Youcef Merahi [email protected] Harouza est juste un toponyme. Surtout ne me demandez pas sa signification, je ne saurais l'expliquer. Par contre, je sais que c'est un coin de verdure sur le flanc Est du Belloua, ce saint-patron de la ville de Tizi-Ouzou. Ce coin de verdure sert aux joggeurs qui vont dérouiller qui une bidoche qui une rouille aux rotules qui pour oxygéner des poumons encrassés par la cigarette. Ce coin de verdure surplombe la ville qui se pâme sous les regards admiratifs des promeneurs nombreux, en toute saison. Sauf que la rumeur fait son travail en lieu et place de l'information publique, car il est question d'en faire une forêt récréative. A priori, j'applaudis le projet. Quoi de mieux qu'un coin de distraction pour des âmes qui errent sur des trottoirs tizi-ouziens qui n'arrêtent pas de se faire et de se refaire. Même les Chinois ont mis leurs mains à la mélasse de ces trottoirs qui ne résistent pas aux semelles sans pitié de nos marcheurs. Là n'est pas le propos ! Si c'est une bonne chose que d'arranger cette forêt, pourquoi la coincer dans une chronique ? Mais voilà, la municipalité ne l'entend pas de cette oreille. Le maire, du reste d'habitude réservé et pondéré, a poussé un cri de colère : «Pas touche à Harouza qui doit rester le poumon de Tizi-Ouzou !» Dans le projet, il est question de buvettes, de restaurants et autres espaces où l'ennui est au diapason des boissons servies. Il est question aussi de béton et autres travaux de terrassement. D'où, forcément, un entrelacs de prédation foncière qui risque de falsifier ce coin de verdure. (Les Français n'ont pas eu tort de construire, en son temps, un sanatorium juste au-dessus de Harouza ; c'est dire la justesse du choix !). Le maire veut garder cet espace, en l'état : un espace vert, naturel, luxuriant à certains endroits, pour sa ville. D'autant qu'en matière d'espace vert à Tizi, il faut repasser. Comble de l'ironie, nous nous trouvons en Kabylie ; lieu par excellence de la verdure. Certains arbres du centre ville ont résisté, par miracle, au massacre du béton ; il paraît que c'est un jardin public ! C'est là où le bât blesse : Tizi-Ouzou étouffe par son trop-plein de béton. Alors de grâce, évitons à Harouza le béton et le fer ! Laissons cette forêt aux joggeurs, aux marcheurs, aux contemplatifs, aux poètes et à son éternité. Je veux dire aussi que je comprends la colère du maire. Je la partage. Tizi-Ouzou éclate de partout. C'est une ville sans l'être vraiment. Eviscérée en son milieu par des trémies qui ne montrent pas leur bénéfice, cette ville pleure son urbanité, sa sociabilité et sa joliesse d'antan. A Larbaâ-Nat-Iraten, la culture semble n'avoir plus droit de cité. Et la censure pose subrepticement son bâillon. Amirouche Malek, un agitateur culturel, donne de son temps et de son énergie pour faire de «son» café littéraire une tradition. Tous s'accordent à lui reconnaître ce mérite. Franchement, je ne suis pas le seul. Régulièrement, il nous propose des rencontres qui touchent à toutes les disciplines : histoire, littérature, mémoire... Ne lui demandez surtout pas comment. Ou pourquoi. Au moment où beaucoup baissent les bras et se cassent la rétine face à une télé parabolée, à outrance. C'est son essence, son oxygène et sa raison d'être. Il ne peut en être autrement pour Malek. Après Nadjet Khadda, c'était au tour de Hacène Hireche, un professeur universitaire à Paris, qui a été invité pour une conférence à la bibliothèque de l'APC de LNI. Peu importe la thématique ! En culture, on peut parler de tout. Tout est sujet à discussion. De la dernière Constitution aux idées autonomistes, tout peut être soumis à l'intellect. Sinon, il s'agit bel et bien d'un retour en arrière, vers les années de plomb, au temps des «chut», les murs ont des oreilles, au «la yadjouz», quand la mahchoucha dictait sa loi. Jusqu'à samedi dernier, aucune autorité n'a trouvé à redire sur le travail de notre ami Malek. Cela fait quand même quelques années que cela dure ! Mais voilà, il a suffi que Hacène Hireche soit annoncé pour que la manifestation soit interdite par la daïra. Malek dirige une entreprise culturelle à but lucratif. Possible ! Mais pourquoi spécialement ce samedi ? Hireche ne dérangerait-il pas quelques esprits chauvins ? J'espère que la daïra éclairera notre lanterne. Pourquoi n'avoir pas exigé à Malek de payer la location de la salle ? Pourquoi le maire n'a-t-il pas bougé le petit doigt ? Je vois fleurir des cafés littéraires un peu partout en Algérie. C'est une preuve de vitalité et de conscience que les pouvoirs publics doivent encourager. La culture n'est pas seulement officielle dans ces maisons du même nom. Le bâillon étouffe, c'est sûr ; mais il peut provoquer des réactions à chaud incontrôlables. Le système a dégoûté le citoyen de ce qui respire la culture, la lecture, le livre, la beauté et le rêve. Par le biais de l'école, bien sûr ! Alors ne bétonnons pas la forêt de Harouza ! Et ne bétonnons pas l'esprit du citoyen par des interdictions qui n'apportent rien de bon à notre pays ! La diversité culturelle doit s'exprimer librement. Que l'on rappelle juste l'interdiction, bête et disciplinée, de la conférence de Mouloud Mammeri, en son temps. Ce Juste voulait juste parler des «poèmes kabyles anciens». Et l'administration tatillonne et sectaire a fait son sale boulot : vouloir faire taire l'auteur du Le sommeil du juste. Pour tout dire, je ne pense pas que l'interdiction de la conférence de Hireche soit du seul chef du sous-préfet. La ficelle est trop grosse pour le «paumé du petit matin» que je suis. Hireche a fait sa conférence à l'Université Mammeri (tiens, tiens, tiens) et Malek Amirouche doit vivre, intérieurement, un calvaire. La culture, c'est tout. Ou rien ! Encore une fois, le rapport de force fait des ravages ; samedi, il n'était pas en faveur de notre agitateur culturel. Une question à un douro : les conférences autour de Mouloud Feraoun et de l'attentat du 15 mars seront-elles interdites cette année ? Amirouche Malek n'en est pas l'organisateur.