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L'entretien de la semaine MM. Becheur El Hachimi, directeur d'école privée, et Slimane Chabane, enseignant de langue française, ex-inspecteur de l'enseignement public, au soirmagazine :
«Les cours privés supplanten
Dans cet entretien accordé au Soirmagazine, deux spécialistes ont accepté de répondre à nos questions relatives aux cours de soutien et à leur fulgurante expansion ces dernières années. MM. Becheur El Hachimi, directeur depuis 20 ans d'une école privée à Bouira, et Slimane Chabane, enseignant de langue française, ex-inspecteur de l'enseignement public, qui fera sa propre critique de la situation dans laquelle évolue l'éducation nationale depuis quelques années et aussi des échecs qui ont mené à l'abandon de l'école par les élèves. Soirmagazine : présentez-nous votre établissement en quelques mots. M. Becheur : Dans notre école, on ne donne pas de cours de soutien scolaire, mais des séances de renforcement et des formations qualifiantes ; en langues, en informatique, en gestion, en secrétariat ou encore en marketing, toutes sanctionnées par une attestation ou un diplôme. Nous prenons en charge les enfants et les adolescents scolarisés, les étudiants universitaires ainsi que les professionnels et les particuliers. Les formations techniques sont proposées dans ce pôle principal alors que nous disposons d'une annexe de langues étrangères, du niveau débutant au plus évolué, nous offrons des formations en français, anglais, allemand, espagnol, italien et russe. M. Chabane : A Bouira, j'ai déjà travaillé dans trois établissements privés avant, et je dois avouer que c'est le seul établissement qui met tous les moyens possibles à la disposition des élèves et des enseignants : matériel audiovisuel, supports informatiques et manuels élaborés avec CD ajoutés à un personnel d'encadrement administratif sérieux qui assure un suivi régulier et méticuleux non seulement à l'égard des élèves mais aussi par rapport aux enseignants et tout cela mène à une qualité d'études avérée et à l'efficacité de l'apprentissage constatée à travers les résultats affichés. Quel est le profil des jeunes et moins jeunes, qui viennent dans votre école ? M. Becheur : je prends l'exemple de l'enseignement des langues et je dois dire qu'il existe de très grandes difficultés chez les apprenants qui frappent à nos portes ; je veux dire qu'après un apprentissage scolaire de dix années, certains sont carrément illettrés, incapables de s'exprimer ou de produire un discours qu'il soit écrit ou oral. Je parle non seulement des écoliers mais aussi des lycéens et des universitaires. Le constat est amer et nous, en tant qu'institution d'apprentissage, nous essayons de remédier à ce problème et de combler leurs lacunes comme on peut et avec tous les moyens dont nous disposons. M. Chabane : en matière d'enseignement des langues, il est devenu évident qu'il faut être et rester soi-même avant d'aller vers les autres ; je veux dire par là qu'avant de s'engager dans l'enseignement des langues étrangères, qui doit tout de même commencer à un âge très bas, il faut d'abord commencer par exceller dans sa ou ses langues maternelles et/ou nationales. Il faut aussi savoir que plus les langues sont apprises à un âge précoce, mieux elles seront assimilées ; les enfants de bas âge apprennent mieux, mémorisent et assimilent plus facilement les langues étrangères. Donc, le problème de l'enseignement des langues dans notre pays est dû à ce dysfonctionnement qui fait que l'on commence par enseigner une langue étrangère, l'arabe classique, puis après deux années, on commence le français et ce n'est qu'en quatrième année que tamazight, langue maternelle pour de nombreux Algériens, est dispensé et encore pas pour tout le monde pour le moment. Selon vous, à quoi est dû ce recul de niveau chez les étudiants ? M. Chabane : je pense que le premier problème de l'école algérienne réside dans l'élément humain. Sans vouloir généraliser et porter atteinte à des enseignants qui font correctement leur travail, la formation, notamment pédagogique et méthodologique de certains d'entre eux, laisse à désirer. Un diplômé, fut-il major de sa promotion en matière de savoir, fraîchement sorti de l'université, et qui vient dispenser des cours magistraux à des apprenants adolescents sans aucun savoir-faire, ce n'est