Au bout d'un scénario rocambolesque et pour le moins inimaginable il y a à peine quelques mois, l'ancien ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, regagne le pays, non pas pour répondre devant la justice, ne serait-ce que comme témoin, des gigantesques scandales qui ont marqué son passage à la tête du secteur, mais en conquérant. Une sorte de victime que l'Algérie doit réhabiliter, dixit Ammar Saâdani ! Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - En véritable «char d'assaut» désormais identifié du cercle présidentiel, le secrétaire général du Front de libération nationale avait bien préparé le terrain, c'est-à-dire l'opinion, lorsque, il y a une semaine, il appelait à réhabiliter Chakib Khelil, «le meilleur ministre algérien depuis l'indépendance» ! Comme par hasard, Chakib Khelil sera reçu, jeudi, dans l'après-midi, au salon d'honneur de l'aéroport international d'Oran, par le wali en personne. Un message clair en soi : c'est un retour officiel organisé à très haut niveau, autrement dit par Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier n'a jamais accepté, en fait, que l'on s'attaque à celui qui, avec Abdelhamid Temmar, Nouredine Yazid Zerhouni, Mohamed Bejaoui, et Mourad et Abdelatif Benachenhou, constituait le pilier de son régime, le premier cercle qui, jusqu'en 2010, détenait la réalité du pouvoir autour de lui. La relation avec Chakib Khelil aura été, même exceptionnellement particulière, jusqu'au bout. Depuis la fin décembre 1999 et la constitution du premier gouvernement de Abdelaziz Bouteflika, Chakib Khelil est imposé comme l'homme fort du secteur de l'énergie, donc de la Sonatrach qu'il gérait en maître absolu, ne rendant compte qu'au seul Bouteflika. Au point où, durant presque deux ans, il cumulera même les deux fonctions de ministre et de président-directeur général de la Sonatrach. Durant son long règne, les prix du pétrole avaient atteint des pics records et, naturellement, les rentrées et les investissements de la compagnie explosent, ce qui la place au centre de multiples convoitises à l'international, notamment. Très proche des Américains, Chakib Khelil commencera par faire parler de lui, en 2003 lorsque, à la surprise générale, il convaincra Abdelaziz Bouteflika de réviser la loi sur les hydrocarbures en introduisant un article qui permettra aux compagnies étrangères d'acquérir y compris nos réserves en sous-sol. Une loi à laquelle seul Yazid Zerhouni s'était opposé en conseil des ministres et qui allait mettre fin à l'indépendance nationale, tout simplement. Cette loi sera heureusement abandonnée en 2004, mais les déboires du secteur, eux, ne feront que commencer ! Le 24 février 2006, Abdelaziz Bouteflika inaugurait, en compagnie de son tout-puissant ministre de l'Energie, le nouveau siège du ministère dont la réalisation était confiée à une compagnie américaine, la BRC. Ce jour-là, Bouteflika avait piqué une colère noire, reprochant à Chakib Khelil le choix du site : «C'est tout ce que vous avez trouvé comme site pour construire ? Un oued !» C'était en fait un message : Bouteflika détenait un rapport accablant des services sur les différentes magouilles de cette obscure compagnie et le scandale BRC éclatera juste après. Le rapport de la Cour des comptes sur cette affaire, que nous avons publié à l'époque, faisait état de nombreux cas de surfacturation, de magouilles financières, etc. Cette affaire sera d'ailleurs inaugurale d'une multitude de scandales qui frapperont la Sonatrach, notamment en décembre 2009. Fin décembre 2009, en effet, l'Algérie se réveillera sur une stupéfiante nouvelle : dans la nuit, entre minuit et 2h du matin, tout le staff de la direction de la Sonatrach, le P-dg en tête sera interpellé suite à une enquête menée par le service juridique du DRS. Chakib Khelil animera la matinée même une conférence de presse pour affirmer... tout ignorer de l'affaire ! Cette affaire marquera par ailleurs le véritable tournant dans les relations entre Bouteflika et le patron des services, le général de corps d'armée Mohamed Médiène, dit Toufik. Pour cause, Bouteflika n'a jamais admis un tel camouflet qu'il considère comme le visant lui, en premier lieu. C'est, pour