Comment veiller à exemplarité de l'Exécutif dans la lutte contre la corruption ? Nous entendons par Exécutif le gouvernement issu des élections et ses démembrements. Cet article essaie d'apporter des éléments de réponse. Pour ce faire, l'Exécutif doit renforcer son autorité légale dans le respect des lois, assurer son contrôle sur la Fonction publique (en préservant l'indépendance de cette dernière) et garantir une tonalité morale à la gestion de la chose publique. L'idée de mettre en place des règles d'éthique et de bonne conduite doit se traduire sur le terrain. La question de l'immunité des membres de l'Exécutif doit occuper une place importante dans la lutte contre la corruption, notamment ses aspects préventifs, d'autant plus que l'actualité est fournie en abus de toutes sortes qui discréditent l'Etat et ses institutions. L'Exécutif doit être imprégné de l'obligation de rendre des comptes. Il a un rôle très important à jouer comme modèle d'intégrité. Il doit manifester sans ambiguïté sa ferme volonté de fonctionner selon des normes et principes éthiques et avoir l'autorité légale et morale ainsi que le poids politique de faire appliquer ces principes dans l'ensemble de la Fonction publique. La nature des relations qu'entretiennent l'Exécutif et la Fonction publique doit être clairement définie et connue de tous, de manière à éviter les ingérences politiques dans le travail des fonctionnaires. Un ensemble de règles précises doit réglementer les conflits d'intérêts, la pratique des cadeaux officiels, ainsi que le régime d'immunités et de prérogatives dont bénéficient les membres de l'Exécutif. On attend du gouvernement qu'il exerce son autorité sur des bases saines, en adoptant des principes et des normes éthiques stricts et qu'il réalise un contrôle sur la fonction publique chargée de la mise en œuvre de sa politique et de ses programmes. En s'acquittant de ses multiples responsabilités, l'Exécutif doit veiller : 1 - à faire preuve d'une autorité sans ambiguïté et d'une volonté politique ferme pour assurer une gestion intègre des affaires publiques ; 2 - à ce que ses propres actions soient légales, légitimes et absolument transparentes ; 3 - à l'indépendance des tribunaux et à l'application de leurs décisions ; 4 - à ce que les corps d'inspection et de contrôle disposent des ressources et des pouvoirs leur permettant d'accomplir leurs fonctions de manière indépendante, sans crainte ni complaisance. On ne soulignera jamais assez le rôle dirigeant de l'Exécutif. Un Etat qui ne fonctionne pas, paralysé par une corruption généralisée Le chef de gouvernement dispose d'un excellent accès aux médias et fait l'objet d'une large couverture médiatique. Il est de ce fait particulièrement bien placé pour faire passer des messages à la population. Par leur visibilité et la nature de leur fonction, il se trouve dans une position privilégiée pour jouer un rôle de modèle et doivent veiller à adopter une conduite exemplaire, propre à inspirer ses gouvernés. Les observateurs ne sont pas toujours conscients de l'ampleur du défi auquel est confronté un chef de l'Exécutif pour diriger un Etat qui ne fonctionne pas parce qu'il est paralysé par une corruption généralisée. Il découvrira de multiples zones vulnérables, susceptibles d'être touchées par la corruption ou d'engendrer des conflits d'intérêts et devra réformer de nombreux secteurs tels que les marchés publics et les processus de prise de décision. Dans un tel contexte, il est essentiel que le chef de gouvernement dispose de l'autorité légale et du poids politique nécessaires pour conduire un programme de réformes crédible et efficace. Une fois élu, un chef de gouvernement devient le centre de l'attention de la population et des médias, qui le jugent en fonction de sa propension à la dépense ou au copinage. La tonalité morale d'un gouvernement se définit très rapidement et il est important qu'il manifeste sans ambiguïté sa volonté d'adopter un mode de fonctionnement conforme à l'éthique. L'une des méthodes possibles consiste à organiser un «séminaire éthique», dans le but de permettre aux membres du gouvernement de définir leurs propres normes