Il aura 80 ans le 1er décembre prochain. Ahmed Mahiou est l'une des sommités algériennes toujours active malgré sa retraite administrative. Nul n'est besoin de revenir sur le parcours époustouflant de ce natif de Bouira, sollicité et écouté aussi bien par les grandes universités du monde que par les instances internationales dont la Cour internationale de justice en qualité de juge ad hoc, directeur de l'Institut de recherches et d'études sur le Monde arabe et musulman (Iremam), (1992-1997), Aix-en-Provence. Ses positions critiques à l'endroit du pouvoir dans le domaine du droit (Constitution, etc.) lui valent son éloignement du pays, l'exil. «Après 50 ans, l'Algérie cherche toujours une identité, une stabilité à travers des révisions de constitutions qui sont en fait mises par la suite en ‘‘quarantaine'' au détriment de tout objectif ou prétention.» C'est sans appel ! Cela ne le prive pas pour autant assez tôt de distinctions scientifiques pour ses divers et nombreux travaux dont la médaille algérienne du Mérite scientifique en 1987 et de se voir décerné le titre de Docteur honoris causa de l'Université des sciences sociales de Toulouse en 1989. Et c'est peu dire ! Evoquant le Tribunal pénal international (TPI) agité comme un épouvantail et que récusent aujourd'hui nombre de chefs d'Etat africains, Ahmed Mahiou reste optimiste quant à son utilité s'agissant aussi de possibilité d'inculpation de personnalités politiques européennes responsables de crimes de guerre comme l'ancien président des Etats-Unis, George Bush et l'ex-Premier ministre britannique, Tony Blair. A l'appui, il rappelle les voix de plus en plus nombreuses qui réclament leur comparution devant le TPI. «On ne peut plus massacrer impunément à l'abri de la souveraineté de l'Etat», nous dit-il. Le Soir d'Algérie : A tout seigneur tout honneur, j'ose une première question d'ordre privé s'il en est sur l'homme public que vous êtes : que devient M. Ahmed Mahiou ? On vous dit à la retraite mais plutôt administrative puisque vous restez toujours actif ? Dr Ahmed Mahiou : Effectivement, je suis administrativement à la retraite, mais un intellectuel qui dispose encore de toutes ses facultés et de l'envie de poursuivre ses réflexions et recherches ne peut pas mettre ses méninges en vacances ; je suis donc un retraité très actif, du fait notamment que je suis souvent sollicité pour : - écrire des articles (4 ou 5 en moyenne par an) ; - faire des conférences (une dizaine par an), surtout en Algérie et en France, mais aussi dans d'autres pays du Maghreb ou en Europe et parfois des cours de post-graduation comme l'an dernier au Brésil ; - conseiller les étudiants qui me consultent à propos de leurs thèses ; - participer à des colloques nationaux ou internationaux et des conférences internationales, car je suis membre actif de plusieurs sociétés savantes internationales ; - enfin, avoir parfois des activités de conseil, juge ou arbitre international. Votre carrière de haut cadre trace votre itinéraire professionnel éloquent au demeurant car vous avez eu à vous occuper de nombre de responsabilités, dans les grandes universités françaises notamment et aussi dans les institutions régionales d'Europe et d'Afrique. A la lumière de cette somme d'expériences voulez-vous livrer à nos lecteurs ce qui vous a interpellé en particulier dans la marche des affaires mondiales ? Votre question est plutôt vaste puisqu'elle concerne la marche des affaires internationales et il est malaisé d'y répondre simplement et brièvement. Mais je vais essayer. Je suis ces affaires du point de vue du juriste internationaliste que je suis devenu. A cet égard j'ai pu mesurer à la fois les progrès et les reculs du respect du droit international qui est censé inspirer la conduite des Etats. La souveraineté de l'Etat a reculé devant beaucoup d'avancées, notamment en matière de droits de l'homme, de démocratie, d'Etat de droit et de droit pénal international. Notamment, on ne peut plus massacrer impunément à l'abri de la souveraineté de l'Etat. La création de tribunaux pénaux internationaux (universels ou régionaux) constitue désormais une sorte d'épée de Damoclès qui pend sur la tête des auteurs de certains crimes