Le chef du groupe terroriste AIS (Armée islamique du salut) de triste mémoire, le funeste Madani Mezrag annonce, à partir de Jijel où il avait commis les pires crimes jusqu'au 1er octobre 1997, la création d'un parti politique. Autrement dit, le retour du FIS. Certes, ce triste personnage n'en exprime, là, qu'un fantasme que lui inspire «légitimement» l'absence d'un Etat digne de ce nom. Mais tout de même, il y a des limites. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Une nouvelle insulte, cela étant, à la mémoire des 200 000 victimes du terrorisme qui ne semble pas offusquer le moins du monde ceux qui nous dirigent dont la préoccupation majeure désormais est de ne plus jamais mécontenter les islamistes. Il l'a prouvé sur plusieurs dossiers et en si peu de temps : gel de la note de Amara Benyounès annulant une note illégale de l'ancien ministre du Commerce de Hamas, Hachemi Djaboub, sur la vente des boissons alcoolisées ; abandon de la loi criminalisant les violences sur les femmes ; lâchage en règle de la ministre de l'Education nationale Nouria Benghebrit devant le déluge d'injures et de calomnies dont elle est victime de la part du courant islamo-conservateur, etc. Comment expliquer que l'Etat algérien tolère les agissements et les provocations de ce sanguinaire qui, pourtant, n'a jamais été un foudre de guerre même quand il était au maquis, comme l'atteste sa reddition peu glorieuse, sous la forme d'une «trêve unilatérale» ? Il est vrai qu'à l'époque, durant ces années infernales de la décennie quatre-vingt-dix, il y avait néanmoins des dirigeants de la trempe de Réda Malek qui n'hésitaient pas à proclamer que «la peur doit changer de camp». En face, c'est-à-dire «l'autre camp», l'on avait pourtant affaire à des groupes armés, puissamment armés même, et dont le caractère particulièrement barbare n'a pas son égal à travers toute l'histoire de l'humanité. L'armée algérienne, qui avait accompli son devoir avec une remarquable réussite face au terrorisme islamiste auquel elle brisera les reins, n'a-t-elle pas tiré la sonnette d'alarme sur les dangers que constituait cette démission de l'Etat devant l'islamisme rampant ? C'était par la voix de l'ex-chef d'état-major de l'ANP, feu le charismatique général de corps d'armée Mohamed Lamari, qui constatait amèrement, en 2002 déjà : «Si le terrorisme est militairement vaincu, l'islamisme est encore intact» ! Et c'est tellement vrai en 2015, qu'un criminel notoire, Madani Mezrag par exemple, peut se permettre une... université d'été, puis, carrément annoncer un projet politique sans qu'il ne soit remis à sa place. Certes, et pour son «appel» de jeudi dernier à Jijel, il n'a pas obtenu une autorisation administrative, cet individu ayant profité d'une fête familiale pour réunir un millier de ses semblables. Certes, aussi, le pouvoir ne nous a pas habitués à sévir contre les islamistes, ne serait-ce en se montrant au moins aussi fermes que quand il s'agit de réprimer les démocrates ! Mais qu'il fasse, ne serait-ce que faire respecter sa propre charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale et la loi organique sur les partis politiques. Deux textes, l'un approuvé par un référendum et l'autre, une loi organique, qui sont très clairs à ce sujet. Ci-après, par exemple, ce que proclame la charte sur la réconciliation : «Tout en étant disposé à la mansuétude, le peuple algérien ne peut oublier les tragiques conséquences de l'odieuse instrumentalisation des préceptes de l'islam, religion de l'Etat. Il affirme son droit de se protéger de toute répétition de telles dérives et décide, souverainement, d'interdire aux responsables de cette instrumentalisation de la religion, toute possibilité d'exercice d'une activité politique et ce, sous quelque couverture que ce soit. Le peuple algérien, souverain, décide également que le droit à l'exercice d'une activité politique ne saurait être reconnu à quiconque ayant participé à des actions terroristes et qui refuse toujours, malgré les effroyables dégâts humains et matériels commis par le terrorisme et