pas très efficace, c'est le moins que l'on puisse dire. D'ailleurs, depuis un certain nombre d'années, le secteur de l'éducation ne recrute que ce genre d'enseignants sans passage par les fameux ITE (instituts technologies de l'éducation) qui n'existent plus mais qui faisaient un bon travail en matière de pédagogie. Certains de ces derniers ont été mis à la disposition du secteur de l'enseignement supérieur et le MEN cherche à les récupérer en ce moment. Comme dans toute entreprise humaine, «tout travail de l'Homme», le capital est l'Homme. On parle bien de professeur, d'ingénieur, de médecin, de maçon... mais il y a enseignant et enseignant, ingénieur et ingénieur, médecin et médecin, maçon et maçon ; comme quoi, il y a et il y a... la formation dans tout ce qu'elle comprend comme acquis, savoir, savoir-faire, savoir- être et savoir-devenir est la clé des compétences. Dans l'absolu, un enseignant bien formé n'a besoin d'aucun outil pédagogique pour faire son cours, réussir sa leçon et donc transmettre son savoir. Inversement, vous avez beau avoir les meilleurs «moyens de production du monde» (laboratoires de langues et/ou de matières scientifiques, meilleures machines, meilleurs outils...), si vous n'avez pas un bon travailleur, dans le cas de notre situation, un bon enseignant, la savoir ne sera pas transmis, par conséquent ni saisi, ni assimilé, ni compris, ni mémorisé. Je ne dis pas que les moyens d'apprentissage sont inutiles ; au contraire, outils audiovisuels, pédagogiques, manuels, ou faisant partie des TIC (technologies de l'information et de la communication) restent importants et peuvent, si l'enseignant est compétent, aboutir à un enseignement d'une plus grande qualité. Ces derniers jours, le ministère de l'Education a distribué des CD pour les classes de terminale afin qu'ils puissent pallier la grève des enseignants et permettre aux élèves de terminer leurs programmes. Ainsi, ces étudiants se trouveront face à une machine à laquelle ils ne pourront «ni poser des questions ni demander des explications» comme l'a si bien formulé un élève. C'est parce que l'Homme est irremplaçable dans l'activité d'apprentissage que le face-à-face reste indispensable en pédagogie. Je dirais donc qu'en Algérie, le problème majeur réside dans la formation des enseignants, elle n'est ni suffisante ni efficace sur le terrain. M. Becheur : Il existe aussi des enseignants qui commettent des fautes impardonnables et qui font échouer le processus d'apprentissage. Par exemple, je me rappelle qu'en cours de lecture, certains professeurs sautaient carrément les élèves ayant des difficultés à lire, pour moi, ce genre de réaction est un rejet total de l'élève, l'aveu qu'il n'est bon à rien et qu'il ne pourra jamais réussir. Certains enseignants oublient la dimension psychologique de leur travail et expriment leur pessimisme et aussi leur incompétence à aboutir à des résultats. En décourageant les élèves, on limite leurs prouesses et de là, on sabote l'apprentissage et l'apprenant. Comment remédier alors à tous ces problèmes ? M. Chabane : Arrêter le rafistolage et le bricolage, je veux dire par là qu'on ne lance pas des réformes de l'école chaque année et pour changer tout, de fond en comble. Une réforme, une fois lancée, doit être poursuivie. D'abord, il y a toujours des résistances au grand chamboulement, ensuite, les partenaires pédagogiques, ne pouvant pas tout assimiler et saisir, ne suivent pas. Et enfin, les réformes doivent être injectées à doses homéopathiques, progressivement et graduellement chaque année, afin qu'elles puissent être acceptées, assimilées et correctement appliquées. Il arrive aussi que certaines réformes ne soient pas bien réfléchies, voire pas sérieusement étudiées. Prenons l'exemple de l'approche par compétences. Début des années 2000, le ministère lance la réforme de l'école sur la base de cette méthode importée du Canada. Sont installés des GSD (Groupe spécialisé de discipline) pour chaque matière. Et sans que les enseignants aient été bien formés dans la nouvelle méthode, cette dernière arrive, débarque, je devrais dire, dans les écoles sous forme de nouveaux programmes réécrits et de nouveaux manuels élaborés. Un fort pourcentage d'enseignants ne savait pas de quoi il s'agissait. Puis, il y a trois ans, le ministère de l'Education nationale annonçait qu'il «abandonnait