Alors que le Festival international du théâtre arabe bat son plein à Oran et à Mostaganem, charriant des dépenses considérables, les employés du Théâtre régional Malek-Bouguermouh de Béjaïa se battent contre des mesures d'austérité draconiennes. De belles images nous parviennent depuis le 14 janvier de Béjaïa où les artistes et employés du Théâtre régional ont tenu un sit-in de protestation contre les restrictions budgétaires qui frappent ce haut lieu culturel de la ville. Frôlant le gouffre financier, le TRB a été amputé en décembre dernier de 58% de son budget annuel ; s'en est suivie la décision de suspendre toutes les productions théâtrales et de licencier vingt-cinq employés contractuels. Plusieurs comédiens, metteurs en scène et techniciens du TRB mais aussi d'autres villes algériennes ont donc manifesté devant l'enceinte du théâtre en exprimant leur désaccord et leur indignation à travers un langage artistique saisissant. Plusieurs citoyens bougiotes se sont également joints au rassemblement pour signifier leur solidarité avec les manifestants qui ont, par ailleurs, expliqué en détail le drame que vit leur théâtre dans une déclaration commune où ils évoquent le lourd endettement du TRB, «la menace de licenciement de 25 employés contractuels qui occupent des postes vitaux (machinistes, comédiens, éclairagistes, sonoristes, agents de sécurité, etc.)» ainsi que l'impossibilité pour le théâtre d'assurer de nouvelles productions. Et de s'alarmer : «La conséquence inéluctable de toutes ces entraves ne peut être que la fermeture du théâtre qui est dans l'incapacité de s'auto-suffire du fait de la politique culturelle qui prédomine depuis toujours dans la gestion des théâtres régionaux.» Les rédacteurs du communiqué soulignent, par ailleurs, que depuis le mois de juillet, ils ont initié plusieurs démarches par le biais de leur section syndicale et interpellé le wali, l'union syndicale locale et régionale, l'Inspection du travail, la centrale syndicale et le ministère de la Culture. Des appels restés sans réponse à ce jour, ce qui a incité plusieurs travailleurs du TRB à passer à une vitesse supérieure en impliquant l'ensemble des citoyens de Béjaïa à travers un sit-in tenu samedi dernier et dont les revendications étaient affichées sur de grandes pancartes mais aussi dans des performances artistiques dénonçant la condition de l'artiste en général et des hommes et femmes de théâtre en particulier. «Sans théâtre, la vie est une erreur», «Réactivez votre conscience», «Je m'appelle Inès, j'ai quatre ans et je ne veux pas être décervelée», «Touche pas à mon théâtre», «Je suis CDD», «Réactivez votre conscience » et autres slogans ont été brandis par les participants qui ont également arboré le portrait de Abdelmalek Bouguermouh, immense dramaturge et metteur en scène et premier directeur du TRB. A rappeler que le Théâtre régional de Béjaïa, dirigé par Omar Fetmouche durant plus d'une décennie, fut l'un des plus prolifiques en Algérie : de nombreux jeunes artistes, allant du metteur en scène au comédien, en passant par les talents de l'ombre, se sont formés et ont produit des dizaines d'œuvres théâtrales de haute facture. Mais ce foisonnement n'a pas manqué de soulever certaines critiques envers la politique gestionnaire de Fetmouche qui aurait privilégié la quantité sur la qualité et la formation. Elle semble, en tout cas, aujourd'hui aboutir à une impasse que d'aucuns qualifient de gouffre financier menaçant la survie même du TRB. Le cri de détresse des employés a suscité une grande émotion en ville mais aussi sur les réseaux sociaux où plusieurs artistes des autres wilayas se sont solidarisés avec eux et certains ont même fait le déplacement pour participer au rassemblement. Par ailleurs, une pétition circule depuis hier pour dire «Non à la mise à mort du Théâtre régional de Béjaïa», tandis qu'un sit-in de solidarité est prévu pour aujourd'hui à 11h devant le Théâtre national algérien à Alger.