique, le théâtre, etc. y sont très peu favorisées. Ces matières, qui ont toujours illustré l'idéal de la Cité en matière de «socialisation» et de «fertilité culturelle», ne sont plus considérées comme des éléments fondamentaux dans l'éducation et la formation du citoyen. Elles ne participent plus à former le «corps sensible». Aujourd'hui, dans les trois ordres de l'enseignement traditionnel (le primaire, le secondaire et l'universitaire), le prestige et l'autorité des enseignants ont complètement disparu. Pour le jeune Algérien, son professeur n'est jamais que celui qui «lui vend des connaissances et des méthodes pour de l'argent».
Les mécanismes d'enculturation et de socialisation, effectués par la famille et secondairement par l'école, ne fonctionnent plus convenablement. Ils continuent de distiller une forme de violence diffuse, douce et muette, qui pénètre profondément les conduites sociales, les attitudes et les mentalités. Ce sont des mécanismes d'enculturation et de socialisation qui ne participent plus à produire la véritable éducation, celle qui doit veiller à ce que l'homme ne devienne pas inhumain, «barbare», c'est-à-dire hors de son essence véritable.
Une société dont le futur apparaît comme menaçant et incertain
En somme, la société algérienne, par le biais des deux institutions sociales que sont la famille et l'école, n'a pas su imposer des comportements pro-sociaux et présider à la formation d'une «conscience morale. Elle n'a pas su, en effet, donner un sens et une valeur morale à l'existence humaine, à la vie et au monde ; c'est-à-dire inventer un «projet d'existence» qui puisse délivrer l'homme de ses colères, de ses peurs et de ses haines. C'est une société qui a plongé ses racines dans l'espace des régimes dictatoriaux, qui pratiquent systématiquement la «gouvernementalité du ventre» (A. Mbembe) avec la fraude et la corruption : deux actes graves de trahison à l'égard du peuple.
Se nourrissant beaucoup plus d'images du passé que de celles de l'avenir, elle continue de rechercher dans l'«hérédité», plutôt que dans l'«héritage», l'explication de ses échecs. Ses habitants, ravagés par la colère et la frustration, ont basculé dans la rupture radicale et frontale avec leurs dirigeants qu'ils considèrent comme étant des hommes semi-illettrés et fondamentalement corrompus. Sa jeunesse, voyant ses exigences personnelles méprisées, n'est plus attachée à la famille et à l'école, ne voit plus l'intérêt de l'éducation et de la formation, ne croit plus dans la validité des règles sociales et morales et ne supporte ni discipline ni hiérarchie. Témoin de tant de «mesquinerie humaine», la jeunesse algérienne est devenue sourde au discours de l'ordre et de la loi. Aujourd'hui, sa «friandise mortifère» c'est la violence de «tous contre un», une forme de violence gratuite de caractère dionysiaque, qui brave l'interdit et à qui les Anglo-Saxons ont donné un nom : lynching (lynchage). Armés de couteaux et d'épées, des groupes de jeunes n'hésitent plus à s'affronter d'une manière féroce. Pour ces groupes de jeunes, à qui l'on a appris qu'il faut mourir pour pouvoir vivre, le lynchage est devenu une pratique légale, un acte de justice, un jugement de Dieu, qui ramène la paix dans le groupe et apaise la communauté. Les jeunes, en Algérie, ne deviennent pas violents du jour au lendemain. Ils y viennent tranquillement. On les accompagne avec des youyous. L'Etat, lui, n'est plus l'organe de la communauté nationale : il a perdu sa réalité ontologique. Il ne régule plus la vie des citoyens. Il est devenu un simple lieu d'enrichissement d'un cercle fermé d'«oligarques privilégiés», qui assume si peu de responsabilité pour le bien public. Pour ce qui est de la justice, elle se caractérise, quant à elle, par l'usage de la «lustration». Il s'agit, là, d'un vocable que l'on utilisait dans l'«ancienne Tchécoslovaquie» pour donner une nouvelle virginité à son passé politique ou bien pour que le mal, la faute, la souillure, qu'on ait pu commettre dans le passé ne soit pas punis. Quant à l'intelligentsia, elle est devenue bègue.
