Le ministre de la Justice a annoncé il y a quelques jours, encore une fois, son intention de proposer au gouvernement de renforcer la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, notamment dans ses aspects liés à la protection des dénonciateurs et des donneurs d'alerte. Il avait déjà évoqué le même projet en décembre 2012, sans fixer un calendrier. Alors simple effet d'annonce pour «calmer» l'opinion publique ? Chiche, agissez Monsieur le ministre ! Comme nous l'avions déjà écrit à plusieurs reprises dans ces colonnes, la loi du 20 février 2006, de par son contenu très insuffisant, traduit l'absence de volonté politique à lutter contre la corruption. En faisant voter une aussi mauvaise loi, les pouvoirs publics ont carrément tourné le dos à la Convention des Nations unies de 2003, pourtant ratifiée par l'Algérie en 2004. Pour rappel, cette loi avait été déposée à l'Assemblée nationale en avril 2005, soumise une première fois au vote des députés en juin 2005, puis ce vote fut reporté à plusieurs reprises, et ce n'est que six mois plus tard, le 3 janvier 2006, que les députés votèrent cette loi en l'amputant de l'article 7 qui sanctionnait tout retard dans la déclaration de patrimoine, tant pour les élus que les fonctionnaires astreints à cette déclaration. Ce vote, qui avait scandalisé l'opinion publique, confirmait en fait l'absence de volonté politique à lutter contre la corruption, tant chez les parlementaires qu'au niveau de l'Exécutif. Car même le reste de la loi est très en retrait par rapport à la Convention des Nations unies, et elle n'apportera rien de nouveau dans le dispositif législatif et réglementaire visant à moraliser la vie publique : pas d'indépendance de l'organe de prévention, pas d'accès à l'information, pas de participation active des associations et du public, et gare aux dénonciations ! Il ne suffit pas de ratifier des conventions pour faire croire qu'un gouvernement est sur la bonne voie dans la lutte contre la corruption. La volonté politique est primordiale, volonté qui doit être prolongée par un dispositif législatif et réglementaire conforme aux conventions internationales, et qui doit se traduire sur le terrain par l'effectivité d'une stratégie et d'un programme d'action de lutte contre la corruption. A la lumière des réalités algériennes, il faut s'interroger comment la lutte contre la corruption peut contribuer à faire avancer le processus démocratique et rendre plus effectifs la séparation des pouvoirs (consacrée par la Constitution ), les pluralismes politiques, syndicaux et associatifs, faire progresser les libertés et faire reculer la pauvreté ; et inversement, comment les luttes pour ces valeurs universelles peuvent contribuer à catalyser la lutte contre la corruption. Légiférer contre les conflits d'intérêts Cette loi du 20 février 2006, qui ne contient par ailleurs que des recommandations générales, n'a même pas prévu des incriminations pourtant essentielles dans une lutte efficace contre la corruption. Parmi ces incriminations volontairement omises - toujours pour protéger les «agents publics» -, il y a les notions de conflits d'intérêts (l'article 34 de la loi suscitée est faussement intitulé "conflits d'intérêts"), de népotisme - fléau qui prend une ampleur inégalée -, de copinage, de clientélisme et de pantouflage. Les conduites contraires à l'éthique sont de plus légion au cœur de l'Etat et à tous les niveaux. Le mal est profond et la gangrène est à un stade très avancé. De quoi s'agit-il ? Toute personne, dans l'exercice de ses activités professionnelles, peut se trouver tiraillée entre les devoirs de sa charge et ses intérêts personnels. Les règles relatives au cumul d'intérêts visent à prévenir ces situations et à indiquer les bonnes pratiques à observer dans ce genre de situation. Le fonctionnaire peut se trouver dans des systèmes qui tolèrent ou entretiennent des conduites contraires aux principes de base qui doivent régir le fonctionnement d'une administration probe et performante : népotisme, copinage, clientélisme, trafic d'influence et pantouflage. Le dispositif légal pour combattre la corruption ne peut pas être considéré uniquement sous l'angle pénal, mais doit inclure toutes les thématiques suivantes : l'accès à l'information ; les conflits d'intérêts ; les marchés publics ; la liberté d'expression ; la liberté de la presse ; la protection de ceux qui dénoncent la corruption et de ceux qui portent plainte ; les conditions permettant à la société civile de se mobiliser ; les élections démocratiques ; la lutte contre l'enrichissement illicite ; le contrôle de la légalité des décisions et des actes de l'administration par le juge ; la séparation des pouvoirs, notamment l'indépendance des juges, etc. Alors, Monsieur le ministre de la Justice, que proposez-vous de concret pour renforcer la loi du 20 février 2006 et la rendre plus conforme à la Convention des Nations unies contre la corruption ? Et quand ?