«Même pour le simple envol d'un papillon tout le ciel est nécessaire.» [Paul Claudel, 1868-1955, poète et dramaturge] Trente millions de personnes seront atteintes d'un cancer en 2020, d'après l'Organisation mondiale de la santé. Les traitements classiques principaux du cancer sont basés sur la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie. Après l'avènement de la chimiothérapie, de nouveaux médicaments sont en train de révolutionner l'oncologie, la thérapie ciblée. En effet, les progrès des connaissances en matière de carcinogénèse (ensemble de phénomènes transformant une cellule normale en cellule cancéreuse) ont permis d'identifier des cibles moléculaires clés dans la genèse de nombreuses tumeurs solides. Bien qu'encore limitées, ces informations permettent l'emploi de composés dirigés contre ces cibles moléculaires, créant ainsi le concept de thérapie ciblée Une voie prometteuse qu'ont choisi de suivre de nombreux laboratoires pharmaceutiques. De nombreux pays, et leurs industries du médicament, s'y investissent. A terme, elle dépassera rapidement l'utilisation des chimiothérapies conventionnelles. Afin de rapporter les mécanismes d'action des thérapies ciblées, il serait nécessaire d'introduire quelques notions concernant le fonctionnement de la cellule normale. Car c'est cette même cellule qui «échappera» un jour à son système de contrôle et de régulation pour proliférer et ne plus s'arrêter, formant une masse cellulaire solide (tumeur) et/ou essaimer (métastases) dans tout l'organisme. En effet, à l'état normal, toutes les cellules de l'organisme (foie, poumon, peau, pancréas, cerveau, globules blancs...) se multiplient pour former les tissus correspondant à ces différents organes et se stabilisent ensuite une fois les «valeurs normales» atteintes. Ces cellules ne se remetteront à se multiplier qu'en cas de besoin, en particulier lorsque leurs niveaux baissent (à cause de la mort naturelle des cellules, dite mort cellulaire programmée ou apoptose). Cette nouvelle multiplication des cellules permet juste de renouveler le «stock» cellulaire perdu lors de cette apoptose. C'est cet auto-renouvellement qui permettra de maintenir les équilibres entre les différentes populations cellulaires (homéostasie). Le phénomène d'auto-renouvellement cellulaire s'effectue selon un mécanisme moléculaire complexe basé sur des «signaux» centraux de communication (hormones...), d'une part, et entre les cellules, d'autre part (facteurs de croissance et de différenciation...). Ces molécules fonctionnant comme «signal» (ligand), se fixent sur des structures (récepteurs) des cellules cibles. Ces divers ligands se lient alors à leurs récepteurs selon des spécificités. Cette liaison déclenche ensuite une cascade de réactions biochimiques (phosphorylations...) à l'intérieur de la cellule qui se mettra à se multiplier ou réalisera une tâche particulière (différenciation). Cette cascade de réactions biochimiques est appelée «transduction du signal». Un éventuel défaut (mutations génétiques...) au niveau de ces récepteurs entraînera une altération de la transduction du signal ayant pour conséquence une «anarchie» dans la régulation de la multiplication qui échappera au contrôle. La cellule n'obéira plus aux signaux et ne s'arrêtera pas dans sa prolifération (comme si elle grillait tous les feux rouges !). C'est un mécanisme fondamental dans l'apparition de cellules cancéreuses (tumorogenèse). La démarche dans la conception de la thérapie ciblée consiste donc à rechercher (grâce aux techniques de biologie moléculaire comme le séquençage, l'amplification génique...) ces altérations (expressions et mutations des récepteurs de certains ligands). Diverses altérations sont aujourd'hui connues et contre lesquelles des molécules thérapeutiques inhibitrices (molécules chimiques, anticorps monoclonaux...) ont été mises au point constituant ainsi le nouvel arsenal dans le traitement du cancer qu'est la thérapie ciblée. Auparavant, il semble qu'une revue rapide sur les particularités et l'épidémiologie des principaux cancers soit nécessaire dans la présente contribution. Mortalité globale et particularités épidémiologiques des cancers les plus fréquents La mortalité par cancer augmente en dépit des progrès du dépistage et des traitements. Cette évolution est induite par le vieillissement général de la population et des facteurs environnementaux. Le cancer constitue un enjeu de santé publique. Après