Une société rude dans son expression à l'intérieur et à l'extérieur
En définitive, la société algérienne donne l'image d'une communauté rude dans son expression à l'intérieur et à l'extérieur, qui vit exclusivement sous l'emprise de certaines émotions fortes et des mouvements affectifs extrêmes. Elle se caractérise, aujourd'hui, par la pratique du «lynchage» ; autrement dit, par la brutalité organisée et rationalisée. C'est une société, qui ne ressent plus spontanément la misère de l'autre. Pure juxtaposition d'individus, elle reste, cinquante- trois années après l'indépendance, divisée en deux communautés parallèles : celle des «gens d'en haut» (les «gens de bien») bénéficiant de l'«impunité zéro», et celle des «gens d'en bas» (les «gens de rien») à qui l'on continue d'appliquer la «tolérance zéro». Avec cette bipolarisation, on aboutit d'un côté à une minorité de personnes possédantes, égoïstes et tyranniques, plongées dans un festin de privilèges, comme du temps de la gouvernance coloniale ; et de l'autre côté, à une masse indigène amorphe, qui continue de s'enfoncer décennie après décennie dans la superstition, l'idolâtrie et la sorcellerie, voire dans les fanatismes religieux et politiques de toutes sortes. Tout ceci donne l'impression à l'«homme occidental» (selon la belle formule d'Edward Saïd), que l'Algérie est un pays musulman lointain principalement désertique ; avec des moutons, des chameaux, des cheikhs, des imams en formation, des mosquées en construction, des stades en rénovation, des hôpitaux inachevés, des salles de cinéma et de théâtre fermées, des écoles et des universités en grève, des familles humiliées, des femmes et des enfants violés, une jeunesse tourmentée, des vieux abandonnés, des gens avec des couteaux entre les dents, des terroristes, etc. Un pays, peuplé d'hommes et de femmes ayant divers défauts psychologiques. Un pays, où «le centre est partout, la circonférence nulle part». Un pays, où la corruption est devenue une vertu : une disposition intérieure permanente, un état habituel. Un pays, qui fonctionne au rythme des chuchotements des courtisans et dont l'attitude est destinée à déteindre sur les autres sujets : «Ce que ceux-là font toujours, ceux-ci doivent le faire parfois.» (E. Canetti). Un pays, qui n'apprend «l'anglais que pour... répondre aux ordres et transmettre des télex, etc. Un point c'est tout.» (Edward Saïd). Un pays, où le responsable politique n'a plus de conscience : «Je n'ai pas de conscience, disait Goering, ma conscience, c'est le Führer.» Un pays, où «le fou n'est plus à l'asile où il sert à enseigner la raison, et le monstre n'est plus dans le bocal de l'embryologiste où il sert à enseigner la norme» (G. Canguilhem). Un pays gouverné par des clubs de football et pour la plupart du temps, il ne s'en doute guère. Un pays, où les archéologues ne trouvent pas beaucoup de choses. Un pays musulman bizarre, qui ne peut servir qu'au profit ou à la violence. Disons, pour faire bref, que l'Algérie est un «pays atteint».
Aujourd'hui, encore, le pouvoir est incapable de promouvoir des mesures politiques efficaces et concrètes en faveur de l'école, et ce, afin de mettre en place une authentique politique d'éducation, dont dépend la vitalité d'une nation. Car, c'est bien par l'éducation des enfants que l'on peut combattre la violence sociale.
Or, c'est bien dans le domaine éducatif que l'Algérie a failli. Comment, en effet, éduquer pour que la société algérienne se «détourne» de la violence ?
