Par Boudalia Bouchenak Malika Pour camoufler l'échec scolaire programmé, on nous avait habitués à en chercher l'explication du côté de l'élève ou de sa famille. Aujourd'hui, un nouveau coupable est pointé du doigt : la langue arabe. M. Benramdane, conseiller au ministère de l'Education, proclame, dans El Watan du 7 janvier 2016, la langue arabe : «Matière à échec.» Il apporte pour preuves des statistiques et les résultats scolaires des enfants de la wilaya d'Adrar. Causes et effets sont confondus ; - «Comment une wilaya plutôt arabophone peut avoir une telle moyenne (4, 87/10) en langue arabe ?» s'interroge-t-il. Il va sans dire, que pour mieux camoufler le sinistre, les évaluations sont aménagées suivant des critères «maison». Et pour rester dans le même exemple, on peut tout autant s'interroger : comment se fait-il que les enfants d'Adrar, qui réussissaient aisément aux VIIIe, IXe, Xe, XIe, XIIe, XIIIe, XIVe, XVe, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, et sous la colonisation, perdent leur arabe au XXIe siècle ? Quelles sont les bases jetées pour mener et réussir cette vaste opération de dépossession ? Un rappel des faits En 2000 : introduction en Algérie du groupe Hachette à travers ses deux filiales Sedia et Hatier. Prise en charge par ce groupe de l'enseignement de la langue nationale. 2001 : publication par ce groupe du manuel La classe préparatoire en langue nationale ; alors que la classe préparatoire n'était pas encore officiellement instituée. Ce manuel phare de la réforme Benzaghou est produit avant la réforme. Le prix des éditeurs est décerné à ce titre. Publication par le même groupe de manuels parascolaires en arabe. 2003 : le ministère de l'Education nationale, à l'heure de la réforme, choisit en première position le groupe Hachette pour élaborer et fournir les manuels pour l'enseignement de la langue nationale. Imposition des normes et standards du groupe dans l'édition parascolaire et dans toute la sphère culturelle. Ces normes et standards sont diamétralement opposés à ceux appliqués par ce même groupe en Europe. 2011 : publication d'une collection Hatier pour l'enseignement de la langue nationale. 2015 : le ministère de l'Education nationale déclare l'échec de la réforme de l'enseignement de l'arabe. Pour s'introduire en Algérie, le groupe Hachette s'est appuyé sur le CRASC (Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle). Les manuels d'arabe, pour le compte d'Hachette, sont élaborés par une équipe du CRASC. Quinze ans plus tard, l'équipe du CRASC nous révèle l'échec de l'arabe. C'est donc son programme qu'elle dénonce aujourd'hui. C'est bien sa réforme, qu'elle voudrait réformer. Est-ce l'échec de l'arabe, ou est-ce son propre échec ? Est-ce l'échec de la langue ou est-ce l'échec d'une pédagogie ? L'équipe du CRASC a élaboré les manuels en question dans une langue qu'on appelle : «langue préfabriquée». Une fabrication qui balaye auteurs classiques et modernes. Le procédé de fabrication est détaillé dans les instructions ministérielles de 1990 (page 31). Les fabricants bénéficient depuis quarante ans de stages de formation du BELC, bureau français relevant du ministère des Affaires étrangères, et dont le directeur, Robert Damoiseau, spécialiste de la genèse des langues créoles, est l'auteur de la méthode nationale «Malik et Zina» (Frère Jacques), initialement destinée au Vietnam. L'arabe ne figure absolument pas dans les manuels élaborés par le CRASC. C'est un «arabe préfabriqué» qui est inculqué aux enfants à travers ces manuels ; une mécanique infernale... C'est faire preuve de légèreté, que d'incriminer l'arabe, une langue de civilisation millénaire, quand, d'entrée de jeu, il est convenu de la détruire. Autre chose, M. Benramdane se plaint de cognitivistes gênants. Cette information me surprend. Je ne savais pas que des cognitivistes pouvaient survivre en Algérie, suite à la mort de Abdel Madjid Bouacha, l'un des premiers cognitivistes du monde, lui-même raillé par la presse arabophone de l'époque.