Par Ahmed Tessa Les mots ont leur importance. Pour mieux masquer leur véritable identité, certaines personnes aiment pirater des concepts ou des appellations. Dans les pays arabes, le qualificatif «islamiste» est le plus exposé à ce piratage. Pourquoi se revendiquer d'une religion monothéiste pratiquée pacifiquement par plus d'un milliard d'êtres humains pour commettre des crimes, alors que la matrice de ces actes abominables relève d'une idéologie qui a un nom : le wahhabisme ? Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à comparer les pratiques socioculturelles et les comportements rétrogrades (sur la femme, les autres religions ou rites) des terroristes avec la législation en vigueur chez les wahhabistes. Ainsi, en réalité, il n'existe pas de partis islamistes, ni d'organisations islamistes, au sens propre du terme, mais seulement des partis et des organisations WAHHABISTES. Il nous faut ne plus dire islamiste, mais wahhabiste. L'islam, pur et universel, étant au-dessus de la mêlée politicienne. En sus de la canicule du début août 2016, de violents accrochages ont eu lieu à Minieh, en Haute-Egypte, entre musulmans d'obédience wahhabiste et des Coptes de confession chrétienne. Pour une fois – car c'est devenu récurrent –, le motif ne réside pas dans une rumeur d'un mariage entre une musulmane et un Copte ou vice-versa, mais de la construction d'une église sur «une terre sainte d'islam». Pourtant, les Coptes de Minieh sont dans leur droit le plus absolu : la construction de l'église avait reçu l'aval des autorités compétentes. De plus, ils sont fort nombreux dans cette région. Ne sont-ils pas les premiers habitants de l'Egypte ? Point d'église, de temple ou de synagogue en terre wahhabiste ! Au moment où ces adeptes du wahhabisme refusent toute présence d'un lieu de culte autre que le leur, on apprend que le prêtre de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (nord-ouest de la France) avait cédé gracieusement une parcelle de son terrain pour la construction d'une mosquée avant d'être égorgé par deux jeunes fanatisés au wahhabisme. Si le mot wahhabisme est ici utilisé aux lieu et place d'islamiste ou de musulman, c'est pour la simple raison que cette secte ultra-intolérante alimente toutes les dérives pseudo religieuses (pratiques cultuelles, tenues vestimentaires et autres comportements) et les massacres qui en découlent. Des massacres et des dérives commis au nom d'un islam que les adeptes et les parrains de cette secte wahhabiste ont détourné de son véritable message. Tous ces fanatiques assoiffés de sang et nourris de culture mortifère puisent leur inspiration meurtrière, non du Saint Coran ou des faits et gestes du Prophète de l'islam, mais de la propagande et des fetwas wahhabistes. L'islam bien compris est fait de tolérance et de respect d'autrui. L'exemple nous est donné par l'Emir Abdelkader qui — vers la fin du XIXe siècle — et au péril de sa vie sauva celle de milliers de Syriens chrétiens menacés de mort par des fanatiques wahhabistes – déjà ! Ces appels au meurtre, à l'intolérance, au charlatanisme (dont la roqia ou désenvoûtement) pullulent sur les écrans des nombreuses chaînes de TV arabes financées par les sponsors du wahhabisme et sont relayés par des sites de réseaux sociaux. Ces appels sont accessibles à tous les citoyens arabes, au quotidien et gratuitement. N'est-ce pas une fetwa wahhabiste qui a pollué l'esprit et le cœur de ces illuminés de Menieh et les a encouragés à commettre l'irréparable ? En effet, cette fetwa porte le sceau du cheikh saoudien Abdelaziz Benabdellah, délivrée en 2000 et dont l'essentiel réside dans cet extrait : «Toute religion autre que l'islam est mécréance et égarement, et tout lieu de culte autre que celui voué à la religion musulmane est une maison de mécréance et d'égarement. Est une personne apostat (morted, en arabe) toute personne qui croit que les églises sont des maisons de Dieu, qu'on y adore Dieu et qui aide à leur construction et à la pratique