Une centaine d'Oranais, jeunes et moins jeunes, un livre à la main chacun et lisant silencieusement, dans un cadre aussi idyllique que la promenade Ibn Badis (ex-Létang) surplombant la mer, de surcroît durant la Journée du savoir (Youm el ilm), c'est un véritable acte de «résistance» culturelle à l'ère du tout numérique. C'est en substance le sentiment de tous les participants à cette manifestation de lecture collective, organisée conjointement par les associations Bel Horizon et Le petit lecteur qui en est à sa quatrième édition et, tout particulièrement, le sentiment de Kouider Metaïr, président de Bel Horizon. «Chaque année, nous essayons de donner à la Journée du savoir, le 16 avril, un contenu culturel, un contenu de lecture, par un rassemblement littéraire regroupant des Oranais de tous bords dans un site aussi paradisiaque que la promenade Ibn Badis, un site qui marque les visiteurs et qui incite au calme et à la sérénité. Notre objectif est de susciter la lecture et de faire en sorte que ce magnifique jardin devienne un circuit culturel pour les jeunes d'abord et pour tous les citoyens, qu'ils soient oranais ou de passage», souligne Kouider Metaïr. Face à la mer, assis sur les marches d'escalier menant vers les hauteurs du jardin, en groupes ou individuellement, chaque lecteur était plongé dans son livre. Contrairement à ce que disait Albert Camus, Oran ne tourne pas vraiment le dos à la mer. Et à la promenade Ibn Badis, le visiteur a l'impression qu'une vue sur mer aussi époustouflante se mérite, se gagne par l'effort accompli de la visite elle-même ou par l'effort d'une lecture dans un site de rêve. Et dans ce site, personne ne faisait mine de lire. Tous lisaient réellement et avec enthousiasme, presque dopés par le paysage et l'air pur, et par un certain sentiment de complicité et de communion entre les participants qui s'est développé de livre en livre, de page en page, de déclamation en déclamation, d'arbre en arbre en ces lieux plus que centenaires. Entre les mains des lecteurs, dans un silence digne des bibliothèques, bercé par le vent et le gazouillis des oiseaux, des livres, d'auteurs algériens et étrangers, en arabe, en français et en anglais. Il y avait du Mohammed Dib, du Mouloud Feraoun, du Yasmina Khadra, ainsi que du Jules Renard, du Manfalouti et même des mangas. Il faut dire qu'au menu de cette manifestation, qui se veut «100% culturelle», les participants, ou plutôt les adeptes de la lecture de livres, avaient droit à une lecture silencieuse d'une heure, suivie d'une lecture collective durant laquelle les participants déclamaient des poèmes ou d'autres textes de leur choix. En outre, une lecture paysagère a été donnée à tour de rôle par Samir Slama, paysagiste et journaliste, et Kouider Métaïr, et lors de laquelle ils ont décortiqué l'origine des nombreuses espèces végétales qui prédominent dans cette promenade, aménagée en 1836. Amina, 23 ans, étudiante, préparant une licence de français, un roman de Mohammed Dib à la main, estime que «rien n'égale la lecture d'un livre en papier, surtout sur un site comme celui-ci, un site qui invite à la réflexion et au calme. On a l'impression de mieux comprendre ce qu'on lit, d'être en phase avec la nature et avec l'esprit, un certain équilibre s'installe en nous. C'est une expérience formidable, c'est la troisième fois que j'y participe». Pour Samir, 22 ans, étudiant en électrotechnique, «ceux qui ne lisent pas ne savent pas ce qu'ils perdent. Et s'ils venaient à la Promenade de Létang, je crois bien qu'ils attraperont le virus de la lecture et celui des belles vues d'Oran. J'ai envie que cette expérience se renouvelle chaque semaine. Et, mis à part la lecture, on fait la connaissance de nouvelles personnes, on se fait de nouveaux amis et on sent qu'on est en train de prendre part à un événement important qui vaut le détour». A noter que cette année, l'événement est organisé sous le slogan «La lecture est une amitié», une citation célèbre de l'écrivain Marcel Proust et chaque citoyen a été invité à y participer, à condition qu'il soit muni d'un ou de plusieurs livres de son choix. C'est, en quelque sorte, le ticket d'entrée à cette fête du livre. Un clin d'œil a été consacré à l'écrivain espagnol Miguel Cervantès, décédé en 1616, il y a 400 ans de cela. «A l'occasion du quatrième centenaire de sa disparition, nous tenons à lui rendre hommage», explique Kouider Métaïr, qui rappelle que le père de Don Quichotte a écrit une comédie, El Gaillardo Espagnol, en 1581, qui avait Oran pour décor. Des textes de l'Emir Abdelkader ont été également déclamés ainsi que ceux d'autres écrivains algériens. Pour les enfants, l'association Le petit lecteur a, pour l'occasion, «affrété» son bibliobus à la promenade Ibn Badis afin de ne léser personne. «C'est la lecture de 7 à 77 ans, voire davantage», souligne un participant. A noter que cette manifestation est un prélude à une autre activité, «L'art de la rue», prévue le 1er mai prochain, une randonnée en ville, qui connaîtra la participation d'artistes locaux et internationaux.