Entretien réalisé par Abla Cherif Il est considéré comme étant l'un des fers de lance de la lutte antiterroriste. Au cours de la décennie noire, le général Maïza a été l'un des éléments les plus actifs, les plus connus surtout de cette guerre sans merci livrée à ces groupes qui avaient programmé le chaos dans le pays. Aux côtés du défunt général Fodil Chérif, il a laissé son empreinte dans la 1re Région militaire et dans bien d'autres zones encore. Pour la première fois, il revient sur ce passé douloureux et analyse pour nous les évènements présents que traverse l'Algérie. Comment appréciez-vous la situation sécuritaire qui prévaut aujourd'hui à travers le pays ? Je peux dire d'emblée que je suis optimiste. J'estime que la situation sécuritaire actuelle est excellente. Ce que nous avons vécu dans les années 90 n'existe plus. Je crois que l'ancien chef de l'état-major de l'armée l'avait déjà dit, le terrorisme algérien a été vaincu. Ce que nous avons aujourd'hui comme terroristes ne sont plus algériens, ce sont des mercenaires qui travaillent au profit d'organisations internationales. Auparavant, nous avions affaire au GIA, aujourd'hui il s'agit d'Al Qaïda qui n'est pas une organisation algérienne et donc tous ceux qui y sont affiliés, Algériens ou étrangers, Mauritaniens, Maliens, Tunisiens, ne sont que des mercenaires. Ce n'est plus du terrorisme tel que nous l'avons vécu, car nous avions en face de nous des Algériens, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Voilà le premier élément. Mais cela ne veut pas dire que l'intégrisme a disparu, il existe toujours, il a pignon sur rue. Il représente encore un mouvement idéologique et politique qui cherche encore à installer le califat en Algérie, qui cherche toujours à remplacer la Constitution par la Chariaa. Mais le terrorisme en tant que tel n'existe plus. Qui sont ces éléments qui activent ? Les groupes qui existent se réclament tous d'organisations étrangères. Une partie des éléments d'Al-Qaïda, c'est nouveau, a fait allégeance à l'EI, au fameux Daesh, mais je le répète, nous n'avons plus de terroristes algériens. Qu'en est-il de Daesh ? Ce n'est pas Daesh qui est entré en Algérie, ce sont des terroristes d'Al-Qaïda qui ont décidé à un certain moment de s'affilier à Daesh. La nuance est importante. On peut évoquer à ce sujet le fameux groupe, en partie décimé d'ailleurs, à l'origine de l'enlèvement de l'alpiniste français Hervé Gourdel. Dans ce contexte, quelle menace peut représenter le passage de clandestins marocains qui transitent par l'Algérie pour rejoindre les groupes terroristes en Libye ? Une vive réaction des autorités a d'ailleurs été enregistrée récemment à ce sujet. Ce sont des transitaires qui passaient par l'Algérie pour pouvoir prendre l'avion pour aller à Tripoli. Ils ont été renvoyés chez eux. Pour clore complètement ce dossier, l'Algérie a décidé d'arrêter carrément la liaison avec la Libye et Tripoli, donc le problème ne se pose plus. Mais ces clandestins, qu'ils soient sénégalais, marocains ou autres, peuvent passer par d'autres voies. Ils peuvent passer par la voie terrestre à travers le Sahel qui est un no man's land ouvert à n'importe qui. Ils peuvent passer également par la mer ou aller au Moyen-Orient et revenir vers la Libye. Toutes ces options sont possibles. Le problème sécuritaire semble être transposé aux frontières où un important dispositif a été mis en place. Les autorités font souvent état de grand danger. De quelle manière l'Algérie se trouve-t-elle menacée ? C'est vrai dans la mesure où tous les pays qui entourent l'Algérie vivent des problèmes sécuritaires. Si on prend le Sud de l'Algérie avec la situation sécuritaire que vivent actuellement le Niger, le Mali, le Tchad et même un peu plus bas le Nigeria avec Al-Qaïda et surtout Boko Haram qui a fait allégeance à Daesh, une suspicion de création d'un groupe de Daesh dans le Sahel existe. Il y a donc une menace potentielle d'arrivée d'Al-Qaïda ou de Daesh à travers la frontière sud. Le problème est similaire à la frontière Est. La Libye est dans une situation de chaos. Là-bas, des terroristes qui étaient affiliés à Al-Qaïda