Le directeur de cabinet de la présidence de la République a appelé, hier, une nouvelle fois les partis et les personnalités de l'opposition à participer au processus de consultations autour de la révision de la Constitution. Le ton souvent acerbe, Ahmed Ouyahia a critiqué les options politiques défendues par les opposants, notamment Ali Benflis et Mouloud Hamrouche. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) Officiellement, Ahmed Ouyahia était, hier, face à la presse pour dresser le bilan des consultations dans le cadre de la révision constitutionnelle. Mais le directeur de cabinet de la présidence de la République a surtout adressé une série de messages aux partis et personnalités activant dans l'opposition. Le premier étant une nouvelle invitation publique pour participer au processus de dialogue qu'il est chargé de conduire. «Le président de la République m'a autorisé à annoncer que la porte de la présidence reste ouverte. Ce round de consultations n'est pas un avion qui s'apprête à décoller. Nous attendons, à tout moment, les frères qui ne partagent pas notre vision à se joindre à nous. Nous leur souhaitons la bienvenue chez eux et nous sommes prêts à écouter leurs avis et prendre en considération leur plate-forme de revendications», a précisé Ahmed Ouyahia dans la déclaration liminaire de la conférence de presse animée à la résidence Djenane-El-Mithak. Et pour mieux appuyer sur l'esprit d'ouverture du pouvoir, le chef de cabinet de la présidence a cité l'exemple du Front des forces socialistes, parti politique qui a pris part à la conférence de l'opposition de Zéralda avant de participer aux consultations. «Je dis aux membres du camp des boycotteurs que votre participation ne saurait être un engagement. Venez, participez puis prenez à témoin l'opinion publique», a-t-il insisté. Mais l'intervention de Ahmed Ouyahia ne s'est pas limitée à lancer une invitation. Il s'est également montré très critique envers l'opposition. Des reproches qu'il a classés dans le registre des «dangereux désaccords entre les boycotteurs et la présidence de la République». «Ceux qui ont choisi de ne pas participer aux consultations estiment que l'Algérie est plongée dans un profond marasme, une Nekba. Pour notre part, nous estimons que le pays fait face à une série de grands défis. Le 17 avril, le président de la République a été mandaté par le peuple pour ouvrir des chantiers sur tous les fronts, en même temps. Mais eux souhaitent une période de transition. Cela ne dépend pas d'un accord entre l'opposition et la présidence de la République, mais entre ces opposants et le peuple algérien souverain. Je rappelle que dans le monde arabe, l'Algérie a été le premier pays à subir une période de transition et le premier pays à en payer les conséquences. Aujourd'hui, l'Algérie dispose d'institutions et le peuple algérien a la possibilité, tous les cinq ans, de choisir ses représentants. Ce principe doit être respecté.» Il use donc de «la souveraineté populaire» comme argument pour contrecarrer les opposants. Ahmed Ouyahia ira plus loin encore en s'attaquant à Ali Benflis (qu'il ne cite pas) personnalité politique qui rejette publiquement les résultats du scrutin du 17 avril. «J'entends certains dire qu'ils ne respectent pas les résultats de l'élection présidentielle du 17 avril. De tels propos sont regrettables, mais je n'ai aucun commentaire sur ce sujet.» Puis c'est au tour de Mouloud Hamrouche d'essuyer une salve. «Certains soutiennent l'option d'une participation active de l'armée dans cette phase de transition. L'armée est au service de l'Algérie, mais elle ne saurait être au service des manœuvres politiciennes. L'armée a payé les factures des défaillances des hommes politiques, je vous rappelle à ce titre la période de 1992. Puis l'institution militaire a été insultée, bien qu'elle n'attendait pas de remerciements. L'armée a un rôle constitutionnel clair qui consiste à défendre le territoire algérien.» Les critiques du chef de cabinet de