l'instrumentalisation de la religion à des fins criminelles, de reconnaître sa responsabilité dans la conception et dans la mise en œuvre d'une politique prônant le pseudo ''djihad'' contre la nation et les institutions de la République.» Aussi, l'article 5 de la loi organique sur les partis politiques de janvier 2012 explicite-t-il la chose comme suit : «Le droit de fonder un parti politique, de prendre part à sa fondation ou de faire partie de ses organes dirigeants est interdit pour toute personne responsable de l'instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale. Ce droit est interdit également à quiconque ayant participé à des actions terroristes et qui refuse de reconnaître sa responsabilité pour sa participation dans la conception, la conduite et l'exécution d'une politique prônant la violence et la subversion contre la nation et les institutions de l'Etat». Voilà, les textes existent et à la disposition du pouvoir pour sévir. A défaut du courage politique... K. A. REACTIONS DE LA CLASSE POLITIQUE Large indignation Atmane Mazouz : secrétaire national chargé à la communication au RCD : «C'est une preuve supplémentaire de la déliquescence de l'Etat et de l'irresponsabilité de ceux qui nous gouvernent» «L'annonce de la création d'un parti politique par une aile terroriste déclarée est une preuve supplémentaire de la déliquescence de l'Etat et de l'irresponsabilité de ceux qui nous gouvernent. Il est parfaitement établi qu'une telle annonce ne peut obéir qu'à des surenchères claniques agitant des instruments tenus en laisse pour faire peur et peser dans les luttes claniques qui ne cessent de s'aiguiser. Il est important de se rappeler les propos de Mezrag qui assurait «je fais du service après-vente» pour analyser toute l'agitation en cours. Tant que le pays est entre les mains d'un pouvoir illégitime, la page sanglante des années 1990 demeurera ouverte. Pour la majorité des Algériens et des observateurs avertis, cette annonce n'étonne guère sur les tenants et les aboutissants d'une telle entreprise étant donné que Madani Mezrag, au passé terroriste, a été reçu avec tous les honneurs au siège même de la présidence de la République et qu'il a même tenu un regroupement sans être inquiété alors que des acteurs politiques légaux sont interdits d'activités et stigmatisés. Dans un pays en plein naufrage avec des institutions illégitimes, un chef d'Etat absent et une économie paralysée, le danger est à nos portes. Les manipulations auxquelles jouent les différents clans mèneront inévitablement au chaos». Sofiane Djilali : président de Djil djadid : «Une démarche contraire aux dispositions de la charte de réconciliation nationale» «Cette annonce contredit les dispositions de la charte pour la réconciliation nationale qui interdit toute activité politique aux personnes ayant porté les armes. Madani Mezrag et les autres qui ont porté les armes ont souvent les portes ouvertes des médias et une protection du pouvoir. Ces actions s'inscrivent dans un agenda du pouvoir pour créer de nouveau un instrument de peur qu'il s'agite face à l'opposition et à la population. Le message est clair : si vous refusez un président inapte et impotent et vous rejetez le clan autour de lui, alors vous aurez le désordre et le terrorisme de nouveau. Le pouvoir utilise le chantage direct de Mezrag et Hamadache et de tous les mouvements radicaux et extrémistes.» Mohamed Adimi : porte-parole de Talaiou El Houriet : «C'est une politique de deux poids deux mesures» «Tous les citoyens algériens ont le droit de créer un parti politique s'ils ne sont pas dissous de leurs droits et qu'ils militent sans violence pour une Algérie nouvelle et moderne. A part ça, on se demande quelle est la nature de la relation entre Madani Mezrag et le pouvoir. Mezrag a dit à plusieurs reprises qu'il a un accord avec le pouvoir, alors on se demande quelle est la nature de cet accord et son contenu. Nous savons seulement qu'il a eu la réconciliation nationale, mais je ne comprends pas le traitement qu'accorde le pouvoir à ce monsieur. Le pouvoir interdit