L'éducation en Algérie : absence d'un idéal de l'existence (d'une éthique)
Depuis l'Antiquité, on a tendance à distinguer «(...) Dans toute éducation deux aspects : une technique, par laquelle l'enfant est préparé, et progressivement initié à un mode de vie déterminé, et une éthique, quelque chose de plus qu'une morale à préceptes : un certain idéal de l'existence, un type idéal d'homme à réalise» (Marrou). En effet, dans une étude approfondie, portant sur l'histoire de l'éducation, le Polonais Bogdan Suchodolski a tenté de faire ressortir deux tendances fondamentales, celle d'une éducation fondée sur l'«essence», qui repose sur une conception idéale de l'homme (chez Platon et Saint Thomas d'Aquin) ; et celle d'une éducation, plus tardive, fondée sur l'«existence» et qui prend l'homme tel qu'il existe réellement et non tel qu'il devrait être (chez Rousseau et Kierkegaard). C'est à l'aide de ces deux orientations, que l'on se mit à éclairer les problèmes de l'éducation d'une manière nouvelle. A la base de cette opposition se trouve la controverse philosophique classique de la philosophie de l'essence et de la philosophie de l'existence, controverse qui remonte aux temps les plus reculés et n'a jamais cessé d'être vivante jusqu'à nos jours. Cette querelle philosophique ne touche pas seulement des problèmes métaphysiques abstraits, elle touche aussi l'homme concret, l'homme en chair et en os. En effet, pour les éducateurs professionnels, la philosophie de l'homme se forme de façon toute différente ; selon que l'on prend pour point de départ la philosophie de l'essence ou celle de l'existence. Et cette différence, justement, nous conduit au cœur même du conflit fondamental de la pensée pédagogique moderne et donc des querelles et des luttes, qui ont lieu entre les partisans de ce que l'on peut appeler pédagogie de l'essence ou pédagogie de l'existence. Comment doit être l'homme ? Faut-il, par exemple, concevoir l'«essence» de l'homme comme achevée depuis toujours ou faut-il la comprendre comme en formation, en changement tout au moins dans certains domaines ? L'individu se développe-t-il uniquement par ses forces intérieures (un ensemble d'instincts et de besoins qu'il cherche à assouvir), ou au contraire par sa participation et son intégration au monde historique et social ? Ainsi est né le problème du développement de l'homme. Ainsi est née l'idée que la formation de l'Homme doit être, en dernière instance, le fruit de son développement et de son adaptation à un environnement donné. Pour la pédagogie de l'essence, par exemple, l'éducation est une soumission de l'Homme aux valeurs et aux dogmes traditionnels. Elle doit lier l'homme à sa patrie véritable, à sa patrie céleste, en détruisant en même temps tout ce qui attache l'Homme à son existence terrestre. C'est Rousseau le premier, qui va se révolter contre la pédagogie de l'essence et qui va réclamer une vie libérée des entraves de l'opinion, des modèles et de la morale conventionnelle. Le programme pédagogique de cette révolte est contenu dans l'Emile, un ouvrage qui va devenir, jusqu'à ce jour, le manifeste de la nouvelle pensée pédagogique. Un ouvrage, qui va nous montrer la profondeur inconnue du processus éducatif dans ses liaisons avec la vie réelle de l'Homme. En effet, l'éducation (selon Rousseau) ne doit pas consister à modeler l'enfant d'une certaine façon : elle doit être la vie même de l'enfant. L'éducation doit apprendre à l'enfant à vivre dans la vie réelle : elle doit répondre aux questions posées par la vie. C'est, aussi, l'approche prônée par Pestalozzi, Froebel et R. W. Emerson, pour qui l'éducation doit être aussi vaste que l'homme lui-même : elle doit faire apparaître et renforcer tout ce qui se trouve en l'Homme. Elle ne doit pas limiter et freiner, mais libérer et sublimer. Tous ces auteurs, précités, donnaient au terme «existence» un sens de participation à une communauté culturelle nationale. Ils furent rejoints par les tenants de la pédagogie religieuse classique tels que Schleiermacher pour la pédagogie protestante et J. H. Newman pour la pédagogie catholique ; qui s'opposèrent, eux aussi, aux méthodes traditionnelles de contraindre et de répression. Ces derniers mettaient déjà en garde les maîtres contre une néfaste illusion : la connaissance imposée par le verbe et la mémoire n'est pas profitable à l'enfant.