ont fait complètement allégeance à Daesh. Il y a maintenant une menace d'arrivée de terroristes à travers la frontière algéro-libyenne ou même à travers la frontière algéro-tunisienne. La Tunisie n'a pas le même dispositif sécuritaire, les mêmes moyens que l'Algérie, elle trouve des difficultés à stopper les éléments qui passeraient chez elle. Il y a aussi le fait que beaucoup de Marocains, de Tunisiens qui sont actuellement affiliés à Daesh se sont engagés avec cette organisation. D'après les statistiques qui ont été fournies en Syrie, en Libye et en Irak, ils peuvent à n'importe quel moment revenir dans leur pays. C'est ce qui s'était passé avec nous avec l'histoire des Afghans. Voici les menaces qui peuvent guetter l'Algérie. Mais il faut savoir que même du point de vue de la frontière nord, il peut y avoir aussi des éléments de Daesh. Des Européens, qu'ils le soient à 100% ou des binationaux, peuvent venir facilement en Algérie. Il peut s'agir d'un Français, d'un Belge... qui viendrait faire du tourisme et qui serait par exemple affilié à Daesh. C'est pour cela que je dis et je reconfirme que la situation sécuritaire en Algérie a totalement changé. D'autre part, je pense que l'Algérie est l'un des seuls pays africains à avoir un dispositif sécuritaire aussi fort. Je m'explique : dans les années 90, la Sûreté nationale et la gendarmerie n'occupaient absolument pas le terrain. Aujourd'hui, la gendarmerie a un maillage sécuritaire pratiquement total. A ma connaissance, il reste 5 ou 6 communes algériennes qui n'ont pas de brigades de gendarmerie. La police était également inexistante, je l'ai toujours dit. En 1996, la Sûreté nationale comptait 60 000 hommes. Aujourd'hui, elle occupe toutes les daïras. La plus grande partie des communes possède des Sûretés urbaines. Ce maillage est très important car il permet le recueil du renseignement facilement, ce qui n'existait pas dans les années 90. Dès que quelqu'un bouge quelque part, les services de sécurité le savent immédiatement. Durant les années 90, une mouvance avait occupé les mosquées, ils pouvaient faire n'importe quoi et dans n'importe quel lieu de culte du pays, mais aujourd'hui ce n'est plus possible. Ce n'est un secret pour personnes, l'Etat a mis en place une police des mosquées. Elles sont toutes surveillées, contrôlées. Lorsqu'un imam dévie, il y a automatiquement intervention du ministère des Affaires religieuses. Lorsqu'une mosquée commence à être infiltrée par des éléments louches qui tentent de renverser l'imam ou travailler les gens, il y a également intervention. Ceci n'existait pas dans les années 90. Ce maillage sécuritaire total de toute l'Algérie est d'une importance capitale. Lorsque nous parlons de Daesh par exemple, beaucoup de personnes sont étonnées de la facilité avec laquelle il a pu conquérir des territoires immenses en Irak, en Syrie et même en Libye mais ils oublient de dire que Daesh active dans des pays où l'Etat n'existait pas, où les armées avaient été détruites, où les services se sécurité étaient inexistants. Il est très facile pour eux de conquérir des zones entières puisqu'il n'y avait rien en face. Ce n'est pas le cas de l'Algérie. Si nous prenons l'exemple de la Libye, ce pays est construit d'un tas de groupes, de milices qui ne s'entendent même pas entre elles. Il est très facile pour cette organisation de s'installer dans ce pays en essayant d'attirer à elle quelques milices. Daesh ne peut s'implanter en Algérie. Les années de terrorisme que nous avons vécues semblent avoir généré une autre forme de violence en Algérie. Elle se manifeste notamment dans les nouvelles cités où des gangs armés de sabres et d'armes blanches sèment la terreur. De quelle manière percevez-vous le phénomène ? C'était prévisible. A la fin de l'action contre le terrorisme dans les années 99-2000, nous savions que la violence allait monter en flèche. Les enfants de l'époque n'ont vécu que dans la violence. Souvenez-vous à l'époque, pour limiter ce phénomène, l'Algérie interdisait l'entrée de jouets sous forme d'armes. Nous avons constaté que ce qui fait le plus plaisir à un enfant, c'est de détenir ce genre