qu'ils soient gouvernants ou des particuliers ; désormais chacun sait qu'il peut être appelé à répondre de certains crimes devant des juges nationaux ou internationaux. Il reste évidemment que ces progrès sont loin de répondre aux différents et souvent tragiques problèmes que connaît la société internationale, ni même de répondre suffisamment aux attentes de ceux qui subissent de terribles injustices. Il y a également le triste principe du deux poids, deux mesures qui nous rappelle la fameuse fable de La Fontaine : «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir». On constate et on déplore, à juste titre, que le droit international ne s'applique pas de la même manière selon qu'un Etat est puissant ou faible ; cela vaut surtout pour les grandes puissances qui disposent du droit de veto et aussi pour les Etats qu'elles soutiennent. L'avancée incontestable du droit international a, certes, réduit le rôle des puissants et des riches, mais beaucoup reste encore à faire pour, sinon mettre fin à l'usage de la force, du moins en réduire autant que possible le rôle dans les relations internationales. Cela explique que certains Etats piétinent sans cesse et impunément les règles les plus élémentaires du droit international et, pour ne citer que l'exemple le plus flagrant, il y a le cas d'Israël qui viole systématiquement les décisions des Nations unies relatives à la Palestine depuis près de trois quarts de siècle, parce qu'il bénéficie de l'appui du monde occidental et surtout du soutien inconditionnel des Etats-Unis. Sachant que les règles de droit qui régissent une société sont le produit de l'histoire et de la culture, qu'en est-il celles d'essence occidentale (droit de l'homme, de la femme, les libertés individuelles, etc.) inopérantes dans les sociétés arabes ? Je pense que c'est une erreur de penser que les droits de l'homme, de la femme et les libertés individuelles sont les valeurs du seul monde occidental. Certes, ce sont ces pays qui ont mis en valeur et proclamé, dans des textes d'abord nationaux puis internationaux, ces valeurs, mais celles-ci sont tout simplement celles qui sont inhérentes à la qualité d'être humain et à l'égalité qui caractérise tous les êtres humains car le sexe, l'origine, la race ou la couleur ne doivent en aucun cas fonder des discriminations. Donc faire la critique de ces valeurs universelles sur la base de leur origine occidentale n'est pas une attitude raisonnable ni même responsable ; en revanche, il faut critiquer et rappeler aux Occidentaux qu'ils n'ont cessé à ce jour de violer ces fameuses valeurs, à travers l'esclavage, la colonisation, le néo-colonialisme ainsi que la domination économique et idéologique qu'ils ont instaurée et il ne faut pas se laisser abuser lorsqu'ils tiennent une rhétorique humaniste ou humanitaire pour tenter de s'exonérer de leurs responsabilités et se donner bonne conscience. Dans votre récente conférence à l'INESG : «Le Monde arabe à l'épreuve de la mondialisation», il apparaît que cette partie du monde — le Moyen-Orient — est au centre des intérêts des grandes puissances occidentales depuis la découverte du pétrole qui introduit une nouvelle donne dans le commerce international et le contrôle de cette source d'énergie. Cela met depuis les pays arabes producteurs de pétrole sous pression, voire sous tutelle des lobbies pétroliers ? Il serait excessif de généraliser et de dire que tous les pays arabes producteurs de pétrole sont sous la tutelle des lobbies pétroliers. A supposer que ce soit le cas et, pour être précis, je dirai qu'ils sont plutôt influencés ou, comme vous dites, sous la pression du marché international et certains gouvernants arabes plus que d'autres. Par ailleurs, derrière les lobbies pétroliers, il faut ajouter qu'il y a quelques Etats qui sont très actifs pour orienter ou déterminer les stratégies pétrolières, qu'elles soient nationales ou internationales et la tâche leur est facilitée par les pays arabes eux-mêmes en raison de leurs divisions et incohérences. Vous soulignez que malgré toutes les richesses naturelles dont ils disposent, les pays arabes producteurs n'ont pas su en faire un moyen d'émancipation faisant ressortir leur grave