aux autres partis politiques accrédités, qui ont combattu le terrorisme et qui appellent à la paix, de tenir des activités politiques même dans des salles fermées et on leur refuse souvent des autorisations, comme ce fut le cas pour le parti de Djil Djadid qui a eu cinq refus, alors que Mezrag organise une université d'été dans les forêts sans s'inquiéter et sans être gêné même sans avoir l'accord des collectivités locales. Quelle est la relation qui existe entre le pouvoir et Mezrag ? Est-ce-qu'on le considère comme un super citoyen qui a tous ses droits ? Nous avons le droit de le savoir du moment que ce monsieur organise ses universités d'été dans une forêt, c'est une politique de deux poids deux mesures. Monsieur Ali Benflis a galéré six mois pour pouvoir déposer le dossier de son parti. Nous avons demandé d'organiser une marche contre l'exploitation du gaz de schiste et on nous a amené 10 000 policiers pour nous en empêcher, tandis que Mezrag n'a pas à s'inquiéter. Nous allons attendre pour savoir s'il aura vraiment un rendez-vous pour déposer son dossier et s'il aura un agrément. Abderezak Mokri : président du MSP : «Tout Algérien a le droit de créer un parti politique dans le cadre de la loi» «C'est une question qui ne nous concerne pas, nous n'avons pas de problème avec ça, puisque tout Algérien a le droit dans le cadre de la loi de créer son parti politique. Madani Mezrag a toujours dit qu'il a un accord avec l'armée alors nous aimerions savoir quel est le contenu de cet accord. Nous demandons seulement de la transparence et de savoir ce qui se passe derrière les coulisses et que l'armée laisse les autres partis politiques activer en toute démocratie.» S. A. Yacine Teguia, secrétaire général du MDS : «C'est contraire à la loi» «L'annonce de Madani Mezrag de la création d'un parti politique est en contradiction totale avec la loi sur la charte et la réconciliation nationale. Elle interdit à tous ceux qui ont du sang sur les mains toutes activités politiques. Et en particulier Madani Mezrag, lui qui s'est vanté dans les médias d'avoir tué un jeune appelé, ça devrait lui être totalement interdit. D'autant plus que les évolutions régionales constituent une menace et démontrent qu'il n'y a pas d'islamisme modéré. L'islamisme a toujours tendance à aller vers la violence. Rien que de formuler l'idée de créer un parti politique, c'est finalement encourager ceux qui prônent la violence et leur assurer que leurs perspectives politiques restent toujours ouvertes. Peut-être demain, ceux qui ont tué les soldats à Aïn Defla et à Skikda seront invités à rejoindre ce parti. La position du MDS est nette. Madani Mezrag doit se voir interdire, lui et les autres membres de l'ex-FIS, de se regrouper dans un parti politique. L'Algérie, qui œuvre à la stabilité de la région et la sécurisation de nos frontières, ne saurait permettre à un ancien terroriste qui voudrait se blanchir, et donner un rôle politique aux terroristes d'agir dans son dos». Youcef Aouchiche, le chargé de communication au FFS Le parti s'abstient «Nous préférons ne pas réagir à ce sujet.» Ry. N.
De concession en concession, une Algérie s'enfonce Rentrée sociale dans quelques jours : dans quel état se trouve aujourd'hui la société algérienne ? Moins de deux ans après le début du 4e mandat, beaucoup de faits, beaucoup de concessions, beaucoup de décisions ont modifié le contour de la scène algérienne, dont l'aspect le plus spectaculaire et le plus dangereux en même temps est sans conteste la montée en puissance des courants islamistes. Le pouvoir les y a amenés doucement mais sûrement et leur retour s'est fait par petites touches jusqu'à les faire, directement ou indirectement, participer aux décisions les plus déterminantes sur la vie de la cité, l'école, les enfants, les médias, les femmes, le commerce... et beaucoup plus grave encore la justice qui se déjuge en laissant faire, pour ne pas dire en encourageant le piétinement des lois. Le retour aux discours enflammés des années 1990 sur la moralisation de la société, sur l'école, sur la culture, sur