de jouets, il préfère une arme, un pistolet, un couteau en plastique plutôt qu'une peluche ou autre chose. Ils ont vécu à une période où les seules personnes qui pouvaient imposer leur présence dans le pays étaient les gens armés. N'oubliez pas qu'en plus des services de sécurité, l'Algérie avait décidé de distribuer des armes aux Patriotes, aux Groupes de légitime défense (GLD)... Les enfants voyaient leur père, leur frère, leur mère défendre leur maison, leur village, leur îlot de vie par les armes. Nous savions que tout cela allait se transformer en violence. Tous les enfants d'amis que je rencontrais voulaient devenir des ninjas. Ils voulaient s'engager dans la police ou la gendarmerie pour devenir des ninjas, pour eux, c'était le summum. La violence germait, elle était prévisible et l'on s'attendait à ce qu'il y ait une explosion de violence. De plus, la plupart de la population a été urbanisée sans qu'il y ait de maillage strict. A l'époque, nous avions demandé que toutes les cités soient équipées si ce n'est d'un commissariat ou au moins de postes de police. Il y a eu construction de conglomérats urbains non sécurisés. Aujourd'hui, il y a installation d'écoles, de centres commerciaux mais pas encore de brigades de gendarmerie. Vous créez un ensemble immobilier de 4000 à 5000 logements sans qu'il y ait déploiement de services de sécurité. C'est pour cela qu'il y a cette violence. De plus, toutes ces nouvelles cités ont des composantes hétérogènes. Des personnes déracinées qui ne possèdent pas de relations de voisinage sont mises ensemble et essayent de s'imposer. Ce sont des phénomènes naturels. Mais pour paraphraser un sociologue arabe qui avait mené une étude sur l'Algérie, notre pays connaît une violence extraordinaire. Je me souviens que lorsqu'une mère voulait punir son enfant elle lui promettait d'être «tué» s'il désobéissait. Elle lui disait «je vais te tuer, je vais t'égorger, je vais t'arracher les tripes». C'est devenu un langage naturel. Les enfants sont élevés avec des images violentes et il est donc tout à fait normal qu'il y ait de la violence. A présent, il faut aussi dire que ce qui se passe est un phénomène qui existe dans les plus grands pays du monde, dans les plus grandes démocraties. Ceci peut être combattu par une éducation, un dispositif sécuritaire, par la suppression du chômage. Il faut combattre l'oisiveté. Vous avez longtemps opéré dans la 1re Région militaire où ont été perpétrés les plus terribles massacres. Quel est le souvenir qui vous a le plus marqué ? C'est une femme. J'étais en poste à Chlef. Elle avait insisté pour me voir et j'ai mis du temps à la recevoir. Elle avait perdu son mari qui était un terroriste. Il avait participé à la fameuse embuscade contre un détachement de l'école de Ténès. Nous avions bombardé la région où son groupe se trouvait, c'était à l'ouest de Ténès. La forêt avait été brûlée et le terroriste était mort durant l'incendie. Cette femme qui avait huit enfants avait identifié son mari. Lorsque je l'avais reçue elle m'a dit : je l'ai reconnu formellement car il portait une paire de chaussures particulière, que personne n'avait. Elle se plaignait de ne pas avoir reçu l'acte de décès de son mari. A l'époque, elle m'avait expliqué qu'elle se fichait complètement de ce qu'il faisait. «J'étais à la maison, me disait-elle, il venait me demandait de cuisiner pour 20 personnes, il recevait des gens que je ne voyais même pas, Il faisait ce qu'il voulait. Je me fiche qu'il soit mort ou pas, ce qui m'intéresse c'est de pouvoir avoir cet acte pour m'occuper de mes enfants, les inscrire à l'école». Elle mourait de faim. Elle m'avait raconté qu'elle ramassait des légumes ou détritus détériorés dans les poubelles, les mettait à bouillir dans de l'eau et attendait la nuit pour faire manger cette mixture à ses enfants, à la lueur d'une bougie car elle n'avait pas de lumière. Elle tenait à ce que ses enfants ne voient pas ce qu'ils mangent. Elle m'avait vraiment touché. J'ai demandé au procureur de Boukadir de signer l'acte de décès. J'avais également demandé au directeur de l'hôpital de l'employer, il était réticent à prendre