les maladies cardiovasculaires, les cancers constituent la première cause de décès chez l'homme et la seconde chez la femme. Le cancer du poumon arrive en tête des causes de décès, suivi des cancers du gros intestin, puis par celui des voies aéro-digestives supérieures, puis par le cancer du sein et de la prostate. Les hommes ont une mortalité par cancer plus élevée, car ils présentent les cancers les plus graves. Les cancers en progression concernent la prostate et le sein. Leur augmentation est expliquée respectivement par le vieillissement chez les hommes et par les habitudes de vie chez les femmes. Quant aux cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS), leur incidence s'est stabilisée, peut-être en raison de la baisse de la consommation d'alcool. Les mélanomes malins («grains de beauté» au niveau de la peau) augmentent régulièrement en raison de la mode du bronzage, en particulier chez les femmes, et de l'exposition solaire des enfants. Quant aux particularités épidémiologiques, elles se déclinent comme suit : Cancer du sein Le cancer du sein touche, en France à titre d'exemple, environ 34 000 femmes tous les ans et seulement 1 homme pour 100 femmes. L'incidence du cancer du sein a progressé en 20 ans de 60% dans tous les pays occidentaux. On peut noter que dans le monde, le cancer du sein est inégalement réparti. Il est plus fréquent dans les pays occidentaux que dans les pays en voie de développement. Les inégalités de répartition et les études de populations migrantes ont démontré l'impact de l'environnement et probablement du régime alimentaire. La prévalence (patientes atteintes et survivantes par rapport à la population générale de femmes), en France, a été estimée à près de 290 000 femmes, soit environ 1 femme sur 12. Il provoque environ 10 000 décès annuels et représente la première cause de mortalité des femmes entre 50 et 69 ans. Cancer du poumon La prévention des cancers bronchiques est un enjeu de santé publique en raison de la forte incidence (22 000 nouveaux cas par an en France). L'augmentation annuelle est régulière (+3,5%) depuis 40 ans et suit la progression du tabagisme. On a noté, en France, un ralentissement depuis1995 qui peut être relié à la stabilisation de la consommation du tabac suite à la loi sur la consommation de tabac dans les lieux publics. La mise en œuvre récente, en Algérie, de l'équivalent de cette loi aura indéniablement des conséquences intéressantes en termes de diminution des cancers du poumon. Il s'agit d'une maladie grave entraînant près de 24 000 décès par an dont 20 000 chez l'homme. L'excès de mortalité par rapport à l'incidence est dû à une sous-estimation liée à l'exigence de preuve anatomopathologique lors de la déclaration et à des erreurs par excès dans les certificats de décès (inclusion de métastases pulmonaires). La surmortalité masculine est nette (8,7 hommes pour 1 femme), mais l'incidence se majore pour les femmes qui fument de plus en plus. On voit de plus en plus de cancers du poumon chez la femme, et ce, depuis les années 1968 correspondant aux années de la «révolution des libertés» en particulier en France («mai 1968»). Aux Etats-Unis la mortalité par cancer bronchique chez les femmes a atteint la mortalité par cancer du sein. De même, la mortalité par cancer bronchique dans la tranche des 35 à 64 ans rend perceptibles les méfaits du tabagisme chez les jeunes. Cancers des voies aéro-digestives supérieures (VADS) Les cancers de la cavité buccale, du pharynx et du larynx sont fréquents en France, environ 12 000 nouveaux cas par an et touchent principalement les hommes. A titre d'exemple, le nord de la France et le Calvados sont au premier rang mondial en raison d'une forte consommation d'alcool et de tabac dans cette région. Après une augmentation régulière de 4 à 5% par an, l'incidence a régressé chez l'homme mais, par contre, continue d'augmenter chez les femmes à cause des tendances liées aux modifications des habitudes de vie (alcool et tabagisme féminins). Les cancers des VADS sont graves avec une nette surmortalité masculine (4 400 hommes versus 700 femmes). Cancer du côlon et du rectum Le cancer colorectal (CCR) est le troisième cancer de l'homme après le cancer bronchique et de la prostate. Il constitue le deuxième cancer de la femme après le cancer du sein. L'incidence a été évaluée à près de 40 000 nouveaux cas par an en France, dont 54% chez l'homme. L'inégale répartition des CCR