faiblesse, ce qui attise les appétits d'où la guerre ouverte menée par une partie de l'Occident en Irak et en Syrie, notamment dans le sillage du GMO ! Effectivement, il y a un triste constat à faire. Aucun pays arabe, notamment parmi les plus riches en hydrocarbures, n'a réussi à devenir une puissance émergente, ni même à avoir réussi une politique de développement digne de ce nom. Il suffit de faire une simple comparaison entre un pays comme la Corée du Sud et n'importe quel pays arabe, y compris l'Algérie. Au début des années 1960, les pays arabes étaient tous sous-développés ou en voie de développement comme la Corée du Sud ; ils émargeaient tous aux budgets d'aide provenant des pays développés ou des organisations économiques internationales. Or, que constate-t-on un demi-siècle plus tard ? La Corée est un pays aussi développé que les pays occidentaux les plus avancés auxquels elle dame souvent le pion en matière de production et d'innovation industrielles, à l'instar de quelques autres pays asiatiques ; pendant ce temps les pays arabes en sont encore au balbutiement industriel et ils sont restés des marchés où se déversent les surplus provenant de l'étranger, faute d'avoir un minimum de production nationale autonome dans n'importe quel secteur, y compris le secteur névralgique de l'autonomie alimentaire. Les pays arabes ont oublié que le développement n'est pas un problème de ressources naturelles, mais d'abord et essentiellement un problème d'efforts d'hommes et de femmes dûment préparés à prendre en main le développement de leur pays. Vu sous l'angle de la fatalité, le pétrole serait plutôt une source à problèmes dans la mesure où il remet au goût du jour la volonté de domination d'un Occident va-t-en-guerre dans cette région ? Votre allusion à «la fatalité du pétrole» me remémore un colloque organisé en Algérie au début des années 1970 par feu Mouloud Kassem, l'ancien ministre des Affaires religieuses. En effet, dans le cadre des séminaires sur la pensée islamique, il avait choisi comme thème de s'interroger sur le pétrole pour savoir si c'est une chance ou une fatalité pour un pays. Je crois qu'il a eu l'énorme mérite de poser un vrai problème alors que l'Algérie était encore dans l'ivresse des nationalisations pétrolières qui l'ont empêchée de voir, avec toute la lucidité nécessaire, l'usage à faire de ces richesses naturelles mais fugitives. Je rappelle à cet égard que les nouveaux pays développés (Japon, Corée du Sud, Taiwan) n'avaient pas beaucoup de ressources naturelles, mais ils ont su disposer et utiliser la matière grise et les forces de leurs populations respectives pour compenser l'absence ou la faiblesse de ces ressources. Inversement les pays arabes sont devenus des pays rentiers qui consomment leur rente pétrolière et, faute d'investissements productifs suffisants, ils se réservent ainsi des lendemains très inquiétants. Et voilà qu'une nouvelle puissance régionale aux ambitions hégémoniques, en l'occurrence l'Etat d'Israël, entre en jeu et aggrave l'atmosphère délétère et de sinistrose dans la région. Les moyens de riposte des pays arabes sont nuls et aucune solution n'est trouvée au problème de la Palestine – cause arabe sacrée ? Effectivement, Israël est devenue une nouvelle puissance régionale au Moyen-Orient, ce qui rend encore plus ardue la recherche d'une solution au problème palestinien ; non seulement ce pays parvient à saboter toute initiative de nature à parvenir à l'existence de deux Etats (Israël et Palestine), mais il va même jusqu'à vouloir rendre impossible l'existence d'un Etat palestinien, en dépeçant les territoires occupés et en transformant leur démographie par l'implantation incessante de nouvelles colonies. Devant une telle politique du fait accompli, il n'y a aucune réaction appropriée du monde arabe, ce qui amène à se demander si la cause palestinienne est toujours une cause sacrée pour lui. La Palestine, qui a été le premier ciment de l'unité arabe, est en voie de devenir un sujet de discordes qui bloquent la Ligue des Etats arabes et il s'y ajoute d'autres sources de divisions liées aux interventions des pays du Golfe pour soutenir des forces de déstabilisation ou engager des