la femme, a été livré par petites doses puis a pris tout d'un coup l'ascenseur et a touché tous les aspects de la vie sociale et s'est fait tonitruant. Pour ce faire, l'Etat a mis les moyens pour en amplifier la portée. D'abord l'existence illégale mais sans qu'on y mette fin, de beaucoup de chaînes islamistes à la faveur de l'ouverture de l'audiovisuel. Tous les jours, nous avons observé des temps d'antenne de plus en plus conséquents, consacrés aux religieux, puis au charlatanisme par des émissions de Rokia et autres satanismes livrés en direct par les commerçants de l'islam qui ont maintenant pignon sur écran et que ces chaînes justifient par «une demande exprimée par les téléspectateurs». L'on a vu aussi des débats houleux sur les grandes questions de société où toutes les fois, ceux-là mêmes qui se déclaraient membres de partis salafistes non autorisés officiellement venaient à périodicité régulière déverser leur venin sur «les laïco-communistes et démocrates vendus à la France». Dans le même temps, et là, très officiellement et sous les projecteurs et lumières des caméras de la République, assis en compagnie du directeur de cabinet de la présidence, un repenti, interdit selon la loi, de se mêler de politique, transformé pour l'occasion en «personnalité nationale» déblatérer avec arrogance et conseiller le pouvoir sur ce que devrait être la future Constitution. Et puis tout s'est encore emballé. Du haut de l'hémicycle, certains députés, membres de l'alliance verte, ont élevé le ton pour crier à «la dépravation de la société, à l'encouragement par le pouvoir des vices». Encouragés par le mutisme des autorités, ils ont poussé un peu plus loin le bouchon en demandant la tête du patron du département du commerce. Ils l'ont eu et ils ont tenté plus encore : l'Ecole dans laquelle, eux et tous ceux ayant pour projet de maintenir l'Ecole dans sa médiocrité ont élevé la voix pour demander la tête de Nouria Benghebrit, parce que femme, parce que son projet de réforme profonde de l'enseignement ne cadre pas du tout avec leur projet de société. Et que fit le pouvoir face à cette fronde ? Je n'enlève pas Benghebrit, a-t-il indirectement répondu, mais je vous promets solennellement que la daridja et tout autre projet qui ne cadre pas avec la charia et les constances identitaires ne seront pas appliqués. Et puis, tous les jours, l'on ne pouvait plus compter l'occupation du terrain par les islamistes et les concessions qui se multipliaient : interdiction d'accès dans les administrations aux femmes en jupes ou autres vêtements considérés comme non conformes aux préceptes de l'islam ; agression de personnels soignants hommes ayant tenté d'ausculter des patientes femmes ; création toute récente d'une plage pour femmes et exclusivement pour femmes et demande officielle de création d'une police des mœurs en bord de mer. Là aussi, mutisme, pour ne pas dire connivence des pouvoirs. Et l'on aura encore vu l'inconcevable : la tenue d'une rencontre d'islamistes, ceux-là mêmes qui ont sévi durant la décennie noire, dans un lieu oh combien symbolique, la forêt de Djidjellie, lieu de déploiement et de tueries de tant d'Algériens. Avec l'autorisation et la bénédiction, est-il utile de la rappeler, des autorités. Là aussi, la loi a été piétinée et personne n'a bougé. Pour couronner le tout, l'on assiste au projet de création, nous apprennent leurs auteurs, d'un FIS bis, par ceux-là mêmes qui ne se sont jamais cachés d'avoir tué de leurs propres mains, de jeunes appelés. Et toujours, là encore, un silence assourdissant. Peut-on, dans ces conditions, considérer qu'il ne s'agit là que de gesticulations d'illuminés ? Sûrement pas, au vu des modifications profondes que les islamistes ont opérées dans la société avec la bénédiction du régime, pour ne pas dire avec un plan bien ficelé pour le partage du pouvoir et avec aussi, il faut le dire, un attentisme inexpliqué et inexplicable de l'opposition démocrate. Seule la société civile tente de réagir sans parvenir à des résultats, son encrage dans la société étant encore trop faible.