dans le monde met en lumière l'impact de l'environnement dans leur apparition et particulièrement le rôle de l'alimentation. Les populations africaines ayant une alimentation à base de végétaux ont une incidence beaucoup plus faible que les pays occidentaux dont le régime est hypercalorique et riche en viandes et en graisses animales. L'intérêt de la consommation de fibres alimentaires (son de blé) et de calcium dans la prévention des polypes et des cancers semble incontestable. Le cancer du côlon reste une maladie grave entraînant 16 000 décès par an, ce qui représente 50 et 60% des malades. Cependant, cette mortalité pourrait se réduire notablement en procédant régulièrement au dépistage des polypes. A ce propos, la Sécurité sociale algérienne pourrait instaurer un dépistage par l'envoi systématique à la population, dès l'âge de 50 ans, d'une lame pour recueil d'un frottis de selles (recherche de sang dans les selles par examen microscopique simple). Cette stratégie aura des effets bénéfiques en termes de santé publique et d'économie de la santé. Cancer de la prostate Le cancer de la prostate est la localisation la plus fréquente de l'homme avec plus de 26 000 nouveaux cas par an. On remarque que l'incidence du cancer de la prostate a augmenté, en général dans beaucoup de pays, de plus de 180% pendant la dernière décennie. Cette progression s'explique par le vieillissement de la population et les progrès du dépistage. En effet, l'utilisation d'un test sensible, le dosage de l'antigène spécifique de la prostate (PSA) induit une augmentation artificielle de cancers au stade préclinique. La mortalité par cancer prostatique est élevée, environ 9 à 10 000 décès par an, car la moitié des malades se présente avec des métastases osseuses. C'est un cancer de l'homme âgé, avec un âge moyen de 70 ans. Il est rare avant 50 ans. Les facteurs étiologiques sont l'apport lipidique et l'action des hormones sexuelles comme facteur de prolifération. L'hérédité et l'origine ethnique jouent un rôle. Cancer de la peau Les cancers épithéliaux (tissus de recouvrement et de protection de la surface de certains organes du corps humain) sont très fréquents autant chez les hommes que les femmes. Ils surviennent au-delà de 60 ans et sur des zones exposées au soleil qui est le facteur étiologique principal. L'incidence annuelle est difficile à chiffrer en l'absence de registre prenant en compte les cancers épithéliaux. Les carcinomes basocellulaires (le plus fréquent : 80% des cas) entraînent une très faible mortalité (0,3% de l'ensemble des cancers). Quant aux mélanomes (cancers des cellules pigmentaires de la peau) malins de la peau, ils touchent environ 4 200 personnes (5 à 10% des cancers de la peau) par an. Ils sont en nette augmentation en France, en Europe, en Australie et en Amérique du Nord. L'incidence a doublé durant la dernière décennie avec une augmentation plus forte chez l'homme (2%) que chez la femme (0,7%). La France a des taux moyens de mélanomes, deux fois moindres que ceux observés en Grande-Bretagne, au Danemark ou en Hollande.Le nombre de décès par mélanome est d'environ 500 par an en France. Le facteur favorisant des mélanomes est constitué par les rayons ultraviolets du soleil, surtout chez les sujets à peau claire et en raison de l'ensoleillement dans l'enfance qui est le principal facteur de risque. Thérapies ciblées Grâce aux progrès réalisés dans les années 1990-2000 sur la compréhension du fonctionnement des voies de signalisation et des protéines impliquées dans le mécanisme de transformation tumorale, les thérapies ciblées ont pu être développées. Elles offrent un nouvel espoir de traitement des cancers en ciblant l'anomalie à l'origine du cancer. Les thérapies ciblées agissent en se fixant sur des cibles impliquées dans la tumorogenèse (émergence d'une tumeur). Ces cibles sont des récepteurs, des molécules ou des protéines participant au fonctionnement de la machinerie cellulaire en intervenant dans la prolifération, la différenciation, la survie et l'invasion des cellules tumorales. Ces cibles sont en fait capables de traduire le signal d'une molécule informationnelle en un effet spécifique de cette cellule et de cette molécule. Elles doivent être exprimées ou surexprimées par une forte proportion de cellules tumorales afin de faciliter l'accès du médicament. L'utilisation des thérapies ciblées est spécifique de chaque tumeur, de chaque personne. Il s'agit bien