la femme d'un terroriste. Je lui ai dit qu'il fallait l'employer aux cuisines, au réfectoire en échange de nourriture pour ses enfants. Cet exemple m'avait marqué et heureusement, car je m'étais rendu compte (j'étais à Chlef) que ce n'est pas toute la population qui était terroriste. Dès ce moment, j'avais posé le problème, j'en avais même parlé à Mme Leila Aslaoui, de savoir qui allait s'occuper des familles des terroristes. Les pères mères, épouses n'ont aucune responsabilité dans les actes de leur fils ou père. On ne pouvait pas les rejeter comme cela pour éviter de revivre ce qui s'est passé après l'indépendance entre harkis et moudjahidine. C'est un souvenir vivace. Je n'ai pas retenu ce qui s'est passé du côté massacres, je n'ai pas gardé d'images... car j'avais une perception technique de l'évènement. D'autres militaires n'en dormaient plus, je connais des personnes, des amis même, qui n'ont pas dormi durant des années, qui souffraient de cauchemars... Personnellement, j'ai toujours refusé de «regarder» les massacres, les victimes, d'un côté humain. J'essayais de ne pas fixer les corps. J'établissais un décompte pour faire mon rapport... je faisais mon travail, c'est tout. Tous ces soldats confrontés continuellement à des images atroces, des situations violentes, ont-ils bénéficié d'une prise en charge psychologique ? Malheureusement non. Au niveau de l'armée, il n'y a pas eu de prise en charge psychologique. Au niveau de la police, le problème a été pris en charge. Le défunt Tounsi avait compris le problème et intégré des psychologues dans toutes les wilayas. Enormément de policiers qui avaient travaillé avec moi ont fait des dépressions. Des personnes avec lesquelles j'ai travaillé dans les années 96 et que je connais très bien sont passées par l'hôpital psychiatrique. Même la population (temps d'arrêt), là c'est le grand «massacre»... Un jour j'ai assisté à une scène terrible à El-Abadia (Chlef). Une femme avait été assassinée devant son mari et ses neuf enfants par son cousin et deux autres terroristes. Elle avait été tuée dans la chambre à coups de hache. Les cris ont alerté les voisins. L'attaque avait été perpétrée dans une zone très difficile. Lorsque nous sommes arrivés, la femme avait été pratiquement découpée. Son mari, un homme très grand de taille, et les neuf enfants étaient dans un coin de la chambre... Ce qui m'a tout de suite frappé, c'est l'exiguité des lieux. J'ai demande aux soldats de prendre les enfants pour qu'ils ne marchent pas dans le sang de leur mère. C'était un cousin à elle. Durant longtemps, j'essayais d'imaginer ce qui allait arriver à ces enfants. La plus grande avait dix ans. Je me demandais comment ils allaient vivre avec le souvenir de leur mère se débattre sous des coups de hache. Les enfants ont été confiés aux parents. Le père a fait sa déposition à la brigade de gendarmerie et plus personne ne s'est intéresse à lui, ensuite. Ni à lui ni aux enfants. L'absence de prise en charge psychologique de cette catégorie de personnes est un gros problème. Vous avez, à un certain moment, déclaré que l'Etat algérien n'avait pas mis en place les moyens appropriés pour combattre le terrorisme durant cette époque. De quoi vouliez-vous parler ? L'Etat était carrément inexistant durant les années 90. A cette époque, je me souviens être allé au Zaccar, lorsque les citoyens nous ont vus arriver, ils se sont mis à crier : «les Français sont là»... Ils étaient coupés du reste du monde. Sur place, je me suis aperçu qu'il n'y avait même pas d'école. Il y avait exactement deux classes, transformées en écuries d'ailleurs, car les gens avaient peur d'enseigner. Je suis intervenu auprès de l'ancien wali de la région pour trouver des instituteurs mais personne ne voulait prendre ce risque. J'ai trouvé alors des jeunes filles qui avaient un certain niveau (BEM), nous leur avons offert un salaire de fortune (le filet social) et promis de les armer, elles et leur famille. Elles ont finalement accepté, et c'est ainsi que nous avons pu redonner un peu vie à ce village. Peu de temps après, nous sommes passés à une autre région. Il fallait tout faire pour