[email protected] A peine installée dans ses fonctions qu'aussitôt se sont manifestées des critiques acerbes relatives à sa promotion. Madame Benghebrit est décidément la seule, parmi les nouveaux ministres, à subir l'épreuve d'une sorte de bizutage sur les réseaux sociaux tout à fait indigne. C'est qu'au soupçon intellectuel qui lui est infligé l'on n'a pas hésité à rajouter des allusions ad hominem(1). une violente hostilité que, a priori, rien ne justifie mais qui doit sûrement être connotée par l'importance des enjeux que représente l'urgence d'une révolution dans notre système éducatif. Débutante certes dans la carrière politique, l'universitaire en question n'est cependant pas une novice dans le domaine de la responsabilité qui vient de lui être affectée. Chercheuse au CRASC, n'a-t-elle pas consacré de nombreux travaux à l'examen et au diagnostic de l'école algérienne ? loin de n'être qu'une dilettante soucieuse de respectabilité politique elle arrive à cette fonction avec des idées arrêtées sur le vaste sujet et sûrement le désir de refonder l'instruction publique par la voie des grandes chirurgies. Sans doute faut-il expliquer la levée de boucliers qu'elle suscite par la crainte des lobbies idéologiques, solidement enracinés dans le système éducatif, de se voir à terme désavoués. le combat qui s'annonce, le sien évidemment, sera déterminant pour l'avenir. encore lui faut-il conquérir au préalable le soutien du pouvoir politique et l'adhésion, la plus large, de la communauté des enseignants. Vastes manœuvres auxquelles elle est astreinte lorsqu'on est confronté à un pareil «mammouth» de l'échec, comme le désignait par le passé un ministre français de l'Education nationale. C'est, qu'après un quart de siècle de laminage, même les praticiens de l'enseignement (du marchand d'alphabet au professeur d'université) avouent leur perplexité face aux postures des ministres qui se sont succédé. De Benmohamed, dont la férule n'a pas empêché le scandale du baccalauréat en 1990, jusqu'à l'inénarrable Benbouzid qui acheva la besogne de la clochardisation de l'école, tous ont été remarquables par leur impuissance à s'opposer à l'endoctrinement de l'école algérienne. le sinistre, diagnostiqué dès la fin de la décennie 1980, continue à faire les mêmes ravages à telle enseigne que l'université, devenue réceptacle de têtes mal dégrossies, revoit à la baisse son magistère jusqu'à ne délivrer que des «quitus» tout juste bons pour le parking du pré-emploi. le système éducatif, supposé être l'armature du développement, fonctionne à ce jour sur des modalités souvent dénoncées par les spécialistes sans que l'on s'explique pourquoi le pouvoir politique a préféré fermer les yeux et même réfuter l'idée d'accompagner la remise en question radicale de ses fondamentaux pédagogiques. Cette problématique de fond dont il n'a cessé de différer le traitement a un intitulé : l'idéologie. et ce furent ponctuellement les obédiences religieuses qui rappelèrent cette «référence» ou «constante» toutes les fois où certains pédagogues ès qualités avaient tenté d'extraire du corpus du savoir certaines matières relevant du domaine de la spiritualité. A l'exemple de l'instruction religieuse qui s'est substituée à l'éveil civique, l'école a fini par dispenser une scolastique verbeuse qui ne préparait guère les esprits des enfants à l'acquisition des outils de la rationalité. A l'origine donc de la faillite de l'école algérienne il y eut d'abord l'imposture des pouvoirs politiques. leurs fuites en avant puis leurs compromissions tactiques avec les courants traditionnalistes décidèrent de la suite. C'est-à-dire du bilan présent. Car, à travers la similitude dans la démarche des différents régimes qui se sont imposés au pays, l'on peut, en effet, relever qu'il en a toujours été ainsi, s'agissant des objectifs de l'école. Depuis le limogeage de Lacheraf par un Boumediène, cédant aux doctrinaires du parti unique qu'étaient les Cheriet et consorts, l'école est devenue depuis une monnaie d'échange politique et d'équilibre des forces antagoniques qui traversent les régimes. la reconduction du même «bail» devenait d'ailleurs un confortable alibi à ses successeurs. Chadli, Zeroual et aujourd'hui Bouteflika ont tour à tour affecté à la tête du plus grand ministère du gouvernement, en termes de budget et de résonance sociale (9 millions d'enfants scolarisés, soit une moyenne de 5 millions de familles), de simples commis aux ordres, alors qu'il eût fallu faire de l'éducation nationale un grand «ministère d'état» aux prérogatives sanctuarisées ne souffrant aucun marchandage oblique. C'est peut-être ainsi qu'il appartient au président de la république de mettre un terme à l'insane croisade qui se développe depuis quelques jours. est-il interdit d'y croire ? B.H. 1) Dans leurs éditions du mercredi 21 mai Le Soir d'Algérie et El Watan ont consacré des articles et des titres dans leur «une» à la polémique autour de la nouvelle ministre de l'éducation nationale.