Par Ahmed HALLI [email protected] En mati�re de pi�t�, nous en montrons plus que toute autre nation au monde, je parle, bien entendu, de la nation alg�rienne. Tout le peuple alg�rien est saisi d'une furieuse envie de crier sa foi et ses certitudes � la face du monde, surtout � l'approche de certaines �ch�ances (festives ou fatales). C�t� d�monstration de masse, l'A�d El-Adha est un cas exemplaire. Au fil des ans et par glissement s�mantique, cette f�te appel�e jadis A�d-El-Kebir est devenue celle d'Al-Adha. Les Alg�riens ont grandi et il �tait naturel qu'ils se mettent au langage de leurs a�n�s. A la parole, ils ont joint le geste. Somm�s de pr�server le cheptel, et sourds � tout ce qui vient d'en haut, ils ont sacrifi� � qui mieux mieux. C'est dans l'ordre normal des choses de riposter aux pr�dateurs par la pr�dation. Aujourd'hui, Dieu merci, gouvernants et gouvern�s vivent en bonne concorde. Le sort du cheptel et le prix du mouton ne p�sent gu�re devant l'imp�rieuse n�cessit� de se conformer au rite. Le mouton : voil� le signe par lequel vous serez reconnus. Qui n'a pas entendu les b�lements d'agonie moutonni�re dans sa salle de bains a peu de chances de trouver le chemin du paradis. Avantage de la d�mocratie, le mouton prend l'ascenseur, comme vous et moi, quand il s'en trouve. Ascenseur pour l'�chafaud mais ascenseur tout de m�me. Les petites boules de crotte ovine id�ales pour ressouder les semelles seront l� pour t�moigner de l'ancrage de la foi. Leur pr�sence dans la cage d'escalier ou dans la cabine d'ascenseur, si ascenseur il y a, est un gage de pi�t� ponctuelle. L'absence de ces sph�res r�siduelles d�signerait, par contre, l'immeuble aux lazzis r�probateurs, voire � l'opprobre. Comment, donc, avec un tel viatique et un tel engagement religieux, pouvons-nous laisser quelques �mirs capricieux nous dicter leurs quatre volont�s ? Comment avons-nous pu accepter que les autorit�s saoudiennes nous imposent leur date de l'A�d ? Nous qui suons toute l'ann�e sang et eau pour gagner le prix du mouton et perp�tuer le sacrifice de Sidna Ibrahim. Comme avons-nous pu accepter sans rechigner de r�duire d'une journ�e l'agonie joyeuse de nos b�liers ? La r�ponse est simple : le monde musulman est r�gi apparemment par un clerg�, certes temporel, mais qui impose sa loi. Jeudi ou vendredi ? Ceci ne fait pas une grande diff�rence, me direz-vous ? Tout de m�me, on aurait pu au moins soulever une objection de principe quitte � obtemp�rer au nom de la sacrosainte unit� arabe et islamique. Non ! A ma connaissance, le seul pays qui a n'a pas obtemp�r� c'est le Maroc, rien que pour nous contrarier, comme d'habitude. Le Maroc, c'est quand m�me un cas sp�cial, le roi y est "commandeur des croyants". En tant que tel, il n'a que faire des injonctions d'�mirs de fra�che extraction. En Alg�rie, ce n'est pas la m�me chose, les �mirs sont dans les maquis et les khalifes si�gent � l'assembl�e. Et puis, vous voyez notre s�millant pr�sident jouer les Muawiya? (1). Mais ni les uns ni les autres n'ont soulev� la moindre objection � �gorger un jour trop t�t. Ce n'est qu'un d�tail, en la mati�re, dans un pays o� on ne se soucie pas des trajectoires lunaires pour �gorger son prochain. Bref, hormis le Maroc o� les futurs �mirs des maquis embrassent encore la main qu'ils se promettent de mordre un jour, tout ce beau monde a suivi. Dans les m�dias, c'est � qui vantera le mieux les m�rites de la dynastie wahhabite. Et pour cause, si on excepte notre blessure d'amourpropre, il n'y a pas eu d'h�catombe de p�lerins cette ann�e sur les Lieux-Saints. Et c'est tant mieux. Pourtant, des protestations contre ce d�tournement de date, il y en a eu