éviter que toutes ces zones reculées se vident. Ailleurs, nous avons installé des tentes militaires pour faire office d'école, les gens n'avaient pas de quoi se nourrir, ils venaient chaque soir avec leur gamelle partager la nourriture des soldats. Même l'eau leur était fournie. J'ai dû intervenir à maintes reprises pour mettre en place un minimum de vie dans les villages les plus reculés car nous n'avions pas intérêt à ce que ces zones se vident et laissent le terrain libre aux groupes terroristes. Dans certains endroits, nous avons réussi à maintenir la population en offrant à chaque famille 100 poussins pour l'élevage. Pour d'autres, c'était des abeilles. Ces personnes avaient tout perdu, vous comprenez. Nous étions dans une situation exceptionnelle et l'Etat n'avait pas pris de mesures exceptionnelles. L'Etat était absent. Oui je l'ai dit, le terrorisme a été vaincu par voie sécuritaire et grâce à tous les moyens que nous avions mis en place pour le combattre. Prenez la garde communale, je suis totalement contre sa dissolution. C'est une structure qui a mené un travail de renseignement surtout extraordinaire. Replacez-vous dans le contexte. Grâce à eux, nous savions tout ce qui se passait. Ce qu'il faut savoir, c'est que beaucoup d'éléments de la garde communale étaient des repentis. Dans ce cadre, la loi sur la repentance a été très bénéfique. Ces personnes que j'ai enrôlées dans la garde communale, je me suis battu contre les moudjahidine qui ont fini par comprendre d'ailleurs, venaient avec un avocat. Ils demandaient à ce que leur famille soit réunie et mise à l'abri. Père, mère, enfants arrivaient, on les mettait dans un lieu sûr. En échange, l'ancien terroriste, puisqu'il venait de se repentir, nous ramenait des armes, des renseignements. On n'en avait rien à faire de ceux qui ne nous ramenaient pas d'armes. Ils se sont avérés être des éléments très bénéfiques de la garde communale. Toutes les personnes qui se sont engagées dans la garde communale l'ont fait pour défendre leur vie, celle de leur village... Ils connaissaient tout le monde et nous informait de tout ce qui se passait durant cette guerre qui a aussi parfois été une guerre d'argent dans certains cas. Je suis contre sa suppression. Que voulez-vous dire par une guerre d'argent ? Prenez l'exemple de ce qui s'est passé à Raïs. Tous les morts qu'il y a eu sont des membres de familles de groupes terroristes. A l'époque, le chef terroriste Djebaïli avait distribué de l'argent à toutes ces personnes qui ont investi notamment dans le transport, les fameux minibus qui apparaissaient un peu partout. Après sa mort, Zouabri a nommé le fameux «Japonais» et lui a demandé de récupérer l'argent qui avait été prêté aux familles. Ces dernières ont refusé, une expédition punitive avait été menée. Nous avions d'ailleurs retrouvé le registre qui comportait le nom de toutes les personnes concernées et ce sont elles qui ont été tuées. C'était incroyable. Les maisons ciblées étaient espacées par des maisons de citoyens non concernés et je vous assure que ceux-ci n'ont pas été touchés. Cela vaut aussi pour Bentalha. Toutes les victimes sans exception étaient des familles de l'AIS qui avaient fui la zone de Médéa. Là aussi une expédition punitive avait été menée. On leur reprochait d'avoir fui la zone. Sur un autre volet cette fois, quelle lecture faites-vous de la restructuration du DRS ? Si nous faisons abstraction des problèmes de personnes, cette restructuration était attendue depuis longtemps. L'armée cherchait à se professionnaliser et on avait établi le dossier de professionnalisation. Les services de sécurité devaient changer. L'armée ne devait garder que les services proprement militaires. Les autres services greffés à l'armée, espionnage, contre-espionnage, devaient être dissociés pour qu'on arrête de nous coller tous les problèmes de l'Algérie. Pour tous, l'armée était synonyme de pouvoir, c'est pour cette raison qu'à l'époque, nous disions qu'il ne fallait pas confondre entre l'armée et le DRS. Le DRS ne travaillait pas uniquement pour l'armée, mais pour l'Etat. Depuis les premiers présidents Boumediène, Chadli, la