rappel, suite à cette affaire que l'homme disparaît pendant des semaines ! Une très longue disparition de celui qui venait de s'emparer d'un troisième mandat dans les conditions que l'on sait et qui ne sera interrompue qu'après que de folles rumeurs commençaient à circuler sur lui, y compris dans les médias. C'est alors qu'il choisira un mode de communication pour le moins original pour refaire surface : il recevra «en famille», la star internationale Zinedine Zidane ! Comme reprise effective et officielle des affaires de l'Etat, il procédera au grand remaniement du 30 mai 2010 où il écartera Yazid Zerhouni mais surtout Chakib Khelil. Ce dernier, que Bouteflika avait failli nommer chef du gouvernement dès 2010, deviendra, au contraire, un véritable boulet qu'il fallait larguer. Ce qu'il fera sans état d'âme, mais sans plus. Les enquêtes des services, puis de la justice reprenaient de plus belle, et, régulièrement, le nom de Chakib Khelil revenait dans tous les rapports, de même qu'un certain Béjaoui, cité toujours comme intermédiaire entre des compagnies étrangères et le ministre algérien. Et cela se compliquera davantage pour lui lorsque la justice italienne se mettra en lice, avec ce que l'on a fini par appeler «l'affaire Sonatrach 2». La pression venue de l'étranger poussera la justice algérienne à relancer l'affaire. En 2013, du temps où Mohamed Charfi était ministre de la Justice, le procureur général près la cour d'Alger surprendra lorsqu'il lancera des mandats d'arrêt internationaux contre Chakib Khelil et des membres de sa famille. Ceci, tandis que Abdelaziz Bouteflika, lui, donnera un cachet on ne peut plus officiel à la procédure en affirmant dans l'une de ses lettres à la nation avoir été celui qui avait instruit la justice d'aller jusqu'au bout dans cette affaire de la Sonatrach. Et la suite, tout le monde la connaît : le procureurd'Alger, ainsi que son ministre seront... limogés ! Le général Toufik les suivra quelques mois plus tard. Il ne reste plus de tout cela que Ammar Saâdani qui avait rendu visite à l'ex-ministre de la Justice Mohamed Charfi en septembre 2013 pour lui demander «d'extirper Chakib Khelil» du dossier Sonatrach s'il tenait à garder son poste (ndlr : témoignage de Mohamed Charfi dans une contribution au quotidien El Watan en février 2014) et Chakib Khelil reçu en grande pompe par le wali d'Oran au salon d'honneur présidentiel. Chakib Khelil, futur membre du comité central du FLN de Saâdani ? Il aurait déjà pris une carte de militant. Samedi dernier, Saâdani ne demandait pas que la réhabilitation de Chakib Khelil. Il demandait aussi autre chose : «Il faut qu'il revienne pour travailler.» Dans le gouvernement ? Rien n'est à exclure. L'on croit savoir également que Chakib Khelil compte ester en justice ceux qui lui ont causé «un préjudice moral», à savoir le général Toufik et l'ancien ministre de la Justice Mohamed Charfi. Pour tout dire, Bouteflika aura fini par se venger sur ceux qui ont «osé» s'en prendre à son proche entourage. Mais au-delà de l'homme, une telle affaire laissera des traces, pour longtemps, sur la crédibilité des institutions et de l'Etat algériens... K. A. CHAKIB KHELIL, SONATRACH ET LES OCCIDENTAUX Une nouvelle loi sur les hydrocarbures ? L'on ne peut parler de Chakib Khelil, ancien ministre de l'Energie, sans évoquer la loi controversée sur les hydrocarbures à laquelle son nom est intimement associé. Younès Djama - Alger (Le Soir) - A l'époque, ce texte avait suscité moult protestations de la part notamment de la classe politique. Chef de file des opposants à cette loi, le Parti des travailleurs (PT) a initié une pétition en vue de contrer l'application de la nouvelle loi sur les hydrocarbures adoptée en mars 2005. Deux ans après, dans un entretien paru en 2007 dans la revue Pétrole et gaz arabes, Chakib Khelil défendait «sa» loi en estimant qu'avec la loi sur les hydrocarbures, l'attractivité de l'Algérie n'avait pas diminué car le régime fiscal était le même. Sur la disposition qui prévoit que Sonatrach devait avoir une participation d'au moins 51% dans les projets pétroliers et gaziers, Khelil avait alors estimé que cela devait conduire les firmes étrangères «à cibler» les projets pour lesquels elles anticipent avec une participation inférieure ou égale à 49%... Mais la loi de Chakib Khelil avait du mal à passer. La levée de boucliers à laquelle elle a donné lieu a eu ses résultats puisque la nouvelle loi sur les hydrocarbures a été adoptée en 2013 sous l'ère de Youcef Yousfi. Devant les députés, Yousfi, aujourd'hui nommé conseiller du Président aux questions énergétiques, a développé les amendements apportés à la loi Khelil et qui ont trait essentiellement à l'implication de l'entreprise nationale Sonatrach dans l'exercice des activités de recherche des hydrocarbures, le renforcement du rôle de Sonatrach à travers l'exercice exclusif de l'activité de transport par canalisation des hydrocarbures et des produits pétroliers. Aussi, l'attribution du monopole exclusif à Sonatrach a, selon Yousfi, pour objectif d'assurer la sécurisation et la fiabilité du réseau de transport par canalisation en vue de satisfaire la demande nationale et de respecter les engagements envers les partenaires commerciaux. Les amendements proposés visent, en outre, à améliorer l'attractivité du domaine minier national en vue d'attirer les investissements nécessaires afin d'identifier et de mettre en évidence de nouvelles réserves d'hydrocarbures à même de répondre aux objectifs assignés, notamment en matière de sécurisation de l'approvisionnement du pays à très long terme et de contribution au financement de son développement économique et social. «Notre ambition est également de faire de la loi amendée, un levier important pour la promotion de nouvelles activités industrielles liées aux services pétroliers et à la logistique, permettant la création de dizaines de milliers d'emplois», avait affirmé Yousfi devant les députés. L'angle de vision «occidental» de la loi Khelil L'expert Ferhat Aït Ali revient au contexte de la mise en œuvre de la loi sur les hydrocarbures. «À cette époque, rappelle-t-il, cette loi a été mise en œuvre à l'initiative de Chakib Khelil, sous l'angle de vision ‘'occidental'', lequel ne confond pas les compagnies pétrolières avec les ressources du pays où elles prospectent, de ce fait il estimait que la Sonatrach ne pouvait être assimilée en même temps à un prestataire de services pétroliers pour le compte de l'Etat et à un détenteur des ressources nationales en hydrocarbures objet de ces services.» Chakib Khelil a donné à la Sonatrach de ce fait un statut commercial qui ne «lui offre aucun privilège en matière de périmètres à obtenir ou de services à fournir, la mettant sur un pied d'égalité avec les entreprises étrangères appelées à opérer chez nous dans l'amont et l'aval pétrolier», observe notre interlocuteur. L'expert rappelle qu'à l'époque de l'élaboration de cette loi, le pays avait une production très faible et des investissements nuls, «couplés à un manque de fonds et de compétences dans le domaine, frappé par l'embargo des années 1990 et les cours bas du pétrole qui n'incitaient pas franchement les grandes compagnies à investir». De ce fait, il y avait deux optiques, la «dirigiste» qui aurait pu marcher avec un autre ministre à sa tête, mais aussi en mobilisant les moyens humains et financiers selon l'ancienne logique socialiste, et dans ce cas, il ne fallait pas faire appel à Khelil et aux Américains, et la «logique Khelil» qui est celle universellement admise en la matière, et celle de la Banque mondiale aussi, qui consiste à considérer toutes les entités économiques comme ayant un caractère commercial quel que soit leur statut, fait remarquer Aït Ali. Selon cet observateur averti, Khelil a été «coopté» par le système sur la base de ses «introductions» aux Etats-Unis, et sa connaissance du milieu pétrolier, mais en sachant que le personnage est un pur libéral qui ne conçoit pas le secteur pétrolier sous un autre angle que celui des libéraux, soit un secteur marchand. «Le malentendu vient du fait que, chez nous, certains cercles de décision ayant les arguments politiques pour soulever les foules au nom de la souveraineté et du drapeau, veulent avoir les avantages du libéralisme mais sous la dictée du dirigisme, ce qui n'est évidemment pas possible», soutient Aït Ali.