des rites.» Une grave entorse au message de Dieu véhiculé par le Saint Coran ! Les autorités du royaume saoudien ont-elles réagi à ce véritable appel au meurtre ? Bien sûr que non ! Elles n'y pensent nullement, occupées qu'elles sont à tisser une trame mondiale d'ouailles et de lieux de propagation de leur idéologie, le wahhabisme. Après avoir, depuis de longues décennies, conquis durablement les esprits des citoyens arabes du Maghreb — avec comme signe d'allégeance les vêtements masculin et féminin —, c'est au tour des pays occidentaux de devenir la cible privilégiée de leur invasion doctrinaire. Forts de leur puissance financière, ces sponsors arrosent le monde entier — et plus particulièrement les pays qui se disent sunnites — de leur venin destructeur. Un récent rapport de la CIA (2016) affirme que pas moins de 700 milliards de dollars ont été mobilisés par ces semeurs de fitna (schisme) pour ériger des espaces communautaires acquis à leur cause : des mosquées, des écoles religieuses, des centres culturels wahhabistes — eux, ils les appellent centres culturels islamiques —, et des ouvrages de propagande vantant les mérites de leur idéologie et de puissants relais médiatiques. Dans ce rapport, on apprend que sur les 19 auteurs du carnage des Twin Tower de New-York en 2001, 18 sont saoudiens d'origine «aristocratique» et financés par de riches parrains du royaume. Au point où les parents des victimes de ce «11 Septembre noir» ont décidé de porter plainte contre ces «financiers de la mort». D'où l'auto-saisine du Congrès américain pour demander des comptes aux autorités saoudiennes. Ces dernières ont brandi la menace d'un retrait massif de leurs avoirs en dollars placés dans les banques américaines. Et comble du cynisme wahhabiste, cet argent alimente les industries d'armement pourvoyeuses de l'Etat sioniste. Par ailleurs, les derniers événements de Turquie illustrent parfaitement cette ambition du wahhabisme à irriguer le monde de son idéologie. Une toile d'araignée géante qui effraie ! En effet, n'est-il pas troublant de voir un homme de religion (Fethulleh Gul) monter un empire — mieux, un Etat parallèle — en Turquie ? En plus de ses partisans dans les institutions sensibles de l'Etat turc, ce wahhabiste bon teint, mais au discours soft et attrayant, a enrôlé des dizaines de milliers d'enseignants, universitaires, des centaines de journalistes (TV, journaux et radios). En Turquie, mais aussi un peu partout dans le monde, il a ouvert des centaines d'établissements scolaires privés misant sur l'éducation à moyen terme pour wahhabiser la société. En a-t-il ouvert ici en Algérie ? La question mérite d'être posée au vu de l'indigence du débat intellectuel et culturel ambiant. D'où lui provient cette colossale fortune pour édifier cet empire tentaculaire ? Les voies des puits de pétrodollars ne sont plus obscures. Des empires wahhabistes de ce genre (médias, établissements scolaires privés), il en existe un peu partout dans les pays sunnites. Et l'Algérie n'en est pas indemne quand on sait la collusion de certains cercles médiatiques et politiques avec l'odeur enivrante des pétrodollars. Un compagnonnage qui remonte aux années 1980 et avec une accélération ces deux dernières décennies, l'ouverture économico-médiatique et le pèlerinage (en Omra ou Hadj) aidant. En témoignent l'invasion vestimentaire du modèle wahhabiste que connaît notre pays et les dérives sectaires du wahhabisme retransmises sur certains petits écrans et certains journaux algériens. Elles (ces dérives) s'invitent quotidiennement dans les foyers de millions de familles algériennes. Même une chaîne sportive algérienne, dédiée au football, s'y est mise de la partie pour combler le vide de ses grilles de programmes. Ces dérives se déclinent sous la forme de labels wahhabistes «pur jus» tels que la roqia, le discours charlatanesque, l'interprétation des rêves et les idées ultraconservatrices. Jusqu'au tic de certains présentateurs de télé qui affectionnent