mais elles sont pass�es inaper�ues. Vous allez voir qu'elles sont pourtant fond�es. Le magazine Elapha fait �tat de la d�claration indign�e de l'Union des astronomes arabes qui crient � la manipulation. Les autorit�s saoudiennes ont d�cid�, en effet, sur la foi du t�moignage de deux habitants d'une lointaine province du royaume qui auraient vu le croissant de lune le lundi 17 janvier apr�s la pri�re du maghreb. Or, disent ces astronomes, dans la province du Sih cit�e en r�f�rence par Ryadh, lundi 17 d�cembre, correspondant au 29 dhu alqi'da, la lune s'est �clips�e quatre minutes avant le coucher du soleil. Comment, dans ce cas, les t�moins peuvent-ils affirmer avoir observ� le croissant de lune vingt minutes apr�s le coucher du soleil? affirment ces scientifiques. S'adressant plus particuli�rement aux autorit�s saoudiennes, l'union des astronomes arabes s'interroge : "Si on prend en compte les calculs scientifiques pour d�terminer les heures de pri�re et celles du je�ne, pourquoi agit-on autrement pour une occasion aussi importante?". En fait, l'histoire retiendra surtout que le t�moignage douteux de deux habitants d'un village d'Arabie saoudite a contribu� � changer le calendrier lunaire. A charge, peut-�tre, d'une nouvelle rectification lors du prochain p�lerinage. Dans le m�me magazine, le Dr Khaled Mountassar, m�decin attitr� du journal en ligne (2), ne m�che pas ses mots. "C'est une d�rision, dit-il � propos de la d�cision saoudienne qu'il assimile au "Firman" ottoman. Il nous apprend ainsi que les deux t�moins saoudiens n'ont r�agi et n'ont fait �tat de leur observation du croissant de lune que quatre jours apr�s leur suppos�e vision. La d�cision saoudienne de changer le calendrier est "une injure � la science et � l'esprit scientifique. Elle donne des musulmans l'image d'une communaut� qui ne croit pas au savoir et � la raison", note encore Khaled Mountassar avant de conclure :"Comment peut-on encore faire confiance � un Conseil de la fetwa qui a eu comme pr�sident Ibn Al Baz. Un homme qui ne croyait ni � la rotondit� de la terre ni au calcul scientifique?". Outre cette pierre jet�e dans le jardin des �mirs qui d�testeraient le vendredi comme premier jour de l'A�d, on retiendra aussi de ce p�lerinage 2005 le r�le d�volu � Bush. Selon le quotidien de Londres Al-Arab, de nombreux p�lerins ont affirm� qu'ils pensaient au pr�sident am�ricain alors qu'ils lapidaient le diable. D'autres imaginaient lapider Blair, Sharon ou encore leurs propres dirigeants alli�s de Washington. Ce qui est le cas, me semble-t-il, de l'Arabie saoudite qui a appel� � combattre le terrorisme le jour de la station � Arafat. L'Imam des deux pri�res qui n'a pas oubli� de rejeter la modernit� a appel�, en effet, les musulmans � se mobiliser contre l'extr�misme qui n'a rien � voir avec l'Islam. Comme en �cho, les autorit�s religieuses du Kowe�t, touch� � son tour par le retour de boomerang, proposent encore plus. Elles sugg�rent d'assimiler � des terroristes les th�ologiens qui font des sermons incitant les jeunes � l'extr�misme et � la violence. Une proposition qui a peu de chances d'�tre accept�e et mise � ex�cution. Je me suis laiss� dire, pour ma part, que si on mettait en prison tous les imams, auteurs de sermons violents, la majorit� des mosqu�es resteraient sans titulaires. A. H. (1) On me dit d'ailleurs que le khalif Muawiya, fondateur de dynastie, a fait faire la pri�re du vendredi un mercredi et que toutes ses ouailles ont ob�i. Il y aurait donc un pr�c�dent. (2) M�decin, psychologue, Khaled Mountassar donne des pr�cieux conseils en ligne sur les maux inavouables dont souffrent les Arabes comme le probl�me de la libido.