cette approche» en matière d'évaluation. Pour ce qui est des méthodes d'apprentissage, je dirais qu'il y a autant de méthodes que d'enseignants et autant de niveaux que d'apprenants, il n'existe pas de niveau zéro, car chaque apprenant a un niveau propre à lui, c'est à l'enseignant d'évaluer puis de faire évoluer ce niveau. Pour ce qui est du professeur, les mentalités doivent changer, ils ne doivent plus se prendre pour des «omniscients» ; sachant tout et contrôlant toutes les dimensions de l'apprentissage. Au contraire, l'enseignant doit être considéré comme un allié, un contribuant qui anime le cours et pousse les apprenants à découvrir d'eux-mêmes ce qu'ils vont apprendre ; car comme le prouve l'expérience, on ne retient que ce que l'on a soi-même découvert. Et pour ce qui est du rapport élève/enseignant, il doit être empreint d'un sentiment d'assurance et de confiance, l'élève doit être face à une personne qu'il apprécie et chez laquelle il trouve compréhension et réconfort, ainsi il apprendra avec plaisir et la qualité sera d'autant plus élevée. A votre avis, comment peut-on expliquer l'engouement, de plus en plus prononcé, pour les cours supplémentaires ? M. Chabane : Pour revenir à la raison du rush vers les cours de soutien, il existe une raison tout à fait claire et évidente ; celle de l'instabilité du secteur de l'éducation nationale comme on l'a expliqué plus haut. Dans notre pays, les réformes scolaires sont régulièrement imposées sans réelle étude ni formation préalable ; on lance les consignes en changeant les manuels, les méthodes et on laisse les enseignants sur le banc de touche, sans aucune formation préalable ou de mise à niveau ; ils sont ainsi confrontés à la difficulté d'enseigner ce que eux-mêmes peinent parfois à assimiler. Depuis quelques années, et suite à l'adoption de nouvelles méthodes pédagogiques, l'approche par compétences, le phénomène du «seuil» a fait son apparition tirant encore une fois l'enseignement vers l‘arrière et invalidant les diplômes algériens à l'étranger. Accéder à l'exigence des élèves de la «aataba», c'est aussi une manière d'acheter la paix sociale. L'engouement pour les cours supplémentaires est dû à cette instabilité et ce manque de sérieux. Les parents, n'ayant plus confiance en l'institution scolaire qui n'a plus l'air sérieux, préfèrent payer des cours de renforcement à leurs enfants. M. Becheur : Les parents font le choix des cours de soutien pour s'assurer des progrès de leurs enfants, mais ajouté au programme scolaire, certains tombent dans l'excès ce qui conduit à un sentiment de saturation chez l'enfant qui se retrouve ainsi inondé d'informations et incapable de tout assimiler. D'autre part, chez certains élèves, la conviction de tout trouver dans les cours de soutien les pousse à ne pas se concentrer en classe, ils sont distraits et perturbateurs, assurés qu'ils trouveront le cours ailleurs qu'à l'école. On aura compris alors que tant que les problèmes du secteur de l'éducation perdurent, la place des écoles privées restera évidente. Mais alors, peut-on être sûr de l'efficacité et de la qualité de l'enseignement proposé dans ces établissements ? M. Becheur : l'un des problèmes qui mine le secteur de l'enseignement privé, notamment celui des langues, est l'absence de toute réglementation. Avec un simple registre du commerce, n'importe qui peut proposer des cours de langues. Dans ces cas-là, on retrouve des enseignants versés dans le «privé» pas toujours à la hauteur et qui accueillent les élèves dans des lieux inappropriés ; garages, locaux vétustes ou à domicile sans grand-chose comme matériel ni de supports particuliers, alors que l'enseignement, quel qu'il soit, doit être soumis à des règles, et ce, afin de protéger les enfants. Les autorités laissent faire ces pratiques clandestines alors que la crédibilité d'un Etat repose sur son contrôle sur les pratiques commerciales de sa société. Et lorsque le commercial se juxtapose au pédagogique comme c'est le cas pour les cours de soutien, je pense que la réglementation doit être très stricte toujours dans la but de protéger les enfants. Les parents aussi ont leur part de responsabilité et je les appelle à ne plus céder à ce genre de pratiques et à exiger le meilleur pour leur progéniture afin de s'assurer du bien-être mais aussi de la réussite de l'apprentissage recherché.