d'un traitement «personnalisé». Il est donc nécessaire de caractériser les altérations oncogéniques de chaque tumeur et de rechercher celles sur lesquelles il est possible d'intervenir. En effet, on a défini six capacités caractérisant le processus tumoral, soit six types de cibles pertinentes des thérapies ciblées : - indépendance vis-à-vis des signaux de prolifération (multiplication cellulaire) ; - perte de la capacité d'apoptose (mort programmée d'une cellule arrivée à son terme) ; - perte du contrôle du cycle cellulaire (renouvellement cellulaire normal) ; - acquisition du phénotype (marqueur de surface cellulaire) d'immortalité des lignées cellulaires ; - développement des capacités d'invasions et de métastases ; - mise en place d'une angiogenèse (développement de nouveaux vaisseaux) spécifique à la tumeur. Ces propriétés ont été acquises suite à des surexpressions protéiques, des mutations activatrices, des amplifications génétiques, ainsi que par la perte d'expression de gènes suppresseurs de tumeurs à cause des mutations inhibitrices, ou encore par la dérégulation des facteurs de croissance ou du signal de transduction (cascade de signaux de régulation). Aussi, d'autres capacités des cellules cancéreuses ont été mises en évidence. Il s'agit de la dérégulation du métabolisme énergétique cellulaire, de la capacité à éviter la destruction par le système immunitaire (échappement), de l'instabilité et des mutations du génome et de l'inflammation favorisant les tumeurs ainsi que la possibilité d'immortalité. Ces propriétés nouvellement découvertes représentent des cibles potentielles pour le développement de molécules de thérapies ciblées. Les thérapies ciblées – ou médicaments ciblés – sont une nouvelle classe de médicaments contre le cancer, dont le mécanisme d'action est différent de celui des chimiothérapies anticancéreuses classiques. Leur dénomination «thérapies ciblées» fait référence à ce mécanisme d'action plus spécifique. La chimiothérapie et la radiothérapie agissent sur les cellules à division rapide, dont font généralement partie les cellules cancéreuses. Mais ces traitements s'attaquent également aux cellules saines à division rapide, ce qui provoque des effets secondaires parfois sévères comme la perte de cheveux, l'anémie, la diarrhée, le risque d'infections amplifié, etc. Une thérapie ciblée est capable de reconnaître spécifiquement certains éléments («cibles») des cellules cancéreuses. Elle permet de ralentir leur croissance et leur propagation, sans trop provoquer de dommages aux cellules saines. Cela se traduit généralement par des effets secondaires moins marqués qu'avec les autres traitements contre le cancer. Mais ces traitements ciblés ne sont pas pour autant toujours exempts d'effets secondaires. Les thérapies ciblées ont également la particularité d'être prescrites «sur mesure». En effet, toutes les tumeurs n'ont pas forcément les mêmes cibles. Le médecin doit donc effectuer des tests spécifiques afin de déterminer le traitement le plus efficace. Ces tests permettent d'identifier des gènes, des protéines et d'autres éléments propres à la tumeur, susceptibles d'être ciblés par le traitement. Chaque patient se voit ainsi proposer un schéma de traitement spécifiquement adapté à sa tumeur. A contrario, si les cibles sont absentes de la tumeur, il est inutile de donner ce genre de traitement. Ces analyses préalables permettent donc d'éviter des traitements superflus. Ceci explique que, pour un même cancer (sein, intestin, rein...), deux personnes puissent recevoir des traitements différents. Les thérapies ciblées sont très coûteuses, de même que les tests nécessaires pour identifier la présence de cibles. Leur remboursement fait donc l'objet de critères très stricts. Les thérapies ciblées sont l'aboutissement de nombreuses années de recherche fondamentale en cancérologie, dont les résultats ont été traduits en application pratique grâce à la recherche translationnelle et clinique. C'est un domaine en constante évolution, et de nouvelles thérapies ciblées sont régulièrement découvertes. On peut classer les thérapies ciblées dans deux grands groupes : - les «petites molécules» : elles ont un nom qui se termine par «-ib», pour «inhibiteur». Ces petites molécules peuvent traverser la membrane cellulaire et venir inhiber des cascades d'activation des processus cancéreux à l'intérieur de la cellule. Quelques exemples : imatinib, erlotinib, vismodegib, etc. ; - les «grandes molécules» : elles ont un nom qui se termine en «-mab». Il s'agit d'anticorps monoclonaux. Ces molécules sont capables de reconnaître sélectivement les cellules cancéreuses et de s'y fixer, mais elles ne peuvent pas traverser la membrane cellulaire. Les anticorps monoclonaux peuvent toucher leur cible selon un ou plusieurs des mécanismes suivants : (a) en interagissant avec des récepteurs présents sur la surface cellulaire ; (b) en véhiculant des molécules toxiques qui vont ensuite pénétrer au sein de la cellule ; et (c) en provoquant une réaction immunitaire contre les cellules cancéreuses. Parmi ces médicaments, on peut citer, par exemple, le trastuzumab, le bevacizumab, le cetuximab, etc. Certains de ces médicaments font déjà intégralement partie des traitements standards utilisés contre divers types de cancers. Beaucoup d'autres sont encore en développement, et font actuellement l'objet d'études cliniques. Les thérapies ciblées peuvent être prescrites à différents stades du cancer, dans l'espoir de : (a) guérir le cancer ; (b) freiner son développement, le maintenir sous contrôle, mais sans le guérir définitivement et ; (c) tuer des cellules cancéreuses ayant migré vers une autre partie du corps (métastases). Les thérapies ciblées provoquent en général moins d'effets secondaires que la chimiothérapie. Ils varient d'un patient à l'autre, et certaines personnes n'en ont pas du tout. Il est conseillé de se renseigner auprès de son médecin afin de pouvoir reconnaître les signes indiquant un effet secondaire. Contrairement à ce qui se passe avec d'autres traitements, comme la chimiothérapie, la survenue d'effets secondaires des thérapies ciblées peut être le signe – mais ce n'est pas systématique – que le traitement est efficace. La plupart des effets secondaires disparaissent après l'arrêt du traitement, après un délai qui varie d'un médicament et d'une personne (état de santé général) à l'autre. On ne connaît pas encore bien leurs éventuels effets secondaires à long terme. Dans la pratique La thérapie ciblée utilise des médicaments dirigés contre des cibles moléculaires (récepteurs, gènes, protéines) impliqués dans les voies de signalisation intracellulaires jouant un rôle dans la transformation des cellules cancéreuses ou dans le développement des tumeurs malignes. Par son mode d'action, le médicament intervient à un moment précis du développement de la cellule tumorale : - soit dans la transduction des signaux, C'est la voie de la tyrosine kinase qui sera bloquée par les anticorps monoclonaux et par les inhibiteurs enzymatiques ; - soit en ayant une action sur les récepteurs spécifiques (ces médicaments permettront le blocage de la croissance des cellules cancéreuses et l'installation de l'antiangiogénèse et permettront le développement de réactions immunitaires de l'organisme contre les cellules cancéreuses). Il s'agit de cibler une anomalie moléculaire telle que des protéines et enzymes impliquées dans les processus de prolifération, d'apoptose, d'angiogénèse ou de régulation du cycle cellulaire. Deux cibles principales : (a) inhibition signaux de la prolifération et ; (b) inhibition de l'angiogénèse tumorale. Pour la cible 1 : inhibiteur de la transduction du signal stimulée par différents facteurs (facteurs de croissance épithéliaux ou HER, les tyrosines kinases (TK) et les sérines thréonines kinases) et inhibiteur de la transduction du signal bloquée par diverses molécules (anticorps monoclonaux compétitifs des facteurs de croissance, inhibiteur de tyrosine kinase ou TKI compétitifs de l'ATP et inhibiteur de la sérine thréonine kinase). Ce blocage de la cible 1 entraîne une diminution de la prolifération cellulaire et une augmentation de l'apoptose (mort cellulaire programmée). Pour la cible 2 : la tumeur produit un signal dont le facteur de croissance de l'endothélium vasculaire ou VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) qui stimule la prolifération des vaisseaux sanguins avoisinants de la tumeur (développement de nouveaux vaisseaux sanguins au niveau de la tumeur qui est une «astuce» utilisée par la tumeur pour être irriguée par le sang et ainsi pouvoir survivre). Elle est appelée angiogenèse. Cette approche anti-angiogenèse présente des avantages tels que la destruction des néo-vaisseaux de la tumeur, une activité potentielle dans tous les types tumoraux, un risque limité de voir apparaître des mécanismes de résistance (stabilité génétique des cellules endothéliales), un accès direct des médicaments à leur cible, une association possible avec d'autres approches thérapeutiques (anti-proliférative...) et un effet thérapeutique non cytotoxique. Quelques indications des thérapies ciblées anticancéreuses 1. Les anticorps monoclonaux : ils sont administrés par la voie intraveineuse (IV). On peut citer : - Trastuzumab ou Herceptin® (sein), - Rituximab ou Mabthera® (lymphome), - Cetuximab ou Erbitux® (colon, ORL), - Panitumumab ou Vectibix® (colon), - Bevacizumab ou Avastin® (colon, sein). 