situation était la même, il y a juste une petite période, lors du passage de Khaled Nezzar à la tête de la défense, durant laquelle le contre-espionnage avait été rattaché au ministère de l'Intérieur, mais ils sont revenus immédiatement après sur cette décision. De mon point de vue, ce changement est tout à fait normal, il aurait au contraire dû intervenir il y a bien longtemps. Ces changements sont intervenus dans des conditions opaques qui ont ouvert la porte à beaucoup d'interprétations, de commentaires... C'est une pratique algérienne. On a vu des responsables de l'Etat algérien être assignés à résidence ou mis en prison. Vous prenez un Ferhat Abbas, qui a représenté le premier gouvernement de l'Algérie, a été mis en prison par le premier et le deuxième Présidents. Comment voulez-vous que cela change aujourd'hui. C'est une pratique politique strictement algérienne qui fait que les gens ne peuvent pas s'attendre à une reconnaissance de l'Etat. L'homme qui été mis à la porte dans le cadre de cette restructuration, et quoi que l'on puisse dire à son sujet, a œuvré au maintien de la République algérienne. Pour des raisons politiques, il a été mis à la porte mais il n'en demeure pas moins qu'il a travaillé pour son pays. Beaucoup de personnes ont été assignées à résidence ou mises en prison après l'indépendance. Je ne vois pas pourquoi l'ancien responsable du DRS pourrait vivre une situation autre que celle qu'ont vécue ses prédécesseurs. C'est une suite logique. Dans l'armée, on essaye de faire cela, de ne pas mettre à la porte mais d'honorer, même symboliquement, avec un petit cadeau. Que va apporter cette restructuration selon vous ? Plus d'efficacité pour ses services. Que ce soit vrai ou pas, nous avons vécu un antagonisme à la tête de l'Etat et ses services. Ils étaient en quelque sorte bridés. Mais leur retour à leur place naturelle va leur permettre de travailler normalement. On attend qu'ils puissent être encore plus efficaces. Que pensez-vous de cette volonté mise en place d'un Etat civil sur fond de crise économique ? Nous avons des moyens extraordinaires pour surmonter cette crise. Nous sommes loin de Monsieur 26 milliards qui a détruit tous les tissus sociaux. Aujourd'hui, nous avons des atouts. Cette chute du pétrole et des gaz est même un bienfait, elle permettra de se tourner vers la production. On disait que nous n'étions plus un pays car nous n'arrivions pas à produire ce que l'on mangeait, nos vêtements. Une importance va être donnée à la production. La situation politique, nous la vivons depuis l'indépendance, rien n'a changé, quel que soit le Président qui soit passé, la population n'a jamais été intégrée à la prise de décision, jusqu'à présent. Le fait de passer par le Parlement pour prendre des décisions importantes et l'actuelle Constitution n'est pas une nouveauté. Ce qui est nouveau, c'est l'existence d'une opposition. Il faut qu'ils se renforcent, travaillent la societé civile. Dire à présent que nous allons passer à une république civile, je n'y crois pas tant qu'il n'y a pas d'organisation civile. Seule la presse, écrite et audiovisuelle, contribue actuellement à l'émergence d'une societé civile. Les télévisions privées font un travail remarquable en poussant les autorités à régler les problèmes. L'armée n'a jamais été concernée par des prises de décision politique même pendant la période du parti unique. Je suis désolé, mais l'armée n'a pas fait les présidents. Souvenez-vous, Boumediène avait vidé l'armée de ses hommes, comme il se disait à l'époque. Souvenez-vous des Bouzeghoub... Chadli avait fait la même chose. Et c'est ce que fait l'actuel Président. C'est une continuité. Pourquoi dire que nous allons vers une societé civile ? Etions-nous une dictature ? Mais il est vrai qu'à chaque fois qu'il y a eu crise, l'Etat algérien, qui était incapable de gérer la crise, faisait appel aux militaires pour faire face. Liamine Zeroual nous avait réunis à Blida et on avait posé le problème en lui demandant d'extraire l'armée de ce problème. On lui avait demandé de renforcer la police, la gendarmerie afin qu'ils puissent faire face en cas de problèmes.