Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Est-il encore possible qu'au dernier moment, le Président se ravise et renonce à ratifier cette loi de finances, révélatrice manifeste du virage libéral que l'on s'apprête à imprimer à l'économie du pays et qui est l'origine de cruels passes d'armes politiques ? Hélas trop de données indiquent que Bouteflika demeure soumis à de grands soins médicaux au point de s'éloigner cycliquement des charges de sa fonction. Alors que la société est littéralement consternée par le désordre sévissant dans les strates du pouvoir, est-il au moins envisageable d'attendre à ce que des personnalités notoirement attachées au régime et surtout fidèles au Président en viennent à manifester publiquement contre les graves dérives de la gouvernance actuelle ? Ceux dont la carrière est jusque-là étroitement redevable à un certain compagnonnage ne sont-ils pas, aujourd'hui aussi, en devoir de se démarquer du commerce politique des nouveaux oligarques au moment où ils mettent une touche finale à l'enterrement de «l'Etat social» ? Ils devraient impérativement intervenir pour faire barrage à un activisme douteux et dans le même temps accomplir ce qui n'était pas possible pour l'initiative du 19 – 4 et qui consiste à se rapprocher de Bouteflika afin de le briffer. Autrement dit, peut-on espérer que certains caciques s'impliquent. Il y a assurément peu de chance que cela ait lieu. Dans ce cas de figure, il sera alors possible de leur reprocher, par la suite, d'avoir préféré jouer aux Ponce Pilate dans les moments cruciaux au lieu d'assumer la respectable mission de donneurs d'alerte. Au cœur de tous les doutes qui rongent le présent de ce pays, n'est-il pas utile de rappeler qu'il y va de l'éthique de l'Etat si, par malheur, le Président venait à être trompé sur la réalité des procédures que l'intendance du pays vient de concocter ? Dans des circonstances particulières, semblables à celles qui nous valent des spectacles désolants à l'APN et devant les micros des médias, le mutisme n'est plus de mise alors que les mises au point s'avèrent nécessaires pour empêcher l'irréparable. Mais, dira-t-on, quid de ceux en mesure d'engager des opérations de salubrité morale en interne, c'est-à-dire dans les dépendances du pouvoir ? Car il est désormais clair que l'irresponsabilité passive du sommet de l'Etat est tellement évidente qu'elle a donné lieu à des pouvoirs quasi-parallèles tout à fait en mesure de piloter le char de l'Etat. Or au-delà du rétrécissement du champ d'intervention d'un Président intermittent, cela n'a-t-il pas eu pour conséquences le délitement du peu de cohésion sociale qui caractérisait l'Algérie. En effet, depuis deux années au moins l'ensemble des indicateurs (économiques, sociaux, sécuritaires) n'ont pas cessé d'alerter sur l'imminence des périls au point que l'on s'interroge sur les motifs de cette réactivité timorée des institutions. Et cela revient, en bonne logique, à pointer du doigt les acteurs majeurs en charge de la chose publique. Loin d'être une accusation excessive, elle souligne essentiellement le fait qu'il manquait aux intermédiaires (walis, DG d'entreprises, magistrats) le minimum de scrupule moral pour dénoncer les interférences pernicieuses ou bien les injonctions dangereuses. Formatés, il est vrai, par une sorte de discipline qui n'est rien d'autre que de la servilité, la plupart d'entre eux ont opté pour l'indifférence de l'exécutant. Et c'est paradoxalement sur le terreau des commis de l'Etat sans zèle que va se déployer la toile d'araignée du pouvoir parallèle alors rassuré sur la disponibilité de cette base prête à le servir. Nourrie d'une conception étriquée de l'éthique, n'a-t-elle pas justement accepté d'assurer allègrement des décisions ruineuses pour le pays ? Or actuellement il y a plus grave dans les niches de nos contrées que ces vénales combinaisons pour conduire des carrières. Il y va du risque de la dislocation de la nation si, par malheur, la démarche politique actuelle venait à être consolidée à travers la multiplication des sanctions et de purges. Or le souhait pour mettre un terme à un bradage en sous-main serait que ceux qui se reconnaissent comme personnalités du premier cercle prennent à leur compte la mission d'imposer un grand ménage dans la maison du pouvoir. Qu'est-ce à dire si c'est seulement du côté de l'opposition qu'il faut se tourner pour espérer entendre la voix de la sagesse alors qu'il est possible d'interpeler les «intimes» de Bouteflika afin d'exiger un contrepoids modérateur à la rapacité des nouveaux «experts» et à l'insigne vulgarité de certains dirigeants de partis. En étant des alliés insoupçonnables, les Bensalah et Medelci, pour n'en citer que ces deux-là, ne devraient-ils pas s'écarter des sentiers de la docilité pour aller conférer avec «qui de droit» et le mettre en alerte à propos des mauvais choix qu'il aurait agréés. Même si une telle hypothèse relève d'une fantaisiste spéculation au vu de la recomposition humaine de l'entourage du Président, elle reste tout de même la dernière petite initiative à même de différer l'escalade vers la confrontation violente, avec la société. D'ailleurs l'occupation, mardi dernier, des rues à Rouiba par les travailleurs de la SNVI est plus qu'un signal fort. Elle est même symbolique dès l'instant où elle rappelle celle de septembre 1988. Ces fameuses prémices annonciatrices du 5 Octobre suivant ! Voilà qui est désormais clair tant l'exaspération des Algériens est non seulement visible dans les regards mais également perceptible dans les discussions.