forces militaires dans les autres pays arabes. De l'état des lieux aujourd'hui vous en faites un jugement sans appel : le Monde arabe est très divisé ! Mais l'est-il plus aujourd'hui qu'avant ? Est-ce le fait de forces exogènes plutôt que le résultat de son arriération ? La Palestine, qui a été le premier ciment de l'unité arabe, est maintenant devenue un sujet de discordes qui bloquent l'action de la Ligue des Etats arabes et il s'y ajoute d'autres sources de divisions liées aux interventions des pays du Golfe et autres pays étrangers au Moyen-Orient. Certes, des éléments exogènes interfèrent fortement dans ces divisions du monde arabe, mais il faut bien se rendre à l'évidence : s'il en est ainsi, c'est parce que le Monde arabe est affaibli d'abord par des éléments endogènes, ses propres carences et divisions, qui facilitent précisément les interférences étrangères. J'ai fait précédemment une comparaison entre les pays arabes et la Corée du Sud, et je vais faire ici une comparaison avec Israël. Comment se fait-il qu'un nouvel et petit Etat, né du terrorisme et d'une guerre en Palestine, ait réussi à devenir une puissance régionale qui compte alors qu'aucun Etat arabe n'a réussi à le faire — sauf si on pense à l'époque de l'Egypte de Nasser ? L'explication est simple : Israël est parvenu à maîtriser, en peu de temps, la science et la technologie pour les mettre au service de la production, de l'innovation et de la constitution d'une puissance économique et militaire dans la région. Pendant ce temps-là, les pays arabes sont restés dans leur sous-développement et continuent d'y végéter, en rêvant du passé et notamment de l'Andalousie perdue, au lieu de se projeter dans l'avenir et de tenter de constituer chacun une nouvelle Andalousie. Tant que ces pays regardent vers le passé, ils n'auront pas de système culturel, scolaire et universitaire capable de produire les cadres scientifiques et techniques de demain pour construire des économies développées et performantes permettant de jouer un rôle dans la mondialisation et d'éviter qu'elle ne se fasse à leur détriment. A défaut de procéder à des réformes structurelles de fond, c'est le champ ouvert à la contestation populaire permanente d'où «les printemps arabes», «les révoltes arabes» qui n'ont laissé que des cendres, à voir l'Irak, la Libye, la Syrie, le Yémen... Quel est votre sentiment intime sur le sujet ? Le sujet des «printemps ou révoltes arabes» est tellement vaste qu'il mériterait à lui seul une interview. Aussi, je me limiterais à faire pour le moment quelques brèves observations. D'abord, pour dire qu'il est trop tôt pour faire le bilan de ces évènements parfois tragiques. Le fait qu'un seul pays, la Tunisie, ait réussi à amorcer un printemps arabe, mais en se retrouvant dans une situation économique et sociale difficile, donne à réfléchir. Comme le dit le vieux dicton, une hirondelle ne fait pas le printemps. Pour celui qui attendait des changements positifs immédiats, évidemment il est terriblement déçu et frustré au point de conclure à l'échec et même à la manipulation depuis l'étranger des révoltes arabes. La réalité est plus complexe. Certes, toute tentative de changement politique dans un pays entraîne, plus ou moins, des interférences et même des interventions étrangères. La mondialisation a encore accentué ce phénomène. Mais, pour celui qui connaît l'histoire, rares sont les changements importants perceptibles immédiatement et il faut sans doute attendre quelque temps pour savoir si les aspects négatifs l'emportent sur les aspects positifs dans ces mouvements qui travaillent en profondeur toutes les sociétés arabes, quel que soit leur système politique. Première organisation régionale du genre dans le monde, née avant l'ONU, la Ligue arabe apparaît comme une coquille vide. Les discussions sont lancées quant à une réforme salvatrice. Le 27e sommet a été bouclé en une journée sans résultat et en l'absence de plusieurs chefs d'Etat et de souverains. Les conditions s'y prêtent-elles compte tenu aussi de la course au leadership en son sein ? La Ligue arabe a connu dans le passé des fonctionnements erratiques, mais elle a réussi à les surmonter ou à les contourner. Mais