la formule OK ! à la mode moyenne-orientale ! Il y a lieu de revenir sur la passivité/collusion des politiques occidentaux vis-à-vis de cette invasion wahhabiste. L'exemple nous est donné par le comportement de la France officielle pendant la décennie noire qu'a connue l'Algérie dans les années 1990. Dans un premier temps, le gouvernement français refusait systématiquement les visas d'entrée aux intellectuels, artistes et journalistes menacés de mort en Algérie. Par contre, un accueil chaleureux fut réservé à leurs assassins fuyant le pays à cause d'une mobilisation farouche et efficace des forces de sécurité et des patriotes. Avec une facilité déconcertante, ils s'installèrent avec femmes et enfants dans les villes de l'Hexagone, d'Angleterre, d'Allemagne, de Suisse, de Belgique. Ils occupèrent les lieux de culte, mosquées et salles de prière de ces pays. Vingt ans plus tard, apparaissent les premiers noyaux de terroristes en terre européenne et qui ont eu comme «éducateurs-formateurs» ces vétérans wahhabistes ayant fui leur pays d'origine (Algérie, Tunisie, Maroc, Egypte notamment). Grâce aux largesses de la démocratie et de la liberté d'expression «made in Occident», ils donnèrent (et donnent toujours) libre cours à leur talent de «laveurs de cerveaux», promettant le paradis et ses délices à tous les martyrs du wahhabisme. Une scène choquante nous a été livrée par un reportage de France 2 au lendemain de l'attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo. Au sortir d'une école primaire, un homme en tenue wahhabiste s'exprime au micro d'une journaliste, son écolier de fils dans les bras : «Oui, c'est une bonne chose. Mais quand j'arrive à la maison je sais ce que je ferai.» Comprendre par là qu'il dénaturera le contenu de l'initiative du ministère de l'Education demandant à tous les enseignants de France de consacrer une leçon sur le vivre-ensemble, le respect et la tolérance entre les religions. En réalité, les gesticulations des gouvernements occidentaux n'arrivent plus à cacher leur hypocrisie dans leur vaine tentative d'éradiquer le terrorisme. Mais veulent-ils vraiment y parvenir ou est-ce seulement pour expérimenter les nouvelles armes mises au point par leur industrie militaire ? Ils savent bien que le terrorisme ne naît pas du néant, mais qu'il émerge d'un terreau idéologique bien formaté et soutenu financièrement. C'est en mettant fin à sa matrice idéologique, le wahhabisme, que le couple radicalisme-terrorisme disparaîtra. Entre l'argent des pétrodollars induit par les mirobolants contrats commerciaux et la lutte frontale contre les pays parrains du wahhabisme, l'Occident a vite tranché. A moins que la ligne rouge ne soit franchie – et elle l'est –, ces pays du Golfe peuvent vaquer tranquillement au maillage idéologique du monde. Pas pour longtemps ! La riposte au wahhabisme Toutefois, des voix s'élèvent ici et là dans le monde arabe pour dénoncer l'amalgame entre radicalisme terroriste et islam, entretenu volontairement (ou par simple méconnaissance) par les médias occidentaux. Et pour joindre le geste à la parole, des spécialistes arabes musulmans ont désigné comme priorité le nettoyage des contenus des programmes et des manuels scolaires et universitaires. Depuis de longues décennies, le quotidien des élèves algériens nous enseigne que les ingrédients du «lavage de cerveaux à la sauce wahhabiste» se nichent dans les manuels scolaires et parascolaires (avec les supplices de la tombe, ettouwba ou repenti, le lavage des morts, la tenue vestimentaire soi-disant halal, la roqia, etc.). Lors d'une table ronde organisée par la chaîne arabophone Al Hurra – et pour une première dans le monde arabe ! –, le thème choisi était intitulé : «Quel est l'impact du discours d'El Azhar pour contrer le discours djihado-takfiriste (ou radicalisme religieux) ?» Sur le plateau de la chaîne s'y sont relayés trois personnalités arabes – un universitaire marocain, un politologue égyptien et un membre du conseil islamique