2. Les inhibiteurs de la tyrosine kinase ou les petites molécules actives. Ils sont administrés per os (ils bloquent l‘activité tyrosine kinase d'un récepteur ou d'une protéine cytoplasmique indispensable à la transduction du signal de prolifération). Leurs cibles membranaires sont l'EGFR (récepteur épidermique de facteur de croissance) et l'HER2 (récepteur épidermique pour les facteurs humains de croissance). On peut citer : - Imatinib ou Glivec® (tumeur stromale gastro-intestinale ou gist, leucémie myéloïde chronique), - Erlotinib ou Tarceva® (poumon, pancréas), - Lapatinib ou Tyverb® (sein). Lorsque leur cible est cytoplasmique, elle vise le marqueur mTor (protéine). On peut citer : - Everolimus ou Afinitor® (rein avancé), - Temsirolimus ou Torisel® (rein, lymphome des cellules du manteau). Lorsque leur cible est le milieu extracellulaire, elle concerne le VEGFR (facteur croissance endothélial vasculaire). On peut citer : - Sorafenib ou Nexavar® (foie, rein), - Sinutinib ou Sutent® (rein, gist). En conclusion, les thérapies ciblées constituent une «révolution» dans la prise en charge des cancers. Elles sont de plus en plus utilisées pour améliorer l'efficacité des traitements de différents cancers. Alternatives ou complémentaires de la chimiothérapie, elles peuvent être indiquées à différents stades de la maladie cancéreuse. Les thérapies ciblées (ou traitements ciblés) désignent les médicaments utilisés pour bloquer certains mécanismes spécifiques des cellules cancéreuses. Ces thérapies reposent sur une étude et une connaissance approfondie des mécanismes moléculaires impliqués dans le développement du cancer. Les thérapies moléculaires diffèrent de la chimiothérapie car elles ciblent les cellules responsables de la maladie cancéreuse et ne créent pas de dommages aux cellules et tissus sains environnants. La chimiothérapie est un traitement général qui permet de détruire les cellules cancéreuses. Son activité cytotoxique peut également affecter les cellules saines, même si celles-ci ont la capacité de réparer des lésions occasionnées par un traitement, contrairement aux cellules cancéreuses. La différence entre chimiothérapie et thérapie ciblée tient donc à l'absence de dommages causés aux cellules saines dans la seconde approche thérapeutique. A noter qu'une thérapie ciblée peut être associée à un traitement par chimiothérapie. Les traitements ciblés peuvent être utilisés en «première ligne» (première intention) ou en deuxième ligne. Les médicaments de thérapie ciblée peuvent être administrés par voie orale ou intraveineuse. Plusieurs pathologies cancéreuses peuvent faire l'objet d'une thérapie ciblée : la leucémie myéloïde chronique (LMC), la leucémie aiguë lymphoblastique, le cancer du sein, le cancer gastrique métastatique, le cancer colorectal métastatique et le cancer du poumon et le mélanome. En ce qui concerne les effets secondaires, les thérapies ciblées sont généralement bien tolérées et n'entraînent pas les effets secondaires propres aux chimiothérapies : comme la perte des cheveux (alopécie), les nausées et les vomissements. Les médicaments utilisés dans le cadre de ces thérapies ont néanmoins une toxicité qui leur est propre. Ils peuvent être à l'origine d'une hausse de la pression artérielle, de maux de tête, de protéinurie, de réactions allergiques, ou encore d'atteintes digestives. Pour être éligible aux thérapies ciblées, différents tests moléculaires permettent de déterminer l'accès à cette alternative, en fonction de l'identification de «biomarqueurs». Ces biomarqueurs sont des molécules ou protéines surexprimées ou au contraire anormalement absentes dans certains types de tumeurs. Ils constituent un facteur prédictif de réponse positive à une thérapie ciblée. K. S. * Professeur des universités, directeur de recherches, service d'immunologie des transplantations CHU de Lyon, France