Peu de personnes sont au courant de l'existence d'une station de contrôle des satellites géostationnaires en Tunisie. Elle est pratiquement la deuxième plus grande et plus importante des stations dans le monde arabe. Bâtie par Arabsat en 1985 et inaugurée en 1986, cette station était au départ destinée pour être une station de soutien à celle de Riadh en Arabie Saoudite. Mais depuis quelque temps, elle est devenue, carrément, une station stratégique pour Arabsat et qui sous-traite ses services à d'autres opérateurs satellitaires. Située à 1h15 de route de Tunis, Dkhila est une petite commune de la délégation de Tebourba (gouvernorat de la Manouba). Malgré les vestiges de l'époque coloniale (comme les églises, prouvant l'importance historique du lieu avant d'être marginalisé depuis l'indépendance), nul ne peut se douter qu'il existe un endroit bien caché et qui est à la pointe de la technologie pas loin de Tebourba. Après une route assez difficile avec des pentes plus ou moins dangereuses, on découvre une plaine très vaste. C'est Dkhila. A côté du petit village, on voit de loin plusieurs grandes paraboles. En contemplant le paysage, on comprend vite le choix de cette station durant les années 80. C'est une plaine entourée à 360 degrés par des collines et des monts. Une sorte de cuvette géographique jalousement cachée par mère nature. «A l'époque, c'était un endroit idéal pour y installer ce centre de transmission satellitaire car la topographie du terrain le préservait des éventuelles perturbations radioélectriques. Mais avec les nouvelles technologies, on peut gérer un satellite via des paraboles beaucoup moins grandes, et même en plein centre-ville», nous explique un des ex-collègues de l'équipe d'Arabsat sur place. Il a passé presque 20 ans de sa vie à travailler pas loin de ces antennes de transmission et en a vu passer des générations devant lui. A côté des deux grandes paraboles de 11 mètres de diamètre, la porte d'entrée où le directeur du centre, Mohamed Asaad, nous accueille à bras ouverts. Cet algérien, les cheveux grisonnants, travaille depuis une vingtaine d'années chez Arabsat, dans cette station de Dkhila. D'ailleurs, cette station est considérée comme un mini melting pot. Différentes nationalités y travaillent, en effet, depuis sa création. A l'instar de M. Oudai Al-Qudah, un Jordanien qui travaille à Dkhila depuis 15 ans. Il fait partie de la «nouvelle» génération qui va prendre bientôt la relève au centre de contrôle. Et pour cause : les vétérans de ce centre de contrôle satellitaire sont... tunisiens. Contrairement à ce que beaucoup pensent, Arabsat n'existe pas seulement sur le 26° Est. Elle est présente aussi sur le 30.5° Est, le 20° Est, le 42° Est et tout récemment le 39° Est grâce à l'acquisition d'un opérateur satellitaire chypriote. Sur les écrans, on voit que tous les indicateurs sont au vert, sur toute cette flotte, gérée depuis Dkhila... Les équinoxes, qui se produisent le 21 mars et le 21 septembre de chaque année, sont un phénomène astronomique où la nuit est aussi longue que le jour dans les 2 hémisphères. En s'approchant de cette zone, les satellites géostationnaires subissent une éclipse solaire par la Terre. En temps normal, ces satellites ne plongent pratiquement pas (ou très peu) dans la pénombre de la terre. Mais durant ces équinoxes, ils rentrent complètement dans la zone d'ombre de la terre pendant 40 minutes max et ce, à minuit (heure satellite). Ce phénomène se reproduit durant 40 jours. Dans ces moments-là, les panneaux solaires sont privés d'une partie ou de la totalité du rayonnement solaire. Du coup, la source d'énergie devient insuffisante pour le fonctionnement du satellite. De ce fait, les équipes techniques d'Arabsat basés à Tunis préparent les batteries à prendre la relève, jusqu'à ce que les panneaux solaires arrivent à capter assez de luminosité pouvant faire fonctionner tout le satellite. Malgré ce travail important, sa grande expertise et sa passion pour son métier, Othman Nemri, un originaire de Ghomrassen (ville du sud-est de la Tunisie), reste une personne très humble. Sa devise dans la vie : vivre simplement et loin du regard curieux des gens. Et il ne manquera pas de nous étonner quand il dit : «Vous savez, lorsqu'on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds que ‘je suis ftayri' (faire les beignets, un métier notoire à beaucoup d'originaires de cette ville grâce à la qualité de leurs beignets)». Mais pourquoi cacher la vraie nature de son travail ? «Parce qu'en Tunisie on accorde beaucoup d'importance aux apparences et au look des gens. Or moi, comme vous me voyez, je suis un homme simple et je m'habille simplement. Je suis un enfant du peuple. De plus, les gens ne me croient pas quand je leur dis que je gère des Satellites dans l'espace. Du coup je réponds que je suis un "ftayri". C'est moins casse-tête». Ne voulant pas abuser de la gentillesse de l'équipe de contrôle d'Arabsat et surtout de leur chef M. Nemri, nous avons continué notre tour de la base. Au rez-de-chaussée, une salle se trouvant à quelques mètres du centre de contrôle, un peu plus à gauche. Juste devant, une dizaine de paraboles de taille moyenne (5 mètres environ). «De cette salle, est sorti le tout premier signal de télévision numérique, il y a presque 20 ans», déclare, l'air amusé, Oussama Mech'houd, un des ingénieurs d'Arabsat basé en Tunisie. Cet Algérien de 44 ans travaille à Dkhila depuis presque 12 ans. Son visage s'illumine par un large sourire à chaque fois où il nous montre des équipements qui ont servi, jadis, à révolutionner le secteur audiovisuel arabe : «Vous voyez cette rangée ? C'est un multiplexeur analogique. En fin 1998, début 1999, Arabsat a pris l'initiative de lancer la transmission numérique. On reprenait le signal des chaînes arabes émises sur les différents satellites. On les faisait passer par cet équipement pour les renvoyer vers le multiplexeur numérique qui se trouve juste derrière. Le signal numérique est par la suite renvoyé à nos paraboles d'émission. C'est ce qui a permis à Arabsat d'avoir plusieurs bouquets de chaînes TV sur le numérique au lancement de cette technologie». Cette salle, qui est devenue une sorte de mini-musée de la révolution numérique, se trouve derrière la dizaine de paraboles de taille moyenne qui pointent sur différents azimuts. Ces paraboles, justement, récoltaient, à l'époque les signaux des chaînes en analogique. Cette opération a permis, tout de même, de réduire considérablement les frais de transmissions satellitaires de 3 millions de dinars/an (en analogique) à 300 mille dinars par an et par chaîne (sur le numérique). Les deux systèmes ont cohabité jusqu'à 2003. Et c'est la raison pour laquelle beaucoup de ces équipements sont maintenant hors tension. Bien que d'autres coins de la salle servent, actuellement, pour le monitoring du signal de la flotte des satellites Arabsat, ainsi que la qualité de diffusion des chaînes... en Haute Définition ! FORUM DZSAT