la présidence iront également à ceux qui appellent à l'intervention «de la rue». «Nous respectons tous ceux qui s'opposent au pouvoir, et nous n'irons pas jusqu'à les traiter d'anarchistes. Mais ils doivent savoir que l'Etat veille et que le peuple n'est pas dupe. Ni l'Etat ni le peuple ne sont prêts à voir des enfants de l'Algérie devenir les victimes de manœuvres politiciennes.» Et pas question d'organiser de conférence nationale pour dépasser la crise, «les expériences passées ont démontré que les participants ne sont pas prêts à faire l'effort de s'écouter». Pour Ouyahia, le débat ne saurait sortir du cadre officiel tracé par le pouvoir. D'autant plus qu'il estime que toutes les parties défendent les mêmes principes. «Nous nous rejoignons sur les mêmes principes fondamentaux, à savoir le renforcement de la séparation des pouvoirs, le renforcement du rôle du Parlement, la création d'un champ d'expression pour l'opposition, et la consolidation des droits et des libertés des citoyens». Reste maintenant à savoir quelle sera la réponse des partis et des personnalités engagées contre le pouvoir. Les réactions à ce forcing politico-médiatique d'Ouyahia ne sauraient tarder. Santé du Président Le directeur de cabinet de la présidence a saisi l'occasion de cette conférence de presse pour faire une mise au point à propos de l'état de santé de Abdelaziz Bouteflika. «La maladie du Président a provoqué un grand désarroi dans le pays et au sein de la société. Les commerçants de la politique attendaient son départ pour prendre sa place. Ils ont mené une campagne qui s'est finalement retournée contre eux.» D'après Ouyahia, c'est l'apparition de Bouteflika le jour du scrutin qui a «poussé les électeurs à aller voter». «La santé du Président est devenue matière à des actions politiciennes. El hamdoulillah, l'Algérie a un Président et que Dieu lui accorde une bonne santé.» Mezrag et Sahnouni La participation de El Hachemi Sahnouni et de Madani Mezrag aux consultations sur la révision de la Constitution a fait l'objet de plusieurs questions. Ouyahia a tenté de justifier l'invitation des deux «personnalités nationales». «A propos de Hachemi Sahnouni, l'histoire est là pour rappeler qu'il a fait partie des trois dirigeants du FIS qui ont eu le mérite d'aller à la télévision pour avouer que la démarche de leur parti allait conduire les Algériens à une catastrophe.» Quant à Madani Mezrag, Ahmed Ouyahia a loué ses actions qui ont conduit à la trêve de l'Armée islamique du salut (AIS). «Je suis témoin de cette période, les politiques (du FIS) nous ont fait tourner en rond. L'histoire récente de notre pays n'est pas connue. Le lendemain de l'élection du Président Liamine Zeroual, Madani Mezrag a envoyé un message pour annoncer qu'il était disposé à trouver une solution.» Et de reconnaître que la «sensibilité de la salafia» est une réalité en Algérie. Ahmed Ouyahia a par ailleurs indiqué que lors des consultations, ni El Hachemi Sahnouni, ni Madani Mezrag n'ont exigé la réhabilitation du FIS. Absence de Liamine Zeroual Le Président Liamine Zeroual n'a pas été invité aux consultations politiques. L'information a été confirmée par Ahmed Ouyahia. Selon lui, «Liamine Zeroual ne pouvait mener des discussions avec une personne de rang inférieur, moi-même en l'occurrence». Cette absence n'est donc pas d'ordre politique mais purement protocolaire. Levée de la limitation des mandats «La levée de la limitation des mandats présidentiels était une revendication d'une large frange de la société.» C'est l'argument avancé par Ahmed Ouyahia pour justifier l'opportunité offerte dès 2008 à Abdelaziz Bouteflika pour briguer un troisième puis un quatrième mandat. Et selon lui, le retour à une formule à deux quinquennats est «une exigence du chef de l'Etat». Etat des consultations Jusqu'à jeudi, Ahmed Ouyahia a mené 64 consultations avec 75 «partenaires». Le processus va se poursuivre jusqu'au mardi 8 juillet avec la programmation de 46 autres rencontres avec 65 invités.