En effet, pour tous ces éducateurs, l'école doit attacher une importance décisive à l'activité de l'enfant, à ses besoins, à sa curiosité et à sa sensibilité, facteurs fondamentaux de son développement physique, mental et moral. Dans cette perspective, l'éducation tournée vers l'avenir, pour Bogdan Suchodolski, devrait être pédagogie de l'existence en même temps que pédagogie de l'essence.
L'idéal ne doit ni sanctionner la vie actuelle ni prendre une forme tout à fait étrangère à cette vie. Car, c'est seulement lorsque l'activité pédagogique s'alliera à une activité sociale visant à ce que l'existence de l'Homme ne soit pas en contradiction avec son essence, que l'on obtiendra une «éducation de la jeunesse» dans laquelle la vie et l'idéal s'uniront de façon créatrice et dynamique. Cette forme d'éducation, le pédagogue Wilhelm von Humboldt a tenté de la mettre en place en Allemagne, au XVIIIe siècle.
L'exemple d'une réforme de l'école prônant l'«éducation de soi-même»
Dans une réforme de grande ampleur, l'Allemand Wilhelm von Humboldt proposa un idéal d'éducation et de formation, qu'il appela la Bildung ou «éducation de soi-même» : un processus d'apprentissage, qui permet à un sujet de développer ses propres qualités et capacités concrètes. Cette forme d'éducation et de formation va exprimer, avec des dispositions psychologiques correspondantes, la culture allemande : la «culture de soi». Succédant à Pestalozzi et aidé dans son œuvre par les deux génies allemands de l'époque, qui ont fait frissonné le monde (Schiller et Goethe) ; Humboldt réforma d'un trait l'enseignement primaire et secondaire et créa l'université de Berlin. Avec son concept de la Bildung (terme qui désigne l'éducation de soi, la formation de soi, le développement et le perfectionnement de soi, etc.), Humboldt voyait dans cette «théorie morale de l'éducation» la clef de la renaissance allemande. Toute sa pédagogie se résume ainsi : «Un homme ne peut rien faire de plus aux autres que de travailler à son propre perfectionnement.» On retrouve cette conception de l'éducation chez un auteur comme Plotin, pour qui «chaque homme doit se fixer comme tâche fondamentale de modeler sa propre statue». Pour W. von Humboldt, la première «qualité morale» qui doit être enseignée est bien la recherche de l'éducation de soi-même, de l'excellence individuelle, au service du bien social. Aujourd'hui encore, la Bildung ou l'idéal de l'éducation de soi-même désigne la kultur (culture) allemande tout entière : celle qui exprime la «ferveur pour la vie», le «vouloir vivre», la «volonté de puissance». L'œuvre pédagogique de Humboldt nous enseigne, que par l'«éducation de soi-même» chaque communauté est capable de libérer «le caractère créateur de l'agir humain» et d'exprimer à sa manière un aspect positif de l'humanité. Car, c'est à travers l'éducation que l'on peut pacifier une société et recréer le lien social par le bas. C'est, aussi, à travers l'éducation que l'on peut édifier une société morale et tolérante. C'est, encore, par l'éducation que l'on peut lutter contre la violence sociale. Tout le reste n'est que démagogie. Aujourd'hui, l'école algérienne a la capacité de se réformer : elle possède des hommes et des femmes de grande valeur, capables de mettre fin à la «violence de l'éducation», qui constitue dans notre pays le socle de la «violence sociale».


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