Rivalisant d'originalité dans la conception, d'humour et d'interprétation face à la caméra, ils ont investi le petit écran ces deux dernières années alors que rien n'augurait de leur succès. Ces podcasters d'hier s'invitent maintenant dans les foyers algériens jusqu'à devenir des figures familières de la petite lucarne. Après le bilan médiocre, en termes de popularité, des feuilletons et autres caméras cachées, plusieurs chaînes de télévision algériennes se sont tournées depuis 2015 vers une nouvelle génération, très active sur internet, qui propose des concepts originaux, drôles et peu coûteux à la fois. Tournées avec les moyens d'un simple podcast, en huis clos ou dans la rue, avec les passants et les voisins comme figurants, plusieurs vidéastes ont adapté leurs idées à la télévision et rencontrent depuis un franc succès. Le collectif «Zanga Crazy», un groupe d'amis d'un quartier d'Alger aux sensibilités artistiques différentes, s'est fait d'abord connaître sur la Toile en 2011 puis en produisant deux concepts télé Bekri/Lyoum et 100% Houma : des shortcoms diffusées en 2015 et 2016 pendant le Ramadhan et traitant de sujets de société avec beaucoup de subtilité et d'humour. Transformant leur quartier en «plateau de tournage», Rochdi, Ramzi et Samir ont réussi le pari de s'autoproduire, avec les seuls aides et soutien de riverains se prêtant volontiers au jeu, tout en fournissant un programme cohérent et, techniquement, de facture correcte. Après des débuts discrets à la télé comme chroniqueur et co-animateur d'émission, Chamssedine Amrani, connu sur la toile sous le nom de «DZ Joker», déjà remarqué pour son humour décapant conjugué à un sens aigu de l'autodérision, s'est surtout illustré par un certain talent dans Imaginiw, réalisé avec un minimum de moyens techniques et où évoluent, dans l'Algérie actuelle, super héros et personnages de notoriété internationale. Plus portée sur le traitement de phénomènes de société, Anes Tina, autre figure du la Toile, a récemment fait le buzz à la télé comme sur la Toile avec L'expérience, un programme qui sonde les réactions de citoyens sur des sujets sensibles ou peu explorés, à l'exemple du racisme, de la violence ou encore du tabagisme dans les milieux de jeunes. De l'avis de nombreux téléspectateurs sollicités par l'APS, ces nouvelles têtes ont apporté «une note de fraîcheur et d'humour» aux programmes télévisuels — très suivis pendant le Ramadhan — grâce à des concepts «innovants», «au plus près de la réalité d'aujourd'hui et des préoccupations des gens». Louer une caméra, des micros, «squatter» chez ses voisins, passer la nuit sur le montage de l'épisode du lendemain est «le lot quotidien» de ces jeunes artistes, devenus par la force des choses réalisateur, producteur, script, monteur ou encore compositeur, comme l'explique Rochdi Guiz. En commençant le tournage de la série Bekri/Lyoum, les Zanga avait reçu un stock impressionnant de vêtements et accessoires anciens, dons «spontanés» de voisins et «cadeaux inestimables», pour recréer avec des objets d'époque l'ambiance des années 1960. Ces même voisins avouent eux-mêmes tout le plaisir qu'ils en tirent à être «acteur d'un jour», même en faisant de la figuration pour des programmes de télévision. Avec la même sollicitude, d'autres personnes dans le voisinage n'hésitent pas à ouvrir leurs maisons, bureaux ou commerces au tournage pour «encourager» ces jeunes artistes, doués, «parfois bourrés de talent» et dont la créativité finit souvent par s'assécher, «faute de ‘‘moyens matériels'' pour l'exprimer». Et c'est justement le sens de la «débrouille» que saluent des téléspectateurs et qui fait la «marque de fabrique» de ces jeunes et le «charme» de leurs programmes. Avec la volonté de dépasser les «sempiternels problèmes financiers», ces jeunes vidéastes ont également parié sur la «solidarité» et la «complémentarité» dans le groupe aussi, complète Ramzi Bahloul, musicien et compositeur de la bande, diplômé en musique, devenu auteur, compositeur et interprète de la plupart des génériques de ces programmes. Démarche payante jusque-là pour ces podcasters. Après le succès des premières séries, plusieurs chaînes de télévision se bousculent pour se réserver l'exclusivité de la production de ces artistes dont la réputation sur la Toile a fini par forcer les portes de la télévision, souvent hermétiques devant les jeunes créateurs.