De notre envoyé spécial à Blida, Mehdi Mehenni Il aura fallu attendre le passage des témoins à la barre pour voir, pour la première fois depuis le début du procès, Moumène Khalifa acculé. Après huit ans de réclusion, l'ex-directeur de la caisse principale de Khalifa Bank, Akli Youcef, a décidé de tout déballer. Ce jeudi, il a expliqué devant le juge, comment son ancien patron se servait des caisses de la banque. La seconde phase du procès Khalifa n'aura pas été de bon augure pour l'ex-golden boy. Jusque-là épargné par l'ensemble des prévenus, détenus auditionnés, Moumène Khalifa a été acculé ce jeudi, lors de la première comparution ouvrant le passage des 300 témoins attendus à la barre du tribunal criminel près la cour de Blida. Akli Youcef, ex-directeur de la caisse principale de Chéraga, et dont le témoignage était tant attendu, a expliqué, devant le juge, comment Moumène Khalifa disposait de l'argent de la banque. Il commence par dévoiler que c'est Moumène Khalifa qui venait, au début, récupérer l'argent à la caisse principale. Il reconnaît, d'ailleurs, que c'est lui-même qui le lui remettait. Le juge veut savoir si l'opération était inscrite dans un quelconque registre, le témoin répond qu'il se contentait de griffonner le montant servi dans une feuille volante ou encore sur un bout de papier. Antar Menouar s'exclame et l'interroge sur les écritures bancaires. Akli Youcef ne fait pas dans l'économie des aveux, et affirme qu'elles restaient en suspens. En clair, l'argent dont disposait Moumène Khalifa n'était pas inscrit dans la comptabilité de la banque. Ayant purgé sa peine, après une condamnation de huit ans à la prison ferme, en 2007, le témoin du jour n'avait pas l'intention d'en rester là. Il explique comment des personnes envoyées par Moumène Khalifa venaient récupérer des enveloppes par la suite. Le directeur de la sécurité du groupe Khalifa, Abdelhafid Chachoua, le garde rapproché Abdelwahab Dellal, l'inspecteur général de la banque Ahmed Mir, le conseiller Salim Bouabdellah venaient, entre autres personnes, récupérer de l'argent pour Moumène Khalifa. Comment ? Sur un simple coup de fil du patron et toujours sans la moindre procédure bancaire, atteste Akli Youcef. Une confrontation et des déballages ! Pour rappel, Dellal Abdelwahab, garde rapproché de Moumène Khalifa, avait tenté de blanchir son ex-patron lors de son passage à la barre, mardi 13 mai, durant la septième journée du procès. Comme il figure parmi les personnes qui récupéraient l'argent pour Moumène Khalifa de la caisse principale de Chéraga, il avait tenu ce propos : «Puisque mon salaire était de 150 000 DA, celui du patron pouvait atteindre facilement les 150 millions de centimes. Je pense, donc, que l'argent que je récupérais pour lui était retiré de son compte bancaire.» Mais il se trouve qu'Akli Youcef, cette même personne qui remettait des enveloppes à Dellal Abdelwahab sur ordre de Moumène Khalifa, affirme aujourd'hui que tous savaient que l'argent était retiré de la trésorerie de la banque et sans la moindre procédure légale. Il ajoute devant le juge Antar Menouar, que l'ensemble des cadres et fonctionnaires de la banque étaient au fait de ces retraits non réglementaires mais aussi du trou financier de la caisse principale de Chéraga. Un préjudice qu'il a estimé, déjà à l'époque, à trois milliards de dinars. L'audience vire à la confrontation lorsque le juge entre dans le vif du sujet et aborde les onze écritures bancaires restées suspendues entre agences, celles-là mêmes à l'origine de la découverte de l'arnaque entre février et mars 2003. Il fait appel au second témoin, l'ex-directeur de l'agence d'El-Harrach, Aziz Djamel. Celui-ci, et quand bien même ayant déjà purgé sa peine, atteste de la légalité de toutes les opérations et transferts. Il n'a, à aucun moment de son audition, lâché son ancien patron. Le juge, visiblement contrarié, le confronte avec le directeur de l'agence principale. Akli Youcef affirme au juge qu'Aziz Djamel lui adressait des écritures bancaires sans les fonds censés les accompagner à partir de l'agence d'El-Harrach. En clair, l'argent n'y était pas et c'est ce qui explique les écritures bancaires restées suspendues. A ce stade, le juge ne pouvait se passer des explications de Moumène Khalifa, présent sur le banc des accusés. Il l'interroge. Moumène Khalifa nie en bloc les propos d'Akli Youcef. Il trouve improbable, voire complètement déraisonnable de soutenir qu'il pouvait retirer de l'argent sans la moindre procédure bancaire, ou encore donner l'ordre de le faire. Tout comme sur les écritures bancaires restées suspendues qu'il déclare fausses et fabriquées à l'extérieur de la banque, il dit attendre que le trou financier de la caisse principale soit établi par un commissaire aux comptes. Enfin, en attendant le témoignage, dimanche, de l'ex-ministre des Finances, Mohamed Djellab, puis lundi, celui du gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Laksaci, cette quinzième journée aura vraisemblablement marqué un tournant décisif dans le cheminement du procès Khalifa.