depuis la deuxième guerre d'Irak, c'est-à-dire l'agression américano-anglaise et l'avènement du terrorisme islamiste, elle est entrée dans une crise sérieuse aggravée encore par les divisions nées des révoltes ou printemps arabes avec leur cortège de complications. Tant que dureront ces évènements, la Ligue sera effectivement une coquille vide politiquement, diplomatiquement et militairement puisqu'aucun consensus ne peut intervenir pour trouver une issue ; au demeurant, il n'y a même pas de tentative d'aller dans ce sens, comme le prouve l'échec du récent sommet. Dans un tel contexte, je ne vois pas comment une réforme salvatrice pourrait intervenir, alors même que déjà en période normale où cela était possible, aucune réforme n'a été réalisée pour améliorer efficacement son fonctionnement, redynamiser ses activités et renforcer l'unité des membres sur les problèmes essentiels. Actuellement, la seule lueur d'espoir repose sur l'action des institutions spécialisées de la Ligue dans les domaines technique, social, culturel et parfois économique. S'agissant de ce dernier domaine, celui du marché commun arabe, encore faut-il qu'il soit réellement et adéquatement mis en place ; or, ce n'est pas le cas actuellement, puisque les échanges entre les pays arabes sont d'un niveau tellement bas et leur progression est tellement faible que tout cela renvoie aux calendes grecques tout projet sérieux du marché commun. Il apparaît de plus en plus comme un mirage du désert ! Ne faisons pas l'impasse sur l'Algérie à laquelle vous êtes très attaché. Dans quelle mesure la Constitution révisée de 2016 est-elle susceptible d'impulser un Etat de droit sachant les critiques formulées par les spécialistes du droit constitutionnel et des partis de l'opposition : équilibre des pouvoirs, indépendance de la justice, neutralité de l'administration lors des élections... Personnellement, je n'ai pas fait l'impasse sur la récente réforme de la Constitution ; non seulement, j'ai fait des interviews pour donner mon point de vue, mais j'ai fait des conférences et participé à des débats tant en Algérie qu'en France pour en évoquer les points forts et les points faibles. Là encore, je m'en tiendrai à une seule remarque mais qui a son poids : sur les aspects positifs de la réforme, tout le monde pense que ce sont des promesses en papier et que le fonctionnement du système continuera comme auparavant. Il appartient aux autorités de prouver le contraire, notamment sur les problèmes que vous évoquez relatifs à l'équilibre des pouvoirs, l'indépendance de la justice, la gestion des élections, etc. Parlant de l'opposition, selon vous, peut-elle assumer le rôle de contre-pouvoir comme c'est le cas dans les pays démocratiques ? Est-elle condamnée à faire de la figuration car c'est cela qui semble être attendu d'elle par le pouvoir en place ? Pour l'instant, l'opposition est réduite effectivement au rang de figurant, comme le prouvent, entre autres, le processus de révision de la Constitution auquel elle n'a pas pu participer et les divisions qui l'empêchent de se faire entendre et de peser sur l'évolution politique du pays. Le problème du pays est qu'il y a un grave déficit de légitimité des institutions du pays depuis l'indépendance, puisqu'aucune élection n'a été, démocratique, loyale et transparente ; il est clair qu'il ne peut être surmonté que si le pouvoir en place et l'opposition – je dirai les oppositions car elle n'est pas unie – entrent dans un dialogue sérieux, honnête et responsable. Faute d'un tel pacte, l'avenir politique de l'Algérie s'annonce malheureusement sous des auspices sombres. L'ONU risque-t-elle de connaître le même sort que la défunte SDN vu que les grands de ce monde foulent aux pieds le droit international et ne s'y réfèrent que comme faire-valoir à leurs entreprises guerrières ? Non, je ne crois pas du tout à la disparition de l'ONU, pour une raison simple : tout le monde a intérêt à son existence, les grandes puissances qui y disposent du droit de veto et les autres pays pour lesquels elle est – malgré toutes ses tares et faiblesses – un instrument de recours. Supposons un instant que l'ONU cesse d'exister, il en résulterait que les Etats les