éthiques et d'adopter un code ministériel de bonne conduite. Cela n'a jamais été fait en Algérie, alors que c'est monnaie courante dans les pays démocratiques. Il est primordial que les membres de l'Exécutif et de la Fonction publique aient une parfaite compréhension du concept de conflit d'intérêts. Si tel n'est pas le cas, les intérêts privés vont dominer les décisions publiques et leur conférer un caractère arbitraire et vénal, contraire à l'intérêt général. Définir les relations de l'exécutif avec la fonction publique La nature des relations que les membres du gouvernement peuvent entretenir avec les fonctionnaires doit être clairement définie et connue de tous. Le rôle des fonctionnaires est de servir le public et non les intérêts politiciens du parti au pouvoir. L'Exécutif est chargé de prendre les décisions politiques (guidé, il est vrai, par les avis des fonctionnaires) que les fonctionnaires ont la mission d'exécuter. Le chef de l'Exécutif est dans une position particulièrement vulnérable. Il est très facile à quelqu'un de son entourage de téléphoner à un haut fonctionnaire pour lui dire : «Le Président souhaite que...» Le fonctionnaire se trouve alors dans une situation inconfortable, où il va essayer de vérifier l'instruction en se mettant directement en rapport avec le Président ou ses collaborateurs (ce qu'il est rarement en mesure de faire) ou risquer des sanctions s'il ignore un ordre déguisé, le plus souvent illégal, presque toujours irrégulier. Une administration doit impérativement utiliser des canaux de communication clairs et non équivoques. Il appartient à l'Exécutif de veiller à ce que toutes les directives soient données aux fonctionnaires par écrit. Le téléphone présente l'avantage de la rapidité, mais ne laisse pas de traces, ce qui compromet le principe de responsabilité. En résumé, l'intégrité et la bonne conduite d'un Exécutif sont nécessaires à la prévention et la répression de la corruption. Mais sans une administration imprégnée des mêmes valeurs et fonctionnant dans leur respect, l'action de l'Exécutif restera limitée, voire vouée à l'échec. Un gouvernement arrivé au pouvoir par les urnes sera très souvent amené à mettre en place des réformes de l'administration et du droit administratif pour consacrer l'Etat de droit et prévenir la corruption.
Baliser l'immunité et délimiter les prérogatives de l'Exécutif Un régime d'immunités et de prérogatives est toujours nécessaire pour protéger le statut des hauts fonctionnaires de l'Etat. Il serait inefficace qu'un juge, par exemple, puisse être tenu personnellement responsable d'une erreur commise de bonne foi au cours d'un procès. Le véritable remède à ces situations réside dans le procès en appel et les prérogatives de clémence. Assurément, il est également contraire à l'intérêt public que des hommes politiques de haut niveau soient pris dans des litiges mineurs de nature privée ou qu'un chef d'Etat soit interrogé dans le box des témoins à la suite d'une plainte déposée par n'importe quel individu. Dans un pays comme l'Algérie où la tradition démocratique n'est pas respectée, il peut être nécessaire d'accorder aux parlementaires des immunités simplement pour leur permettre de faire leur travail face à une administration corrompue. Cependant, il est tout aussi important de définir d'une manière aussi restrictive que possible le champ de ces immunités et prérogatives, qui dérogent au principe d'égalité devant la loi et affaiblissent l'autorité de l'administration. Aucune immunité ou prérogative ne doit permettre à un corrompu de s'abriter derrière elle pour échapper aux autorités chargées de faire appliquer la loi. Il faut par ailleurs qu'elles cessent dès que le bénéficiaire quitte ses fonctions sauf, bien sûr, lorsqu'elles concernent des actes officiels accomplis de bonne foi. Une immunité qui excède le terme du mandat ne sert les intérêts de personne si ce n'est ceux des personnes corrompues. Des limites doivent être imposées à la durée des fonctions présidentielles et au nombre de mandats auxquels on peut prétendre. Il est donc parfaitement logique de penser que la certitude de perdre le pouvoir à