d'El Azhar. Ils ont décortiqué la pauvreté intellectuelle des diplômés de la prestigieuse institution du Caire (El Azhar) et relevé des dérives qui portent atteinte à sa notoriété et à sa crédibilité. L'universitaire marocain relèvera trois éléments préjudiciables : 1) la prédominance de la littérature wahhabiste dans les programmes de formation des étudiants azharis (que dirions-nous de l'Algérie ?) ; 2) le maintien de la langue arabe classique dite el fosha, celle du Saint Coran. Or, selon l'universitaire, «celle-ci ne sied pas à la communication courante avec les jeunes ou aux échanges avec les citoyens arabes branchés sur la langue arabe des réseaux sociaux et des TV satellitaires» ; - le troisième élément concerne les contenus de formation restés immuables, non adaptés à la vie moderne et hermétiques au dialogue des religions, à la tolérance et à l'histoire des religions monothéistes. Pour sa part, l'homme de religion égyptien a situé le déclin de l'institution El-Azhar dans les années 1960, quand des filières scientifiques (médecine, pharmacie, architecture..) ont été ouvertes au sein de l'Université d'El Azhar. Ce qui, selon lui, a eu pour conséquence une désaffection de la filière chariaâ islamique par les meilleurs étudiants, intellectuellement bien outillés qui lui préfèrent les nouvelles filières scientifiques enseignées en anglais. Et de conclure : «Ce sont les étudiants dépourvus de compétences intellectuelles supérieures qui s'orientent vers la filière religieuse.» On comprend aisément la faiblesse d'El-Azhar face à l'hégémonie au discours wahhabiste. De son côté le Maroc, sur ordre du roi Mohammed VI, vient de sonner l'alerte en cette année 2016. Une commission composée d'universitaires, de pédagogues et de théologiens a été chargée de passer à la loupe pas moins de 300 manuels scolaires. L'objectif de cette mesure est de débusquer les contenus portant atteinte au respect des autres religions, au vivre-ensemble, à la tolérance, à l'égalité entre les hommes et les femmes. Les faux hadiths sont traqués, et ils sont nombreux dans les apprentissages scolaires imposés aux élèves des pays arabes. Parallèlement à cette initiative d'envergure, le Maroc a pris date avec l'avènement du concept de marocanité, matrice identitaire du peuple. Ainsi, les spécialistes (anthropologues, historiens, sociologues...) ont été mis à contribution pour définir ce concept et lui donner un nom. Ils se sont mis d'accord sur le mot «THAMAGHRIVITS» (marocanité) : une symbiose sémantique entre le tamazight et l'arabe qui intègre les dimensions telles que la judaïté et l'africanité du peuple marocain. Une révolution dans les mentalités ! Verrons-nous ici en Algérie la naissance de «THADZAYRITH (algérianité) ? Ou en Tunisie, «THATOUNSSITH» ? Il y a lieu de rappeler que le roi a aussi validé, le mois d'avril dernier, la proposition de son ministre de l'Education nationale consistant à revenir à la langue française comme langue d'enseignement. Après des décennies d'arabisation au rabais, les autorités marocaines se sont rendu compte de l'abyssal déficit en culture scientifique qui frappe la société, élite comprise. Par ailleurs, de timides réformes du discours religieux sont initiées, ici et là dans certains pays arabes. Mais cela ne suffira pas, tant que l'Occident et l'ONU ne prennent pas des mesures radicales pour éradiquer les germes pathogènes de ce cancer du XXIe siècle qu'est le radicalisme religieux. Cette organisation internationale peut et doit contraindre les pays qui lui sont affiliés (ONU) à revoir leurs programmes et manuels scolaires et universitaires et les discours religieux. Et surtout, criminaliser les idées qui font l'apologie de l'intolérance religieuse, comme c'est le cas avec les lois sur le racisme. Ainsi seront sanctionnés les Etats qui ferment les yeux sur les dépassements de leurs citoyens ou de leurs institutions (presse, télévisions, établissements scolaires et université, lieux de culte, réseaux sociaux). A. T.