plus puissants feront ce qu'ils veulent sans avoir de comptes à rendre à personne, en toute tranquillité et impunité par la loi du plus fort ; il n'y aurait plus aucun forum, comme l'Assemblée générale ou le Conseil de sécurité, pour au moins critiquer et mettre en cause les puissants. Il n'y aurait plus aucun tribunal international devant lequel porter sa requête pour le respect du droit international. Or, il n'est pas négligeable d'avoir un lieu où se plaindre et où les puissants doivent venir s'expliquer sur leur comportement, parce qu'ils sont accusés d'avoir commis telle ou telle violation grave du droit international. Autrement dit et pour me résumer, si l'ONU est un «machin» comme disait le général de Gaulle ou un mal, comme disent d'autres, c'est malgré tout un «machin» ou un mal nécessaire, notamment pour les pays faibles. La sérénité de l'Union africaine (UE), dont vous dites le plus grand bien quant à son évolution et à son fonctionnement, risque-t-elle d'être perturbée par la demande intempestive du royaume du Maroc de «reprendre sa place» ? Je crains que vous ayez mal compris mes propos lors de la conférence à l'Inesg. L'Union africaine a aussi des faiblesses, des divisions et parfois des blocages. J'ai simplement fait une comparaison pour constater qu'une organisation régionale continentale comme l'Union africaine — qui réunit plus de 50 Etats très différents entre eux sur beaucoup de plans — fonctionne mieux que la Ligue arabe qui compte seulement 23 Etats dont les points d'unité (langue, culture, histoire, religion) sont beaucoup plus forts ou intenses. Or, le bilan politique de l'une est supérieur au bilan de l'autre. Quant à la demande de réintégration du Maroc au sein de cette organisation, c'est une procédure normale, même si elle est animée par des intentions discutables. L'Union africaine débat déjà régulièrement de l'affaire du Sahara occidental et il serait peut-être intéressant qu'elle en débatte en présence des deux acteurs concernés : les Etats sahraoui et marocain. Peut-être même que cela pourrait constituer une occasion de relancer les négociations entre eux, alors qu'elles sont en panne devant les Nations unies. Mais, dans un domaine aussi sensible, il est difficile de faire des prévisions et a fortiori de dire ce qui va se passer ; le proche avenir nous le dira bientôt. Ce début du XXIe siècle donne l'impression d'inaugurer une nouvelle géographie politique du monde où les plus puissants affichent ouvertement leur volonté de manger les plus faibles. Quel sort nous attend ? Est-il déjà trop tard pour une riposte salutaire ? Quelle place dans la mondialisation ? La volonté des plus forts de dominer les faibles fait partie de l'histoire de l'humanité et plus précisément de l'histoire des relations internationales ; mais il convient de noter que si pendant longtemps il n'y avait aucune limite à cette hégémonie, il y a maintenant – contrairement à ce que suggère votre question – des limites à cette volonté de domination des puissants. C'est d'ailleurs ce qui justifie l'existence des Nations unies et des multiples instances juridictionnelles ou consultatives devant lesquelles les Etats doivent venir s'expliquer, comme je l'ai dit précédemment. Le fait qu'il y ait des Etats qui tentent d'échapper à ces interpellations n'invalide pas les progrès introduits par l'évolution du droit international, pour mettre en cause – même de façon incomplète et insuffisante — la responsabilité des Etats comme des individus qui commettent de telles forfaitures. Certes, le système est imparfait, mais je vous ferai remarquer que cela existe également dans les systèmes nationaux mieux organisés et outillés puisque certains auteurs de forfaits échappent aux tribunaux pour diverses raisons, y compris les rapports de force (politique, économique, sociale ou autre) ; cela n'invalide pas pour autant le droit national et indique simplement qu'il faut encore l'améliorer pour limiter autant que possible l'impunité. Il faut avoir une évaluation identique pour le droit international, même si les améliorations à apporter sont d'une plus grande ampleur et se heurtent à des difficultés autrement plus importantes. B. T. [email protected]