l'avenir rappelle au président en exercice qu'il devra rendre des comptes à l'expiration de son mandat. Pour le citer, il y a près de 2500 ans, le philosophe grec Aristote observait : «Il n'est pas aisé pour un individu de faire beaucoup de mal lorsque la durée de son mandat est courte, par contre la longévité au pouvoir engendre la tyrannie.» Moraliser la gestion des cadeaux officiels À toutes les époques, les responsables publics ont eu pour coutume d'échanger des cadeaux, certains purement symboliques, d'autres d'une valeur substantielle. L'Exécutif doit faire preuve d'un grand sens éthique en ce domaine, surtout lorsque des cadeaux trop somptueux ou un traitement trop généreux risquent d'être perçus comme une tentative de corruption ou une manière de s'attirer des faveurs. Les comportements indélicats, au sommet, peuvent faire école et se répandre facilement jusqu'aux niveaux inférieurs de l'administration. Il serait toutefois simpliste et irréaliste de décréter que les ministres ne doivent jamais recevoir de cadeaux. Il pourrait en effet être extrêmement embarrassant qu'un responsable public refuse un cadeau offert par un gouvernement étranger ou par un wali lors d'une visite ministérielle dite «d'inspection et de travail». Parfois, ne serait-ce que pour des raisons de protocole, il est impossible à un ministre d'éviter de recevoir un cadeau de valeur. Les vraies questions sont alors : que doit en faire le ministre ? À qui le cadeau appartient-il ? Nombre de pays dans le monde, la plupart des gouvernements ont des règles écrites qui fixent les avantages personnels qu'un ministre peut ou non accepter. Il est temps de faire la même chose en Algérie. Transcrites plus simplement, ces règles ne laissent aucun doute sur le fait qu'«aucun ministre ou fonctionnaire n'est autorisé à accepter des cadeaux, un accueil ou des services qui le placeraient ou sembleraient le placer dans une position d'obligé face au donateur». Ces mêmes principes s'appliquent lorsque les cadeaux sont offerts aux membres de leur famille. Si les règles et règlements régissant la pratique des cadeaux officiels et les irrégularités qui s'y rapportent n'empêchent pas la corruption, ils peuvent en limiter les abus. D. H. Quelques indicateurs pour évaluer l'exécutif La politique est-elle élaborée en consultation régulière avec la société civile ? Existe-t-il des procédures de surveillance de la fortune et du train de vie des personnes concernées (obligation de déclaration des avoirs par exemple) ? Si cette obligation existe, les déclarations sont-elles vérifiées de manière systématique ou par échantillon choisi au hasard, puis soumises à des contrôles ? Sont-elles remises à un organe indépendant ou mises à la disposition du public ou des médias ? Existe-t-il des règles précises s'appliquant aux conflits d'intérêts ? Si oui, sont-elles généralement respectées ? Y a-t-il des registres pour : a) les cadeaux, b) l'hospitalité ? Si oui, sont-ils tenus à jour ? Le public, les médias et l'opposition politique y ont-ils accès ? Les représentants de l'Exécutif sont-ils obligés (par la loi ou par l'usage) de justifier leurs décisions ? Existe-t-il des règles précises contre les ingérences politiques dans le travail quotidien de l'administration, c'est-à-dire des règles formelles exigeant la neutralité politique des fonctionnaires ? Les procédures d'aliénation des biens de l'Etat sont-elles transparentes ? Y a-t-il des ventes de biens publics qui donnent l'impression de favoriser indûment ceux ayant des liens étroits avec le parti au pouvoir ? Des mots pour le dire «... Il y a des corrompus parce qu'il y a des corrupteurs» «Je crois qu'on ne peut pas définitivement supprimer la corruption dans le monde et dans notre pays, tant qu'à tous les niveaux, toutes les tâches de transformation de la société n'auront pas toutes été accomplies, et même tant que notre environnement économique, politique, social n'aura pas, lui aussi, tout modifié par des positions qui favorisent la lutte contre la corruption. Il y a des corrompus parce qu'il y a des corrupteurs.» Thomas Sankara, ancien président du Burkina Faso, assassiné le 15 octobre 1987